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La campagne BDS en France : boycott d’Israël ou boycott de la résistance palestinienne ?

haine-disrael[1]En 2005, 172 organisations palestiniennes lancent, parallèlement aux autres modes de résistance, un appel à un boycott généralisé d’Israël pour dénoncer la politique coloniale et raciste de l’Etat sioniste.
Après maintes hésitations, et surtout après la victoire du Mouvement de la résistance islamique aux élections palestiniennes de 2006, plusieurs organisations françaises décident d’apporter leur soutien à cet appel. Elles en soulignent essentiellement son caractère pacifique, tout en soulignant la référence à l’Afrique du Sud et en posant constamment des limites et des conditions à leur soutien.
Dans ce texte, le Comité Action Palestine propose une analyse de ce soutien français au boycott d’Israël. Il dénonce son caractère néocolonial et hypocrite, et rappelle que « l’appel au boycott prend une dimension antisioniste si, et seulement si, il reconnaît le rôle premier de la volonté des colonisés, à savoir : détruire par tous les moyens le rapport colonial !


En 2005, 172 organisations palestiniennes lancent un appel à un boycott généralisé d’Israël en guise de protestation envers la politique coloniale et raciste de l’Etat sioniste. Ces organisations palestiniennes sollicitent le mouvement de solidarité international pour qu’il soutienne cet appel dans le cadre d’une campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanction).

Après maintes hésitations, la campagne BDS est reprise en France depuis 2 ou 3 ans par un collectif d’organisations qui déclare soutenir la cause du peuple palestinien. Cette mobilisation qui semble aujourd’hui prendre de l’ampleur se présente comme « la réponse à l’apartheid », « à l’occupation et à la colonisation israélienne » [1] . Les signataires de cette plate-forme de revendications avancent qu’elles ont été sollicitées par la société palestinienne, « la société palestinienne nous appelle à nous saisir d’un moyen non-violent à notre disposition, afin d’arrêter la course folle du terrorisme d’Etat qui la menace, et qui nous menace tous » [2] . Bien plus, les initiateurs de cette campagne en France affirment que le boycott d’Israël permettra, comme en Afrique du Sud, de venir à bout de l’apartheid en Palestine. Ce boycott, précisent-ils, devra être maintenu « tant que les droits humains et le droit international seront bafoués, tant que ne seront pas reconnus les droits légitimes d’un peuple qui a fait preuve depuis longtemps d’une résistance exemplaire, mais qui a besoin de nous pour obtenir un minimum de justice » [3] .

Si l’appel palestinien au boycott doit être considéré comme un moyen de résistance dont le choix revient au seul peuple colonisé, le Comité Action Palestine, qui défend le principe d’autodétermination du peuple palestinien, entend apporter quelques critiques non pas sur l’utilité d’une telle démarche, mais sur l’instrumentalisation de cette campagne de boycott par un ensemble de partis, de syndicats et d’associations dites pro-palestiniennes [4] . Ceux-ci, après avoir fermement soutenu les accords d’Oslo et condamné les actions militaires de la résistance palestinienne, ont défendu la politique de la négociation, et son corollaire, le droit à l’existence d’Israël. Ces organisations, qui ont omis ainsi la revendication historique et fondamentale du droit au retour des 6 millions de réfugiés palestiniens dans leur foyer, se sont également tues face à la politique criminelle de judaïsation pratiquée contre la population palestinienne vivant toujours dans les territoires palestiniens occupés en 1948.

Alors qu’il apparaît clairement que « le processus de paix » initié à Oslo en 1993 n’était qu’une manœuvre de diversion destinée à désamorcer l’Intifada du peuple palestinien menée contre l’occupant israélien depuis 1987 et à poursuivre la colonisation en s’appuyant sur une oligarchie palestinienne administrant un appareil sécuritaire supplétif, une autre réalité historique vint s’imposer : l’impossibilité d’une solution à deux Etats.

L’expansion coloniale d’Israël, la répression et l’épuration ethnique conduites par les forces coloniales juives et les collaborateurs de l’Autorité Palestinienne (AP), confirment actuellement, s’il en était besoin, l’impossibilité structurelle de cette solution à deux Etats. L’histoire montre une fois encore que, dans un contexte colonial, et contrairement aux positions défendues par ces organisations « pro-palestiniennes », il ne peut y avoir de « coexistence pacifique et juste » entre un système colonial et le peuple colonisé.

