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Le soulèvement populaire éloigne-t-il les foules des factions ?

Al-Akhbar – Eliyya Ghreibeh

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Le « soulèvement populaire palestinien » est mené par une tranche jeune, de façon spontanée ou individuelle, loin des cadres organisationnels et factionnels. Ceux-là se plaignent de « l’état de désespoir » en raison des fruits amers récoltés lors des années de négociations, de résistance populaire et de division des factions.

Les Palestiniens craignent que l’entrée des factions nationalistes et islamistes dans le soulèvement populaire emmené par les jeunes n’ait un effet négatif, d’autant que les opérations de ces jours-ci sont porteuses d’un caractère individuel et non pas organisationnel. C’est principalement cela qui rend incapables les Israéliens d’y mettre un terme, alors que d’autres pensent qu’il faut que les factions soutiennent les foules afin que leurs efforts réussissent. Les factions pourraient entrer en jeu au cas où les Israéliens se livreraient à des attaques de grande ampleur.

La majorité des manifestants sont des jeunes, entre 15 et 20 ans. Ils ont montré qu’ils faisaient peu de cas des appels des factions. Car le jour où les organisations ont appelé à un défilé de « mobilisation et de colère » mercredi dernier, seuls quelques dizaines de jeunes se rendirent au check-point de Qalandia, alors que les autres battirent d’un revers de main ces appels, se dirigeant vers l’entrée Nord d’Al-Bireh, près de la colonie de Beit El. Même les appels intenses lancés par le Hamas et le Jihad islamique à Gaza, au niveau directionnel, pour un « vendredi de colère », n’ont pas eu la réponse des dirigeants et des représentants des factions, poussant les jeunes à ironiser sur « le peuple résiste, les factions saluent ».
La plupart des jeunes qui déclenchent les affrontements quotidiennement dans les villes de Cisjordanie nient eux-mêmes que ce qui les agite serait dû à leur appartenance politique. De même qu’ils s’associent au refus de l’idée de la résistance pacifique proposée par l’AP, et lui font même porter la responsabilité de la recrudescence d’attaques israéliennes et du vol de leurs terres. Il est intéressant de noter que nombre des auteurs d’opérations au couteau ont recommandé que leurs forfaits ne soient revendiqués par aucune organisation, et que le profil socio-politique de certains d’entre eux montrent qu’ils n’étaient affiliés à aucune entité politique.

Dans le même temps, l’on a remarqué lors des trois semaines d’affrontements que les manifestants ont gardé le drapeau palestinien levé au points de frictions, sans brandir ceux des factions, qui ont été peu aperçus, et surtout quand les blocs étudiants ont appelé les universités à manifester, sans oublier l’essor de la campagne « un seul drapeau, une seule patrie ».

Malgré tout, les informations sur le déclenchement d’affrontements armés proches du camp de Qalandia ces derniers jours (après le martyre du jeune Omar Al-Faqih au check-point du camp) suscitent des interrogations sur un début d’intervention des factions. Des témoins oculaires habitant à Qalandia rapportent qu’un groupe des « Brigades des martyrs d’Al-Aqsa », la branche armée du Fatah, a été aux prises avec les forces de l’ennemi, les poussant à se retirer du camp qu’elles avaient pris d’assaut pour arrêter des personnes recherchées et remettre des ordres de démolition du domiciles des auteurs d’opérations. De même que d’autres citoyens ont rapporté que les bruits de balles entendus à Silwad, à l’est de la ville de Ramallah, le lendemain, résultaient là aussi d’affrontements armés dans la région. Les citoyens se sont abstenus de donner les noms des blessés ou de leur organisation pour des raisons de sécurité. L’on ne peut, sur cette base, toujours pas déceler d’intervention organisationnelle dans le soulèvement populaire en cours.

Quant aux positions dans les médias et les communiqués des organisations, elles sont multiples, et aucune position clairement unifiée n’est sortie de ce soulèvement. Les premières positions à avoir été rendues publiques sont celles du président de l’AP Mahmoud Abbas, qui préside également le Fatah. Dans les faits, son discours est intervenu après deux semaines de mobilisation populaire, lors duquel il a confirmé sa précédente stratégie de « résistance populaire pacifique et de lutte politique et juridique », au moment où 30 personnes étaient déjà tombées en martyrs (le nombre a atteint les 44 hier dans les différentes régions de Palestine).

Pour ce qui est de la position du Hamas, le mouvement a émis plusieurs communiqués et déclarations de soutien, sans annoncer officiellement sa participation dans le soulèvement. Mais le dirigeants du Hamas en Cisjordanie Hassan Youssef indique que « le Hamas, avant ce soulèvement, sortait dans des défilés en refus de la judaïsation et en soutien à Al-Aqsa. Il y a jusqu’à maintenant une grande présence de membres du mouvement aux côtés des autres forces nationales sur les points de friction et dans les opérations ». Youssef ajoute : « Les blocs étudiants sortent également des universités, surtout à Birzeit, connue pour sa capacité à changer et à mener la situation politique tout au long de l’histoire », parlant d’une rencontre régulière que tiendront les factions nationales et islamistes « afin de guider ce soulèvement dans les prochains jours, et qui sera pour nous l’occasion de ressouder notre peuple ».

Les mêmes positions se répètent du côté du Jihad islamique, du FPLP et du FDLP, qui soutiennent le soulèvement, mais sans montrer de participation officielle. Ces factions ont organisé en commun plusieurs défilés dans la bande de Gaza en solidarité avec la Cisjordanie et Jérusalem.

En commentaire à ce qui précède, l’écrivain Rassem Obeïdat pense que « les factions n’ont pas réussi jusqu’à maintenant à encadrer ce qui se passe, à l’organiser, ni même à en constituer une direction. Si les factions entrent dans le soulèvement, elles seront devant une intifada populaire globale touchant Jérusalem, la Cisjordanie et même l’Intérieur. Mais cela est conditionné à la capacité de ces forces à faire pression sur l’AP pour qu’elle se déleste de sa relation sécuritaire avec l’occupation. (…) Si une militarisation de l’intifada s’opérait, nous nous retrouverions dans un cas similaire à celui qui prédominait avant la dernière agression contre Gaza ».