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Synthèse des interventions de Shareef Omar, président du Comité pour la défense de la terre du district de Qalqiliya, lors de sa venue à Mérignac en septembre 2005.
Voir ici, son témoignage plus personnel sur son histoire et celle de son village.

Présentation 
I- Méthodes utilisées par les israëliens pour s’approprier les territoires 
II- La question du retrait de la bande de Gaza 
Conclusion et appel au soutien


Présentation

Shareef Omar est agriculteur dans le village palestinien de Jayyous, au nord est de Qalqiliya, en Cisjordanie. Il représente le « Land Defence Committee » (Comité de défense de la terre) pour le district de Qalqiliya. Ces comités ont été créés en 1981 par des agriculteurs qui ont pris une part active dans la campagne contre le Mur de l’Apartheid, après qu’Israël ait commencé sa construction en 2002.

La bataille en Palestine tourne autour de « qui est propriétaire de la terre « . Depuis le mandat britannique a commencé la tentative de prendre la terre des Palestiniens.

Des révoltes ont eu lieu en 1922-1928 et 1945. Le mouvement sioniste a été soutenu par les britanniques puis par les USA.

Au travers des cartes et résolutions de l’ONU, le territoire Palestinien est passé de 90 à 9 %. La résolution 181 attribuait 48% aux Palestiniens et 52% aux Israéliens : les Palestiniens l’ont refusée car ils représentaient 76% de la population alors que les israéliens n’étaient que 33%.

Quand les britanniques se sont retirés, ils ont laissé leurs armes aux organisations israéliennes.

Depuis le début il y a eu 38 résolutions sur la Palestine : aucune d’entre elles n’a été appliquée. « Quand le problème du Mur est apparu je suis allé témoigner devant la Cour de Justice de La Haye. J’attendais de la Cour qu’elle dise que le mur était illégal et que cette décision soit rajoutée aux 38 autres résolutions de l’ONU ».

Mais après cette décision, 188 km supplémentaires de mur ont été construits : c’est ainsi que sont respectées les décisions de la CIJ et de l’ONU …..

I- Méthodes utilisées par les israëliens pour s’approprier les territoires

1 – Voie indirecte

* D’abord en déclarant zone militaire des terres , ce qui en empêche l’accès et interdit la production agricole.

Il est interdit aux Palestiniens de prendre les routes et de traverser. La législation sur les points de passage interdit aux véhicules palestiniens de les franchir ; la seule possibilité des agriculteurs est alors de vendre les produits dans leurs propres villages, mais comme les produits sont similaires dans tous les villages,[ ils ne peuvent écouler leur production] et le commerce s’effondre.

[Dernièrement] toutes les récoltes de tomates et concombres ont du être données comme nourriture aux bêtes du fait de l’impossibilité de les transporter. A Naplouse 1 kg de tomate rapporte 2 shekels [environ 0,4 euros], ici à Jayyus 15 kg de tomates rapportent moins de 2 shekels. Nous n’avons aucun autre choix.

Les récoltes de citron ont pourri au sol : une fortune a été dissipée.

* Avec les points de passage l’accès aux terres est très difficile . Il faut une autorisation. Or quiconque a été un jour emprisonné ne peut obtenir l’autorisation. Une famille dont un membre a été emprisonné ne peut obtenir d’autorisation pour aucun autre membre de la famille. Tout individu qui ne peut établir qu’il est propriétaire d’une terre ne peut obtenir de permission (ce qui exclut d’emblée tous les travailleurs agricoles qui par définition ne sont pas propriétaires). Tout militant contre le Mur est interdit d’autorisation.

Du 1er novembre 2002 à avril 2003, nous avons été interdits de passage. Mais les israéliens sont enchantés de pouvoir faire venir des personnes des USA [émigrants] avec des autorisations [y compris pour des bébés de 2 mois?] alors qu’à Jayyus nous ne pouvons en obtenir.

A La Haye des journalistes israéliens m’ont demandé de nommer des personnes n’ayant pas d’autorisation à Jayyus. Quand je suis revenu à Jayyus, les gens que j’avais nommés venaient d’en recevoir [après que les journalistes israéliens aient contacté les autorités] et on s’est servi de cela pour me faire passer pour un menteur. De nombreuses pressions ont été exercées sur moi…

* Autre moyen de pression indirecte : En 1983 des compteurs d’eau ont été installés sur tous les puits et un quota maximum imposé, mais celui-ci ne permet pas le développement. Ces quotas sont renouvelés par année. La quantité autorisée était de 111600 m3 par an (en 1983). En novembre 2004 seulement le quota a été porté à ….120000 m3 ! Soit une augmentation de moins de 11000 m3 en 22 ans. .. En 1983 mes enfants avaient, l’aîné 15 ans et le dernier 2 mois ; aujourd’hui ils sont tous mariés et ont des familles.