Le développement et la consolidation de la résistance anti-sioniste {victoire de la résistance libanaise en 2000 et 2006 ; la victoire de la résistance palestinienne aux législatives de 2006 ; la résistance victorieuse menée par le HAMAS à Gaza en 2009} devraient logiquement conduire ces organisations à une conclusion politique évidente : le rapport de force qui détermine la relation entre israéliens et palestiniens est de nature coloniale. Il est fondé, d’un côté, sur la négation raciste et l’expulsion forcée de l’autochtone palestinien par les forces coloniales juives, et, de l’autre, sur le développement de la lutte et de la résistance anticoloniale palestinienne.

Pourtant, ces organisations ont fait preuve d’une remarquable continuité dans leurs analyses, occultant ainsi deux principes fondamentaux du soutien à la lutte du peuple palestinien pour ses droits nationaux :

La reconnaissance du caractère colonial et raciste de la société et de l’Etat d’Israël. La colonisation n’a pas débuté en 1967, ni même en 1948 au moment de la création de l’Etat d’Israël, elle est constitutive du projet sioniste dès son origine à la fin du19ème siècle.

Le soutien inconditionnel à la résistance palestinienne quelle que soit la forme que prend la résistance : politique, sociale, culturelle ou militaire.

En réalité, deux représentations néocoloniales expliquent le type de soutien purement formel apporté par ces organisations au peuple palestinien.

La première subordonne la réalisation des droits nationaux du peuple palestinien à l’implication de la communauté internationale et aux pressions que cette dernière pourrait exercer sur Israël afin que cet Etat respecte le droit international et autorise la création d’un Etat palestinien.

La seconde considère que « le changement » politique vers la paix et le respect des droits palestiniens ne peut être porté que par les courants « pacifistes » et « progressistes » israéliens qui inverseraient la tendance politique interne en Israël et imposeraient la paix. Combien d’articles et conférences se sont faits sous l’égide de penseurs sionistes catalogués progressistes et censés incarner le bon Israël que sont Michel Warschawski [5] , Benny Ziffer [6] , Uri Davis [7] , Haim Bresheet [8]

Selon cette conception néocoloniale, le palestinien n’est jamais sujet et acteur de son histoire. Et la transformation historique se réduit à l’action de la communauté internationale et du colon, c’est-à-dire à l’action de l’Occident. Ces organisations qui prétendent ostentatoirement défendre les Palestiniens cherchent en fait à les déposséder de leur capacité et de leur légitimité à réaliser leur propre histoire et à définir leurs propres revendications. En somme, seul le maître est à même de libérer l’esclave…

Ce sont ces mêmes postures néocolonialistes qui expliquent leur investissement « militant » dans la campagne BDS, conçue comme la seule arme efficace pour lutter contre l’occupation. Aucun soutien n’est exprimé à la résistance ou au droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leur foyer, pas plus que la dénonciation claire d’Israël en tant qu’Etat colonial et raciste.

Par ailleurs, elles fixent comme condition incontournable à la solidarité la reconnaissance de l’entité coloniale raciste israélienne. Comment interpréter, sinon dans ce sens, des positions qui légitiment Israël dans les « frontières de 1967 » ? Il est évident que ces limites territoriales représentent historiquement une étape dans le processus de colonisation et de destruction de la Palestine. Il faut donc le dire clairement: accepter 1967 c’est accepter 1948, la Nakba , et l’ensemble des crimes contre l’humanité commis par le colonisateur en dépit des revendications des Palestiniens. Admettre 1967, c’est reconnaitre l’occupation et lui conférer la légitimité du fait accompli et œuvrer pour la normalisation de l’usurpateur sioniste. C’est se substituer aux Palestiniens et être fidèle à une attitude coloniale qui consiste à maintenir l’indigène sous tutelle.

L’instrumentalisation de la campagne BDS ne fait aucun doute lorsque la référence est faite à l’histoire de la lutte des Noirs sud-africains contre l’apartheid blanc. Si la résistance non-violente et le boycott du régime ségrégationniste blanc d’Afrique du Sud fut un élément dans le soutien apporté aux mouvements de lutte sud-africains, il n’en était qu’ « un outil et non pas une vision, ni même une stratégie d’ensemble » [9] . Il est établi que la lutte des Sud-Africains contre l’apartheid blanc prenait plusieurs aspects : 1) politique et idéologique en développant l’unité des opprimés par leur action au sein des organisations politiques comme l’ANC ou l’INKHATA-Zoulous ; 2) social par le soutien et la mobilisation de l’ensemble des secteurs de la société colonisée noire afin de supporter l’engagement des organisations politiques et de leur militants ; 3) culturel afin de résister à la destruction de l’identité culturelle et historique des africains autochtones ; 4) la lutte armée.

