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Du discours dominant dans la mouvance « pro-palestinienne » et de l’hégémonie sioniste

solidar-pal[1]Texte d’une conférence que fit Gilad Atzmon à Edinbourg, à l’invitation de la Campagne Ecossaise de Solidarité avec la Palestine, en préliminaire à un concert qu’il a donné au profit de cette organisation, le 22 novembre 2006.

Pour G. Atzmon, « c’est l’État juif, cette incarnation d’une idéologie nationaliste raciste, que nous devons combattre », « c’est le sionisme, en tant qu’idéologie, et le sionisme mondial, contre lequel nous devons nous battre ».

Toutes les mouvances du mouvement pro-palestinien devraient considérer cela comme un point de départ et lutter contre la stratégie sioniste qui vise à les diviser et à leur imposer des combats qui ne touchent pas aux intérêts fondamentaux d’Israël.


Regardons les choses en face : au moment même où la résistance palestinienne et la résistance arabe, de manière générale, sont en passe de devenir l’exemple absolu de l’héroïsme suprême et du patriotisme collectif, le mouvement de solidarité avec la Palestine, au Royaume-Uni, mais aussi partout dans le monde, n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler une éclatante « success story ». De fait, il serait erroné et injuste d’affirmer que ce serait entièrement la faute des militants qui lui consacrent et leur temps et leur énergie. Soutenir les Palestiniens, en effet, ce n’est pas de la petite bière. Bien que les crimes perpétrés contre les Palestiniens se produisent en plein jour et ne soient nullement des secrets, les priorités que se donne le mouvement de solidarité avec eux sont loin d’être claires.

Quand nous pensons à la société palestinienne, ce qui nous vient habituellement à l’esprit, ce sont des querelles idéologiques et culturelles particulièrement aiguës, mais peu claires à nos yeux, entre le Hamas et l’OLP. Il n’est bien entendu nullement dans mon intention de dénier qu’un tel contentieux existe bel et bien, mais je suis venu ici vous proposer un angle de vue alternatif, susceptible, je l’espère, de nous conduire à une compréhension autre de la notion de militantisme pro-palestinien et de solidarité avec les Palestiniens, tant du point de vue idéologique que du point de vue pratique.

J’affirme que le peuple palestinien est en gros divisé entre trois principaux groupes et que c’est cette précisément cette division qui dicte, de fait, trois narratifs politiques spécifiques, et donc trois discours politiques et trois agendas politiques différents, dont nous devons tenir compte. Ces trois groupes peuvent être ainsi décrits :

1 – Les Palestiniens qui se trouvent vivre à l’intérieur de l’Etat israélien , et qui possèdent la citoyenneté israélienne. Les Israéliens ont un nom, pour les désigner ; ils les appellent les « Arabes israéliens ». Ces Palestiniens sont très gravement discriminés par la loi israélienne, dans tous les aspects de leur existence ; leur lutte vise essentiellement l’obtention de leurs droits civiques et l’égalité civique avec l’ensemble des citoyens israéliens ;

2 – Les Palestiniens qui vivent dans les territoires occupés . La plupart d’entre eux sont coincés entre des murs de béton et des fils de fer barbelés, dans des bantoustans et des camps de concentration, dans l’ainsi dite « zone contrôlée par l’Autorité palestinienne [AP] ». Pour parler franchement, ces gens vivent sous une occupation militaire israélienne criminelle. Depuis trente ans, ces gens sont terrorisés quotidiennement par des militaires israéliens, aux barrages militaires et durant d’incessantes incursions armées ; ils sont exposés aux raids aériens et aux bombardements de l’artillerie israélienne. Leur société est explosée, leur système éducatif est en train de s’écrouler, leur système sanitaire n’existe pratiquement plus. Ces Palestiniens n’aspirent qu’à une seule chose : connaître – enfin – ne serait-ce qu’une seule journée sans tués ni blessés ;

3 – Les Palestiniens de la Diaspora . Ce sont les Palestiniens victimes d’épuration ethnique au fil des années, qui se voient dénier leur droit à retourner chez eux par le système juridique intrinsèquement raciste d’Israël (Loi du Retour et Loi sur les Absents). Les Israéliens n’ont pas de nom, pour désigner ces Palestiniens-là ; pour eux, tout simplement, ils n’existent pas ! Les Palestiniens de la Diaspora vivent dans le monde entier. D’après les statistiques de l’ONU, sur l’ensemble des réfugiés du monde entier, un tiers sont des Palestiniens. Des millions de réfugiés palestiniens vivent au Moyen-Orient, dans des camps de réfugiés ; les autres vivent dans pratiquement tous les pays du monde, ils sont d’ailleurs nombreux parmi nous, ici, ce soir. Les Palestiniens de la Diaspora connaissent leurs droits, et ils veulent pouvoir retourner chez eux s’ils décident de le faire : ils exigent leur droit au retour.