Il y a impossibilité d’utiliser l’eau pour les agriculteurs. A Jayyus sur 136 terres il n’en reste plus que 72. Des milliers d’arbres fruitiers ont été pris. Si vous venez nous vous montrerons les terres volées et les arbres morts.

2 – Voie directe

Ces voies sont beaucoup plus nombreuses [et s’appuient sur la « législation »].

Le droit du mandat britannique :

Il donne [par exemple] à l’autorité en charge des territoires occupés le droit de réquisition pour les routes, canalisations, eau douce, eaux usées,….; et comme les nouvelles colonies ont besoin de ces équipement, la terre est confisquée.

[autre exemple] : le mandat britannique avait décidé que les terres ayant plus de 50% de pierres n’étaient pas valables pour l’agriculture ; or 70% de la Cisjordanie est faite de montagnes [pierreuses]……[Cette loi a servi à exproprier].

le droit ottoman :

Il a été en vigueur pendant 5 siècles sur la Palestine, c’est un droit islamique.

Il stipule que 10 % des terres peuvent être donnés aux miséreux [les israéliens l’ont invoqué pour récupère des terres au nom de l’état ??].

Si des terres étaient laissées à l’abandon – non exploitées – pendant 3 ans consécutifs, elles pouvaient être récupérées par l’administration ottomane. Israël a aussi utilisé cette loi. « Israël est devenu un état islamique » !

Pour appliquer ce dernier règlement Israël prend des photos aériennes des terres 2 fois par an, en mai et novembre. Or en mai c’est après les récoltes et l’on ne voit donc plus que c’est cultivé, et en novembre c’est avant les labours et on ne peut établir non plus que c’est cultivé….

Jayyus est un exemple de ce qui se passe partout ailleurs :

En 1983, 120000 dunums (1200 ha, 1 ha = 10 dunums)) ont été réquisitionnés pour installer une décharge. Le 30 octobre 1988, 1362 dunums ont encore été pris.

Pour exemple : après 3 procès au tribunal (terres réquisitionnées à partir de la législation issue du mandat britannique), les trois commissions ont déclaré impropres à l’agriculture des terres que j’ai pourtant réussi à cultiver. Sur les 79 agriculteurs qui s’étaient opposés à la spoliation du 30 octobre 1988, 18 ont tout perdu, quelques-uns ont perdu une partie. D’ailleurs les israéliens s’étaient installés sur des terres sans même attendre le jugement, sauf sur celles qui avaient des amandiers et des oliviers [pour lesquelles il n’était pas possible de les faire passer pour des terres non cultivées]. Mais toutes les terres qui n’avaient pas d’arbres ont été perdues. Quand aux autres elles ont [quand même] eu leurs arbres arrachés en 2004.

Nous avons demandé l’aide des Institutions européennes mais ça n’a pas réussi. Nous sommes en procès auprès de la Haute Cour israélienne, mais pas de réponse…

Il y a eu des heurts entre les agriculteurs et l’armée israélienne. Un agriculteur a demandé pourquoi ils venaient prendre les terres,

– un officier a répondu : »elles ont été achetées », – L’agriculteur a rétorqué « puis-je vendre votre automobile ? –  » Bien sûr que non » a répondu l’officier, – « Alors comment pouvez-vous vendre ma terre ? », – « Ce n’est pas de ma responsabilité, je ne fais qu’exécuter les ordres »…

Autre exemple : on a déclaré « zone archéologique » puis on a arraché les arbres.

* Le Mur n’est pas construit sur la frontière [ligne verte] mais rentre très largement à l’intérieur. Il a ainsi permis aux israéliens de récupérer 58% sur les 22% de territoires laissés aux Palestiniens [« Territoires occupés »], soit 8,3 % de la Palestine….

De plus cette portion n’est pas uniforme (Shareef explique le découpage du territoire, l’éclatement et la réalité d’un territoire-prison avec 5 prisons : le nord de la Cisjordanie coupé en 2, Jérusalem, le sud séparé aussi en 2, et enfin Gaza).

[A Jayyus, il y a deux points de passage du mur : porte 24 et porte 25 – voir le témoignage de Shareef ici ]. Au point de passage 25, le 6 avril 2005 un décret de spoliation a été pris à son encontre (Sheerif) pour construire un nouveau chemin longeant le mur jusqu’à la porte 24, prenant 9 dunums (officiellement) mais en fait 20. La porte 25 devait être définitivement fermée, ce qui obligerait les gens à passer par la porte 24 beaucoup plus loin au nord.