La lutte armée, l’action clandestine, la guerre de guérillas sont des modes de résistance qui furent appliqués selon les contextes politiques et les stratégies choisies par les organisations de la résistance notamment en 1961 sous l’impulsion d’un réseau, Umkhonto we Sizwe (MK) prônant l’action armée et dirigé alors par Nelson Mandela [10] . Ce mouvement estimait après le massacre de Sharpeville, le 21 mars 1960 [11] , et l’intensification de l’oppression avec le rétablissement de l’Etat d’urgence, que le passage à la lutte armée était inéluctable. Tout comme en Palestine, en Afrique du Sud les mouvements de résistance optèrent pour diverses stratégies, dont l’action armée, en fonction des circonstances et de l’état du rapport de force avec le pouvoir colonial blanc. Ils se sont fortement inspirés de la révolution algérienne et de sa lutte anticoloniale. C’est une vérité historique sur la lutte du peuple noir sud-africain que les prêcheurs du pacifisme ignorent sciemment.

Face à l’Etat militaire génocidaire juif, le choix des armes appartient au mouvement de résistance. Comme il appartient aux associations de soutien à la cause palestinienne de défendre et de rappeler l’existence et la légitimité de la lutte du peuple palestinien et de sa résistance qu’elle que soit sa forme. Car les sionistes utilisent, surtout en France, toutes les ressources à leur disposition et leurs moyens de pressions pour mener leur guerre sur le terrain idéologique et psychologique : diabolisation de la résistance palestinienne, normalisation d’Israël, intimidation et volonté de criminaliser le soutien à la résistance et la dénonciation du sionisme [12]

La référence tronquée et hypocrite à l’Afrique du Sud dans le cadre de la campagne BDS par des associations françaises ne trompe personne. Pour ces dernières, l’enjeu est de ne pas apporter de soutien à la résistance menée sous l’égide des organisations islamiques, et notamment le HAMAS. L’islamophobie de ces associations est à peine voilée… Certes la campagne BDS fut initiée par des organisations palestiniennes se réclamant de la société civile palestinienne. Il n’est nullement question de contester la légitimité de leur action face à l’occupant israélien. Mais, en prétendant répondre à l’appel de la société civile palestinienne tout en ignorant la réalité de la résistance palestinienne, ces organisations françaises révèlent leur vision colonialiste. L’usage qu’elles font de la notion de « société civile palestinienne» est une manière d’imposer un classement politique qui disqualifie le rôle prépondérant des mobilisations politiques dites islamistes en Palestine.

Mais la lutte contre le colonialisme et l’apartheid est l’œuvre des colonisés eux-mêmes. Elle n’a jamais été le produit d’une quelconque mobilisation civile et pacifique des opinions publiques des Etats impérialistes ou de supposées composantes progressistes des sociétés coloniales. L’appel au boycott prend une dimension antisioniste si, et seulement si, il reconnaît le rôle premier de la volonté des colonisés, à savoir : détruire par tous les moyens le rapport colonial !

COMITE ACTION PALESTINE


[1]
« Le boycott d’Israël, pourquoi ? Comment », Campagne Internationale BDS, Livret CAPJPO-Europalestine ; Campagne BDS France, Notre réponse à l’apartheid, à l’occupation et à la colonisation israélienne , CampagneBoycott. Blogspot.com.

[2]
Ibidem.

[3]
Ibidem.

[4]
Europalestine, Ligue des droits de l’homme, CCIPPP, Génération Palestine, Union des Juifs Français pour la Paix (UJFP), PCF, NPA, AFPS…

[5]
Michel Warschawski, israélien, fondateur du Centre d’Information Alternative (AIC).

[6]
Benny Ziffer, israélien, écrivain, journaliste, rédacteur en chef du supplément littéraire d’Haaretz.

[7]
Uri Davis, universitaire israélien et cofondateur du mouvement contre l’apartheid en Palestine (MAIAP).

[8]
Haim Breshteeth, universitaire israélien.

[9]
Ilan Pape, « Résister à l’apartheid israélien : stratégies et principes », www.ism-france.org , décembre 2004.

[10]
Nelson Mandela, “I am prepared to die-Nelson Mandela’s statement from the dock at the opening of the defence case in the Rivona trial” , Africa National Congress, 20/04/1964, www.anc.org ,

[11]
Le 21 mars 1960 a lieu le massacre de Sharpeville, un township de Vereeniging dans le sud du Transvaal. Lors d’une manifestation du Congrès panafricain contre l’extension aux femmes du passeport (Pass book ), que les noirs sont obligés de porter constamment sous peine d’être arrêté ou déporté. La police tire sans sommation sur la foule. On comptera 69 tués dont 10 enfants et 180 blessés.

[12]
Voir sur ce point : Le CRIF en France. Un nouveau ministère de la République , www.lexpressiondz.com ;