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L’Impérialisme au Moyen-Orient

libya_syria_iran[1]Article du Comité Action Palestine issu d’une conférence-formation organisée en 2009.

« La guerre c’est la continuation de la politique par d’autres moyens. La politique c’est la continuation de la guerre par d’autres moyens » Carl von Clausewitz.

L’offensive menée par Israël contre le peuple palestinien entre décembre 2008 et janvier 2009 n’opposait pas seulement une armée d’occupation à un mouvement de résistance populaire. En effet, cette confrontation fut marquée par la participation de plusieurs protagonistes. Les peuples arabes et musulmans et les organisations soutenant la cause palestinienne ont à juste titre dénoncé une coalition d’états unis dans une volonté de briser la résistance palestinienne. La coalition impérialiste-sioniste et ses régimes supplétifs arabes constitue à cet égard un bloc de forces politique et militaire partageant historiquement de nombreux intérêts en particulier celui d’écraser ou de contenir le cas échéant toutes les formes de résistances à l’ordre qu’elles ambitionnent de maintenir au Moyen-Orient comme ailleurs et singulièrement en Palestine.

La politique impérialiste et sioniste au Moyen-Orient : une politique de l’asservissement

Il est primordial de garder à l’esprit que l’objectif politique du camp impérialiste-sioniste n’a jamais varié. Il ne cherche pas la paix pas plus que la démocratie, les droits de l’homme ou le multilatéralisme. Il lutte sans partage pour sa suprématie. L’impérialisme c’est la politique de défense des intérêts du capitalisme dominant, l’exploitation et l’oppression mondialisée de territoires et de peuples captifs de régimes complices ou bien colonisés. A cette logique économique correspond un ordre géopolitique impérialiste destiné au contrôle des ressources naturelles et des routes commerciales stratégiques ainsi qu’à la conquête des marchés. C’est une banalité que de le dire, mais c’est une banalité décisive. Nombre d’entre nous, surtout en Occident, se laissent bercer par les prétendues volontés de paix et les institutions juridiques à vocations universelles que les puissances occidentales ont érigées. Le lien qui uni le monde occidental et ses implantations coloniales au domaine de l’indigène n’est que celui de l’asservissement par la violence et la ruse. Pour s’engorger matériellement, pour produire et s’enrichir, ce monde ne peut définir qu’une politique. Il ne peut établir qu’un rapport géopolitique entre lui , le Centre, et sa périphérie : l’asservissement.

Oslo-Gaza : les deux faces d’une même politique

Oslo et Gaza sont une même politique. Ce sont deux modes d’intervention induit par les rapports de force et les circonstances politiques du moment destinés à atteindre un but identique. Les accords et le « processus de paix » d’0slo, en 1993, furent les sceaux d’eau que lancèrent les forces coloniales afin d’éteindre le feu de la révolte populaire palestinienne qui depuis 1948 n’avait connu pareille ampleur sur le sol de la Palestine historique. En 1993, le plan de « paix » avait précisément pour objectif de désamorcer la dynamique de développement d’une résistance organisée opérant contre le système colonial sioniste à partir du territoire palestinien. Les attaques contre Gaza en décembre 2008 et janvier 2009 montrent également qu’Israël et ses alliés se trouvaient devant la nécessité de briser la résistance palestinienne portée par le mouvement de la résistance islamique, Hamas, hégémonique tant sur le front de la résistance palestinienne que dans les champs politique et idéologique. D’un côté, la politique des négociations fut utilisée pour poursuivre l’expansion sans recourir à la confrontation armée, de l’autre, l’attaque militaire fut menée en vu d’étrangler le mouvement de résistance en frappant sa base populaire et ses infrastructures. Dans un premier temps, la stratégie consistait à s’appuyer sur une classe dirigeante palestinienne supplétive de l’ordre colonial associées et rétribuée par son économie, encaissant les dividendes de l’occupation et relayant localement le processus de colonisation. La période qui s’ouvre révèle de profondes modifications dans le face à face qui oppose l’occupant israélien au palestinien et plus globalement le camp impérialiste-sioniste, ses régimes supplétifs arabe aux forces anticoloniales dans la région.

L’évolution du rapport de force régional : l’affaiblissement du camp impérialiste-sioniste

Sur le plan interne palestinien, on a assisté à la destitution d’une classe dirigeante, remplissant la fonction lucrative de gestion de l’appareil administratif et sécuritaire que le colon leur avait confié et qu’il utilisait à son avantage grâce à leur concours, par une force de résistance organisée politiquement, idéologiquement prédominante et militarisée c’est-à-dire déployée pour vaincre l’ennemi.