Confrontés chacun à des réalités très différentes entre elles, ces trois groupes ont fini par se doter de trois discours politiques concurrents : le premier groupe, celui des ainsi dits « Arabes israéliens », lutte pour l’égalité. Les moyens dont ils disposent pour atteindre leurs objectifs sont très largement des moyens politiques. Ils sont en quête d’une expression, au sein d’une société israélienne ontologiquement raciste.

Le deuxième groupe, celui des « habitants de l’AP », se battent face à l’occupation. Ils luttent en vue de leur libération. Leurs moyens sont des moyens politiques, la résistance civile et la lutte armée (de fait, c’est au sein de ce deuxième groupe que se déroule la lutte la plus acharnée pour l’hégémonie, entre l’OLP et le Hamas).

Se trouvant en-dehors d’Israël, et étant dépourvu de soutien international ainsi que d’une représentation politique adéquate, le troisième groupe de Palestiniens continue à être ignoré par la totalité du système politique israélien, et même par les principaux acteurs de la scène internationale. Les Palestiniens exilés sont dans une très large mesure négligés, et leur exigence de droit au retour n’est toujours pas prise en considération comme elle devrait l’être.

Manifestement, le discours palestinien est fragmenté. Il est divisé en au minimum trois discours différents, et parfois opposés entre eux. Reconnaissons leur intelligence perverse, sans oublier leur impitoyable cruauté, aux Israéliens, lesquels déploient des prouesses afin de perpétuer cet état de fragmentation. Ce sont les Israéliens qui réussissent à empêcher le discours politique et culturel palestinien fragmenté de se fédérer et de fusionner en un narratif unique, grandiose et indestructible. Comment font-ils ? Quel est leur secret ? Ils recourent à différentes tactiques, qui, toutes, perpétuent l’isolement et la conflictualité entre les trois groupes distincts de Palestiniens. A l’intérieur de l’Etat d’Israël, les Israéliens entretiennent un système juridique raciste, qui fait des Palestiniens citoyens d’Israël des citoyens de dixième catégorie. Quant aux habitants de l’AP, les Israéliens les maintiennent sous une pression militaire impitoyable et constante. La bande de Gaza est maintenue au bord de la famine, elle est bombardée quotidiennement. Une partie de ce territoire est réduit à l’état de gravats. De plus en plus nombreux, les observateurs considèrent que la situation actuelle dans les territoires « de l’AP » n’est rien d’autre qu’une extermination et un génocide à bas bruit.

Afin d’humilier le troisième groupe de Palestiniens, les Israéliens mettent en œuvre une législation raciste, qui accueille n’importe quel juif à bras ouverts dans le pays, mais rejette tous les autres [c’est la Loi du Retour]. Dans la pratique, c’est un système juridico-politique ontologiquement raciste qui empêche les Palestiniens exilés de revenir chez eux, dans leur pays.

De manière tout à fait paradoxale, plus les Israéliens infligent de souffrances à l’un quelconque de ces trois groupes, plus les Palestiniens s’éloignent de l’écriture d’un grandiose narratif de résistance héroïque. De même, plus les Israéliens sont pervers, plus le mouvement de solidarité avec les Palestiniens tourne le dos à la mise au point d’un programme d’action unifié.

De fait, le militant de la solidarité avec la Palestine est perdu ; il se demande quelle campagne de solidarité choisir ? Qui doit-il soutenir ? Le tronçonnement du discours palestinien en trois narratifs concurrents et conflictuels entre eux rend la solidarité avec les Palestiniens singulièrement complexe. De même, différentes associations de solidarité avec les Palestiniens ont des missions politiques différentes, et embrassent des causes palestiniennes différentes. Certains en appellent à la fin de l’occupation israélienne, d’autres prennent fait et cause pour le droit au retour des exilés palestiniens. Certains défendent l’égalité. La plupart des militants pro-palestiniens sont divisés entre eux. Ceux qui prônent le droit au retour et la formation d’un Etat unique sont totalement insatisfaits de la simple exigence d’une « fin de l’occupation », qu’ils considèrent comme extrêmement limitée et comme une solution où tellement d’eau a été mise dans le vin qu’on ne sent plus du tout le goût du vin. Manifestement, le mouvement de solidarité avec la Palestine est dans l’impasse.

