Avec une telle incarnation de la gauche, Israël a-t-il besoin d’une quelconque droite ? Une déconstruction de David Grossman

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le 18/11/2006 8:50:00 (744 lectures)

A4-533Article de Gilad Atzmon publié le 9 novembre 2006 sur son site . L’auteur est musicien de jazz et écrivain. Radicalement anti-sioniste, il a quitté Israël après son service militaire pour s’installer en Grande-Bretagne

Gilad Atzmon déconstruit dans cet article le discours pseudo humaniste et universaliste de l’intellectuel israélien en vogue, David Grossman.

Derrière sa vitrine d’homme de gauche, David Grossman ne propose rien d’autre que la bonne vision sioniste caractéristique, mélange d’admiration grossière pour l’Etat d’Israël, de croyance au mythe de l’universalisme juif, de racisme «suprématiste» juif et de paternalisme colonialiste.

Le sionisme de la gauche laïque représenté par David Grossman n’a rien à envier à celui de droite au point de se demander si Israël a encore besoin d’une droite. Et notre intellectuel se trompe décidément toujours lorsqu’il envisage la solution à deux Etats car la Palestine est Une et ne sera jamais partagée.


Le monde, apparemment, est en train d’offrir une ovation debout au nouvel orateur israélien dans le vent, l’écrivain David Grossman. Les relations publiques israéliennes ont désespérément besoin d’un intellectuel honnête, d’un auteur qui « tienne un langage de paix », d’un homme qui prêche la « réconciliation ». Bref, d’un homme de shalom [et non d’un homme de paix, la nuance est loin d’être mince… NdT] Hier, le quotidien britannique The Guardian a publié le discours d’hommage prononcé par Grossman, la semaine dernière, lors de la cérémonie à la mémoire d’Yitzhak Rabin, à Tel Aviv.

Grossman est un « Israélien éclairé ayant de la bouteille », c’est un sioniste de la gauche light, qui aspire à un certain changement. J’ai lu son discours, et je dois dire que, bien que son auteur soit considéré par d’aucuns comme un intellectuel israélien de gauche, je ne vois rien d’autre, dans son speech, que la bonne suprématie juive pur sucre, et même le vieux programme sioniste raciste sans fard. Grossman, à l’instar de beaucoup de ses concitoyens israéliens, est totalement immergé dans un discours chauvin siono-centré, un discours de déni de la cause palestinienne, en particulier de ce qu’elle comporte de plus essentiel : le droit au retour .

J’ai rassemblé et souligné certains passages outranciers du discours de l’orateur ascensionnel de la gauche hébraïque.

Grossman et le mythe des « valeurs juives universelles »

Grossman, cet Israélien que certains parmi nous se plaisent à aimer, nous offre un aperçu magistral de la mentalité sioniste laïque . « Je suis », dit-il, parlant de lui-même, « un homme totalement dépourvu de croyance religieuse . » Mais Grossman ne s’en tient pas là. ; il affirme : « Pour moi, la création – et l’existence même – de l’État d’Israël tient d’un miracle, qui nous est advenu, à nous, en tant que peuple ; un miracle politique, un miracle national, un miracle humain… »

Alors, je me demande, comme ça :

« Mais… depuis quand un laïc croit-il aux miracles ? »

Il faut sans doute rappeler à notre « intellectuel israélien agnostique » qu’un miracle, c’est « un effet, ou un phénomène extraordinaire, dans le monde physique, surpassant toutes les puissances naturelles connues par la raison de l’homme, et attribuable, par conséquent, à une cause surnaturelle. »

De fait, Grossman, comme beaucoup d’Israéliens, a réussi à nous inventer une nouvelle forme d’agnosticisme : il s’agit de rien moins que d’un athéisme « référant à certaines causes surnaturelles » !

Très bizarrement, les laïcs sionistes sont quasiment des orthodoxes fondamentalistes de leur nouvelle religion pathétique. Puis-je filer un coup de main à Grossman et lui suggérer l’idée qu’Israël n’a strictement rien d’authentiquement héroïque, ni, encore moins, de miraculeux ?