Sur un plan régional, l’ordre impérial occidentale-sioniste imposé depuis la disparition de l’Empire Ottoman vacille et trébuche. Premièrement, l’émergence d’un axe rassemblant une puissance régionale telle que l’Iran, une puissance intermédiaire syrienne et un mouvement de résistance libanais capable de mettre en échec successivement à deux reprises les offensives de l’armée israélienne et de ses alliés occidentaux reflète un bouleversement majeur des rapports de force géopolitiques dans le Proche-Orient post-Ottoman. Deuxièmement, l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, c’est-à-dire l’implication directe des forces impérialistes dans des zones conflits engageant leurs intérêts stratégiques, libère des espaces politiques et des ressources stratégiques à l’avantage des forces étatiques ou populaires objectivement adversaire de l’ordre occidental.

Les cibles régionales du bloc impérialiste-sioniste

La guerre des belligérants du club de l’Otan contre l’Irak et l’Afghanistan a renforcé l’Iran. Le fleuve de la puissance iranienne retrouve progressivement son lit, en d’autres termes, ce qui historiquement constitue ses zones d’influence géopolitique, l’Irak et Afghanistan. Un mouvement qui s’articule à un développement autocentré de ses capacités productives et commerciales, d’un côté, et, de l’autre, à l’accroissement significatif et qualitatif de ses forces technologiques et militaires comme en témoigne le lancement de plusieurs satellites de fabrication iranienne ainsi que les progrès réalisés dans le domaine du nucléaire civil et militaire en passant par le renforcement de sa puissance de frappe militaire. A présent, l’Iran a statut de puissance régionale. Un statut qui rompt la loi que fait régner l’attelage occidental et sioniste dans la région. Une règle incontournable basée sur le déséquilibre des puissances et la capacité de dissuasion instaurés en faveur d’Israël par les forces impérialistes française, anglaise et leur successeur américain.

Le cas de l’élément syrien est plus ambivalent. La position de l’Etat syrien sur l’échiquier des rapports de force dans la région le place incontestablement dans une situation antagoniste à l’égard du bloc impérialiste-sioniste. A la différence des Etats saoudien, égyptien ou jordanien qui s’intègrent en tant qu’Etats clients et supplétifs au dispositif géopolitique et militaire établit par les puissances occidentales dans la région, les intérêts stratégiques de l’Etat syrien se confrontent à ceux de la coalition puisque ses axes de projection stratégique extraterritoriaux, si l’on se borne à ce paramètre, sont sur un plan historique et géopolitique identiques à ceux qui sont vitaux pour Israël en terme de profondeur stratégique et de zone de protection. Du Liban jusqu’au territoire syrien du Golan, les guerres qui opposèrent directement ou indirectement la Syrie à Israël et ses alliés occidentaux découlent de cet antagonisme structurel. La stratégie des forces occidentale et sioniste consiste en effet à déposséder la Syrie de ses atouts stratégiques d’une part, et, de faire peser une pression politique constante de façon à l’isoler, la déstabiliser et l’affaiblir économiquement et militairement d’autre part. L’objectif fut de pousser la Syrie hors du Liban et de réduire en conséquence son influence sur le terrain palestinien. Néanmoins son influence au Liban persiste puisque la Syrie a toujours su, qu’elle soit présente ou non sur le sol libanais, recomposer efficacement ses alliances libanaises en instrumentalisant stratégiquement les contradictions internes comme le reflète le soutien politique et militaire apporté au bloc nationaliste mené par le Hezbollah et opposé aux tendances pro-impérialistes anti-syriennes.

Cependant, les relations qu’entretient l’Etat syrien avec l’impérialisme sont en même temps d’une autre nature surtout depuis le démantèlement du bloc soviétique sa puissance protectrice et ressource dans le contexte bipolaire de l’après deuxième guerre mondiale. Son engagement au sein de la coalition occidentale dans la guerre contre l’Irak en 1991 puis l’ouverture de son espace aérien aux avions américains lors de l’invasion de l’Irak en 2003, montre la dépendance relative et le caractère contradictoire de la géopolitique syrienne dans son rapport à l’impérialisme. Certes, l’Etat irakien est dans une certaine mesure un rival historique expliquant l’opportunité de son affaiblissement pour l’Etat syrien. Reste que son démantèlement et l’occupation américaine permet à l’impérialisme de se doter de moyens de pression supplémentaires sur la Syrie.

