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Le traitement humanitaire de la Nakba ou le sacrifice du droit au retour

Cet article traite d’une question rarement analysée, celle de la fiction d’un prétendu droit international protégeant les Palestiniens, et en particulier les réfugiés dont le droit au retour chez eux est toujours nié. Si ce droit est une fiction pour la réalisation des revendications palestiniennes, il est en revanche une réalité positive pour les sionistes quand il participe de la transformation de la question politique de ce droit au retour en question humanitaire et morale. L’humanisme est bien une violence quelque part lorsque le dominant en use pour maintenir l’ordre injuste qu’il a lui-même créé (Comité Action Palestine).

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par Lina Kennouche (pour l’Orient le Jour, le 14 mai 2016)

La logique réparatrice, de compensation subvertit le principe de la revendication politique des droits d’un peuple.

Le 14 mai est commémoré par les Palestiniens comme le jour de la Nakba (la catastrophe), épisode traumatique d’un processus colonial antérieur à 1948, et qui se perpétue encore aujourd’hui. Le 15 mai 1948, les opérations d’épuration ethnique et la dépossession planifiée poussent plus de 700 000 Palestiniens à l’exode. Dans son livre, La naissance du problème des réfugiés palestiniens (1987), Benny Morris, qui fut considéré comme l’un des pionniers des nouveaux historiens israéliens, relate dans le détail l’ampleur de cette entreprise de nettoyage ethnique. Dans une interview retentissante qu’il livre au journal Haaretz le 8 janvier 2004, Benny Morris aborde cette dimension terrifiante de la Nakba en légitimant les exactions commises en ces termes : « Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient le nettoyage ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif dans le discours du XXIe siècle, mais quand le choix est entre le nettoyage ethnique et le génocide – l’annihilation de votre population –, je préfère le nettoyage ethnique », une rhétorique de la menace existentielle, vieux ressort de la stratégie coloniale, qui a de tout temps servi à justifier les pires atrocités. Pourtant, en réalité, c’est la résolution 181 des Nations unies qui a constitué l’acte fondateur de la Nakba, en recommandant le partage et la spoliation des droits d’un peuple. Elle contenait en germe les ingrédients d’une destruction irréversible d’une présence en Palestine dont la continuité historique est établie depuis le VIIe siècle. Cette responsabilité originelle de la communauté internationale se confirmera à travers une gestion « humanitaire » des effets de la Nakba. Dans cette approche, la communauté internationale a longtemps sous-traité pour le compte de l’État d’Israël le problème des « réfugiés » palestiniens, catégorie soumise à un régime juridique particulier.

Traitement apolitique

La résolution 194 adoptée le 11 décembre 1948 est la première fissure dans la reconnaissance juridique de l’existence d’un « peuple palestinien » disposant du droit inaliénable à l’autodétermination. Elle introduit une réparation à titre individuel aux Palestiniens qui renonceraient à leur droit au retour sur leur terre : « Des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé, lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doivent être réparés par les gouvernements ou autorités responsables ». Un an après, la résolution 302 donne naissance à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) dont la mission est de « fournir une assistance humanitaire, autant que cela est possible, dans l’urgence et en tant que mesure temporaire (…) » aux personnes « déplacées et ayant un réel besoin d’assistance immédiate suite aux récentes hostilités ». Un nouvel instrument juridique est donc mis en place pour soustraire le statut de réfugié palestinien au régime juridique international de protection, applicable à l’ensemble des réfugiés dans le monde et relevant du HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) et de la Convention de Genève de 1951.

Ce traitement différentiel qui place les réfugiés dans une situation de précarité et les soumet à l’arbitraire des pays d’accueil traduit le renoncement à une solution politique permanente au problème. L’absence d’assise juridique qui favoriserait une solution juste au sort des réfugiés palestiniens est en même temps une négation de la nature politique de cette question, circonscrite au domaine humanitaire. La démarche humanitaire se résume alors à une logique réparatrice, de compensation qui subvertit le principe de la revendication politique des droits d’un peuple. Elle se présente comme une posture éminemment moraliste. Or, l’approche apolitique conduit à une neutralité fictive. Elle transforme le problème des réfugiés palestiniens en question humanitaire et en revendication individuelle, en traitant moralement les conséquences de la négation de l’existence d’un peuple exclu de sa terre, et du droit collectif à l’autodétermination ; la communauté internationale cautionne donc et sous-traite les conséquences d’un processus colonial d’anéantissement de tout un peuple.

Depuis 2011, et dans un contexte marqué par la multiplication des crises régionales, la gestion humanitaire des réfugiés palestiniens tend à faire place à la liquidation de ce problème. Sous couvert de promotion du droit au retour, les pays arabes d’accueil ont mené des politiques d’asile discriminatoires à l’endroit des réfugiés palestiniens. Alors que ces derniers sont souvent marginalisés dans les sociétés d’accueil, entassés dans des camps, l’extrême précarité finit par encourager les départs, leur dispersion et la perte d’identité collective. Si le statut du réfugié palestinien varie bien en fonction de la législation des pays d’asile, qu’ils se trouvent au Liban, en Jordanie ou en Syrie, de manière générale, les Palestiniens des camps sont dans une situation de vulnérabilité, une vulnérabilité renforcée dans le contexte de violence politique. La destruction de camps palestiniens en Syrie et le déplacement des populations restent une conséquence oubliée de la crise.
Soixante-huit ans après l’expulsion originelle des Palestiniens, le diagnostic alarmant de leur vie dans les camps et le nouvel exode face aux conflits qui secouent la région servent la stratégie de liquidation des droits universels.

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