Israël est un vulgaire État raciste ultra-nationaliste. Point barre. Si le relatif succès d’Israël semble miraculeux à d’aucuns, c’est simplement parce qu’il a fallu deux ou trois générations à ses voisins arabes pour parvenir à s’adapter au niveau atteint par le sionisme dans la barbarie.

D’après Grossman, Israël aurait dilapidé ce fameux « miracle », cette « immense et précieuse opportunité que l’Histoire lui aurait offerte – celle de créer un État démocratique et éclairé fonctionnant correctement et agissant conformément aux valeurs juives et universelles. »

À suivre la vision de l’esprit juif que nous propose Grossman, les Lumières et la démocratie sont étrangers aux juifs, et leur occurrence dans la sphère juive doivent donc être perçue comme un miracle. Sans doute sans en avoir conscience, Grossman avoue ici que les « Lumières » et la « démocratie » sont antithétiques de la mentalité juive.

En cela, ce courant intellectuel n’a rien de particulièrement nouveau, ni de particulièrement original. En effet, les premières générations d’idéologues sionistes pensaient qu’à Sion, un nouveau juif émergerait : un juif civilisé, laïc, démocrate et éclairé, qui se rebellerait contre son ancêtre diasporique moralement dégénéré…

Mais il y a plus préoccupant : Grossman cherche délibérément à embobiner ses lecteurs en faisant référence à des « valeurs juives universelles », comme si ces valeurs n’étaient rien d’autre qu’un lieu commun admis par tout un chacun. Aussi bizarre cela que cela puisse paraître à certains, il n’existe aucun ensemble universellement reconnu de « valeurs juives universelles. »

Existerait-t-il un seul ouvrage explicitant cette notion de « valeurs juives universelles » ? Je ne le pense pas.

S’il est un ensemble de valeurs qui peut être considéré incarner des « valeurs juives universelles », c’est bien celui qui est véhiculé par le consensus juif. Ainsi, les juifs de la Torah, qui soutiennent sincèrement la cause palestinienne, savent certainement, quant à eux, ce que sont des valeurs universelles.

Le hic, c’est que Grossman se revendique laïc. Ce n’est donc certainement pas à l’interprétation juive orthodoxe qu’il pense lorsqu’il se réfère à une universalité juive.

En fait, c’est le christianisme qui donne du judaïsme une traduction dans un système universel de valeurs.

C’est le christianisme, qui transforme le « voisin » en un « prochain universel ».

Il y a sans nul doute beaucoup d’humanistes universalistes qui se trouvent être d’origine juive. Mais il n’existe aucun ensemble reconnu de « valeurs juives universelles ». Grossman et les autres intellectuels juifs qui répandent le mythe de je ne sais trop quel « universalisme juif » ne font que se tromper eux-mêmes et tromper ceux qui les écoutent. De plus, le fait que le sécularisme juif soit exempt de support philosophique explique peut-être la banqueroute morale généralisée de l’État juif. Comme nous allons le lire sans tarder, Grossman tombe personnellement dans le même piège. Il a peut-être conscience de l’existence d’un concept tel la moralité, mais il est incapable de proposer une quelconque vision morale du monde qui ait une quelconque cohérence. Il a peut-être conscience des effets négatifs du racisme, mais il tombe lui-même, la tête la première, dans la bigoterie suprématiste, avec une facilité déconcertante…

Grossman, un raciste éhonté

Grossman est assez courageux pour ouvrir les yeux et reconnaître que « la violence et le racisme » se sont emparés de son chez-soi, Israël. Jusqu’ici, pas de problème. Pendant une seconde, je veux bien admettre que Grossman est véritablement un juif laïc éclairé anti-raciste.

Mais, dès la phrase suivante, il demande : « Comment se fait-il qu’un peuple ayant nos capacités de créativité et de régénérescence » a réussi à se trouver, de nos jours « dans un tel état de faiblesse et d’impuissance » ?

Tout lecteur critique est fondé à se demander à quoi Grossman fait en réalité allusion quand il évoque « un peuple ayant nos capacités de créativité et de régénérescence » ?

C’est très simple :

Grossman est authentiquement persuadé du caractère unique du peuple élu. Autrement dit, Grossman n’est rien d’autre qu’un déterministe biologique.