Ce qui en réalité détermine la politique extérieure de l’Etat syrien c’est précisément une politique d’alliance avec l’ensemble des forces autochtones et allogènes présentes dans la région et la conservation de ses atouts stratégiques que sont le Liban et la Palestine afin d’annuler l’action des forces hostiles tout en tentant de développer des forces militaires de dissuasion. Partenaire circonstanciel de l’Otan, alliée privilégié de la Russie et de la Chine dans la région, de l’Arabie Saoudite et l’Iran pourtant en concurrence intense pour le leadership, alliée des mouvements de résistance populaire armés du Hamas et du Hezbollah, la Syrie protège habilement ses intérêts d’Etat. Une autonomie relative construite à partir d’un système d’alliance équilibré entre les pôles antagonistes structurant les rapports de forces régionaux.

Si l’on considère l’axe palestinien-syrien-iranien-libanais, on peut penser que celui-ci s’inscrit dans une dynamique de renforcement compte tenu des antagonismes régionaux mais plus particulièrement de l’antagonisme fondamental que génèrent les intérêts vitaux de l’entité coloniale sioniste. Il faut en effet rappeler une donnée essentielle. L’existence durable d’Israël n’est possible que si l’Etat juif parvient à maintenir son hégémonie et sa supériorité militaire au Moyen-Orient. Ce qui suppose de sa part et de ses alliés impérialistes de pouvoir modifier la cartographie sociale et géopolitique de la région. C’est-à-dire de réaliser le projet historique colonial non-abouti définit par les accords de Sykes-Picot signés entre anglais et français en 1916 prévoyant le démembrement du Moyen-Orient en quantités de provinces et d’Etats faibles soumis et rivaux. La Palestine, l’Iran, la Syrie, le Liban, l’Irak et l’Afghanistan sont des zones échappant relativement au contrôle impérialiste. En Irak, l’attaque de la coalition bien qu’ayant provoqué la destruction de l’Etat et de la menace qu’il représentait aux yeux des occidentaux et de l’entité sioniste a néanmoins permis le renforcement de l’Iran comme nous le soulignions plus haut. Mais l’invasion de l’Irak a engendré une instabilité politique libérant des forces hostiles que les agresseurs sont incapables de maîtriser. Au Liban, la puissance du Hezbollah, sa supériorité militaire par rapport aux factions rivales, ses capacités organisationnelles et son pouvoir de mobilisation se sont traduits par les victoires remportées contre Israël et les organisations libanaises qu’il instrumentalise. L’émergence de ce mouvement ouvre un front de résistance dans une zone limitrophe de l’Etat sioniste auquel s’articule le front de résistance interne palestinien. Soumis au blocus, confronté à l’expansion sioniste, le mouvement de résistance palestinien s’est en retour significativement renforcé en parvenant à libérer Gaza et la défendre, et en mobilisant le peuple palestinien sur un projet d’indépendance nationale. Au reste, la constitution d’un front reliant objectivement les forces étatiques iranienne et syrienne aux forces de la résistance populaire palestinienne et libanaise marque l’essor d’un rapport de force défavorable au camp impérialiste-sioniste et ses agents locaux. De même, si l’occupation de l’Afghanistan par l’armée américaine a eu pour effet dans un premier temps de repousser l’ascension et la prise de pouvoir du mouvement taliban, celui-ci est parvenu à se réorganiser et à rétablir une influence prépondérante sur les tribus et les communautés familiales locales au point de se développer significativement au Pakistan et de déstabiliser le régime pakistanais allié de Washington.

L’impérialisme et le sionisme sur la pente du déclin

Quant à la puissance et l’hégémonie du consortium impérial-sioniste, elles déclinent. D’abord parce que ses ambitions engendrent des pôles de résistance dont les ressources et la puissance augmentent à mesure que l’Occident projette ses forces enclenchant ce que Clausewitz appelle un phénomène d’engrenage d’engagements non maîtrisés qui procurent à ses adversaires les facteurs du renforcement de leur puissance. Enfin, l’Occident est miné par des contradictions internes dues à son mode de fonctionnement économique. La récession l’ampute de moyens financiers considérables le privant du soutien de sa population, le contraignant à la politique de négociation avec l’Iran. Ceci n’est qu’un leurre mais à coup sur le signe d’un réel affaiblissement.

Comité Action Palestine