Une protestation a alors été déposée auprès de la Haute cour israélienne (depuis 1988 toutes décisions concernant les problèmes de terre ne sont plus du ressort des tribunaux palestiniens). Mais celle-ci n’a pris aucune décision. [En même temps les agriculteurs ont mené une action et campé pendant trois jours et la porte a été réouverte ?].

La fermeture de la porte 25 oblige les agriculteurs à faire 8,5 km au lieu de 4 km et jusqu’à 12,5 km pour ceux qui ont les terres les plus éloignées (et autant au retour). Tout ça à pied et avec des ânes.

Quant aux tracteurs, il y en a 16 à Jayyus, mais [la plupart ?] sont hors service par manque de ressources. En outre depuis juillet 2003 il faut une autorisation pour les utiliser et le 30 août 2005 une interdiction totale était prise par les israéliens. Mais face aux manifestations des associations il était question de les ré-autoriser à partir du 5 septembre….

Toutes ces décisions n’ont qu’un seul objectif : obliger les habitants de Jayyus à laisser leurs terres. Toutes les terres agricoles sont visées et dès que celles-ci ne sont plus cultivées elles sont réquisitionnées.

Dans la région de Jérusalem une déclaration de réquisition de dizaines de milliers de dunums a été prise pour rattacher les terres à la colonie de Ma’ale Adumin. Celle-ci sera portée à une superficie de 1,5 fois celle de Tel-aviv avec pour objectif déclaré (25 août 2005) de la porter à 1 million d’habitants qui se rajouteront aux 600000 de Jerusalem.

Les 120000 Palestiniens de Jérusalem sont exclus.

Dans le camp de Qalandiya (80000 Palestiniens) l’eau et l’électricité sont payées à la municipalité de Jérusalem dont ils font partie. Désormais ils sont considérés comme extérieurs et n’ont plus le statut d’habitant de Jérusalem. Jérusalem – Est va être réduit à une goutte d’eau dans un océan.

L’objectif principal du Mur n’est pas la sécurité mais bien le vol de la terre et de rendre impossible un état Palestinien. C’est en 1979 que le Dr. Soffer a établi ce plan du Mur, les statistiques prévoyant qu’en 2020, 60% de la population seraient palestinienne ; ce n’était donc pas conforme à l’idéologie sioniste. Les israéliens cherchent à pousser hors de Palestine 1 million de Palestiniens…../…..

II-La question du retrait de la bande de Gaza

Gaza : Le point principal est de savoir ce que signifie le retrait israélien de Gaza. Le gouvernement français et les européens ont félicité Sharon pour le retrait mais en fait il n’est ni dans l’intérêt de Gaza, ni de la « Feuille de route ».

Au nom de toutes les associations Shareef précise que la feuille de route est très loin du minimum des aspirations du peuple Palestinien, mais que faute d’autres moyens, ils l’acceptent. il précise qu’il ne représente pas l’Autorité Palestinienne mais les Associations Populaires.

Si Gaza a été évacué c’est parce que cela représentait un problème trop important pour les israéliens. 1,1 millions de Palestiniens sur le territoire ne permet pas de vivre [tranquille aux colons]. Les israéliens ne peuvent arrêter la révolte, les tunnels pour faire passer les armes, etc… Donc leur intérêt est de se retirer et surtout d’utiliser Moubarak pour bloquer la bande de Gaza. [En effet] en fonction des accords de retrait actuels, les soldats égyptiens contrôlent la frontière nord et évitent le trafic d’armes.

Israël pousse à une guerre civile entre Palestiniens. Israël a toujours su diviser : à Camp David il a séparé l’Egypte du reste du monde arabe, aujourd’hui il laisse seule la Cisjordanie.

Les 7500 colons retirés de Gaza ont reçu 400000 $ par famille ; il y a eu mise en scène de « l’ampleur du sacrifice »….

A Jayyus la colonie de Zofin créée en 1990-1993 a 176 habitations. L’armée a annoncé 1500 habitations supplémentaires donc une augmentation de plus de 8 fois. « Zofin Nord » va être construite sur les terres confisquées. [C’est pour reloger une partie des colons de la bande de Gaza].

Conclusion et appel au soutien

Les Internationaux qui viennent nous soutenir sont la preuve que nous ne sommes pas seuls. Ce que nous attendons de vous , c’est qu’après avoir écouté notre situation vous portiez l’information et créiez une majorité de pression auprès du gouvernement français pour qu’il reconsidère sa position. Le gouvernement français a eu une place déterminante dans le boycott de l’Afrique du sud. Nous pouvons espérer qu’il fasse la même chose vis-à-vis d’Israël. Venez nous voir et vous porterez vos paroles à partir de votre propre expérience et non de ce que je peux vous dire.

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