La question à poser, dès lors, est la suivante : comment se fait-il que le Guardian consacre trois pages à un suprématiste juif ?

Je pense que les juifs jouissent de certaines libertés qui sont déniées au reste de l’humanité. Ainsi, par exemple, il m’est difficile de croire que le Guardian ouvrirait ses colonnes à un philosophe allemand glorifiant « les capacités de créativité et de régénérescence » du peuple aryen.

Or, d’une manière ou d’une autre, un juif intellectuel peut faire ce qui revient exactement au même, en s’en tirant à bon compte.

Bien que Grossman ait l’honnêteté d’admettre que les Palestiniens aient choisi le Hamas pour les diriger, il appelle Olmert à « s’adresser aux Palestiniens en passant par-dessus la tête du Hamas ; à s’adresser aux modérés parmi eux… à ceux qui, comme vous et moi, sont contre le Hamas et son idéologie. »

Dites-moi, Monsieur Grossman… Si vous êtes vraiment un humaniste universaliste, ce dont je doute fortement, vous feriez bien mieux d’apprendre à écouter le Hamas, plutôt que vous adresser aux Palestiniens par-dessus la tête de leurs dirigeants élus…

Grossman, à l’évidence, est incapable de respecter ses voisins, dont il ne respecte pas les choix démocratiques. De manière générale, je suggère que nous nous départissions de la méthode exécrable et minable consistant à passer par-dessus la tête de qui que ce soit, pour nous adresser à Bush et à Blair. Les intellectuels ont le privilège d’écouter et d’agir de manière éthique ; ils doivent s’en montrer dignes.

Grossman-la-Victime

Mais la chutzpah juive grossmanienne va encore plus loin : « Regardez les Palestiniens, ne serait-ce qu’une seule fois », dit-il à Olmert. « Vous verrez un peuple non moins torturé que nous le sommes nous-mêmes. »

Non ; ça n’est pas une blague ! Grossman, ce juif colonialiste qui se pavane dans les territoires palestiniens occupés en pratiquant l’épuration ethnique d’une nation indigène, regarde ses victimes palestiniennes terrorisées tout en disant : « Les Palestiniens sont presque aussi torturés que je le suis moi-même » ! ? !…

Voilà probablement qui dit tout, et le reste. Cela résume le niveau atteint par la cécité de la siono-gauche. Vraiment : si ça, c’est la gauche israélienne, Israël a-t-il encore besoin d’une droite ?

Et, de fait, dans sa conclusion, Grossman le reconnaît : « Les différences entre la droite et la gauche ne sont plus tellement importantes, de nos jours. » Exact. A l’aune du discours politique européen, Grossman, cet icône intellectuel de la gauche israélienne, n’est rien d’autre qu’un banal néocon de droite. Grossman est un homme qui prêche le racisme, au nom de la bonne volonté. C’est un homme qui parle par-dessus la tête des autres.

Grossman et la « solution » à deux États

Grossman se trompe lui-même, ainsi que ses auditeurs, en disant que « la terre sera partagée, et il y aura un Etat palestinien. »

Vous avez en partie tort, Monsieur Grossman. Cette terre ne sera jamais partagée.

Je vais parler très simplement, afin que vous et vos rares semblables sionistes de gauche puissent ouvrir les yeux, une bonne fois pour toutes :

La Palestine, c’est une terre. Israël, c’est un État.

La Palestine sera toujours la Palestine, c’est-à-dire : une terre.

Israël, en revanche, est un État nationaliste raciste, qui disparaîtra.

Cette terre de Palestine ne sera pas divisée. Elle sera réunie en Une Unique Palestine. Plutôt que vouloir perpétuer un État nationaliste raciste, j’invite Grossman et ses amis à rejoindre le mouvement palestinien.

Un mouvement qui fait sienne l’égalité en terre de Palestine.

Cette Palestine, où les valeurs sont authentiquement universelles.

Gilad Atzmon

Traduction française originale de  M. Charbonnier, révisée par F. Giudice, membres de Tlaxcala (www.tlaxcala.es) réseau de traducteurs pour la diversité liguistique.

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