Opter pour une revendication et ignorer les autres, cela revient, en réalité, à capituler devant un discours imposé par les Israéliens, par la violence et par le crime. C’est très précisément grâce à cela que le sionisme réussit à maintenir son hégémonie au sein même du discours de la solidarité avec les Palestiniens. C’est la brutalité israélienne qui impose au discours de la solidarité pro-palestinienne un état de fragmentation idéologique. Quelque décision que puisse bien vouloir prendre un activiste palestinien, on s’arrange pour en faire un a priori permettant d’ostraciser telle ou telle dimension de la cause palestinienne. Bien sûr, c’est très douloureux, de reconnaître que ce sont les Israéliens qui nous ont fait tomber dans ce piège. Notre travail, notre discours et notre terminologie de militants solidaires des Palestiniens sont déterminés de A jusqu’à Z par l’agression israélienne ; nous devons en prendre conscience.

Mais la bataille n’est pas perdue

Il est toutefois possible de contourner cette complexité et de la surmonter. Au lieu de capituler devant la stratégie sioniste consistant à diviser le discours de la solidarité avec les Palestiniens, nous pouvons tout simplement redéfinir ce qui fait le cœur de la tragédie palestinienne, qui est en train de se transformer sous nos yeux en crise mondiale.

Dès lors que nous aurons compris et assimilé que le discours de la solidarité avec les Palestiniens est dominé par les pratiques brutales et malignes d’Israël, nous serons plus ou moins prêts à prendre conscience de la réalité. A savoir que c’est l’État juif, cette incarnation d’une idéologie nationaliste raciste, que nous devons combattre , avant toute chose. C’est l’État juif et ses partisans, dans le monde entier, que nous devons harceler. C’est le sionisme, en tant qu’idéologie, et le sionisme mondial, contre lequel nous devons nous battre. Dès aujourd’hui !

Et pourtant, c’est exactement là où le brave militant pro-palestinien lâche prise. Être capable d’identifier le désastre palestinien avec l’« État réservé aux seuls juifs », c’est un pas que peu de militants sont capables de franchir, actuellement. Reconnaître que l’État juif est le nœud du problème, cela implique qu’il y a sans doute quelque chose d’un peu plus fondamental encore, dans le conflit, que des intérêts coloniaux classiques ou une banale querelle ethnique sur un territoire. Comprendre que c’est l’« État réservé aux seuls juifs » qui est le noyau du problème, c’est reconnaître que la paix n’est pas nécessairement une option possible. La raison est simple : l’« État réservé aux seuls juifs » obéit à une philosophie expansionniste et raciste, qu’il met en œuvre. Cet Etat raciste ne laisse aucune place à qui que ce soit d’autre ; c’est là un simple constat, mais pour l’État raciste d’Israël, c’est même une question de principe.

Pourtant, quand nous finissons par saisir cette réalité, une fois que nous sommes éclairés, et que nous avons pris conscience du fait qu’il y a quelque chose d’un peu plus fondamental qu’une simple bataille entre un envahisseur et un envahi, l’envahisseur étant confronté à une forme ou une autre de lutte de résistance indigène en vue de la liberté, nous sommes sans doute plus ou moins disposés à nous lancer dans une enquête critique sur ce qu’est le sionisme. Nous sommes prêts à examiner la notion moderne de la judéité (plutôt que du judaïsme). Dès lors que nous avons le courage de reconnaître que le sionisme n’est que la continuation de la judéité (plutôt que du judaïsme), dès lors que nous avons compris que le sionisme, qui fut jadis une idéologie juive marginale, est devenu l’expression de la juiverie [organisée] mondiale, une fois que nous savons et admettons tout cela, alors nous sommes sans doute prêts à vaincre le cancer sioniste. Si nous luttons, c’est pour les Palestiniens, mais c’est aussi pour sauvegarder la paix mondiale.

Les tuteurs, maîtres du discours

Essayons d’imaginer une situation dans laquelle une dizaine d’intellectuels dissidents allemands se démèneraient afin de contrôler et de dicter les discours de Churchill au peuple britannique, en plein Blitz. A chaque fois que Churchill laisserait parler son cœur pour appeler les Britanniques à tenir bon face à l’Allemagne et à sa puissance militaire, les dissidents allemands exilés donneraient de la voix : « Ce n’est pas l’Allemagne, Monsieur le Premier Ministre, c’est le parti nazi… Le peuple allemand et l’esprit allemand, eux, sont innocents. » Là, bien entendu, Churchill présenterait immédiatement ses excuses…

J’imagine que vous avez tous conscience qu’une telle scène est totalement surréaliste. L’Angleterre n’aurait jamais permis à une escouade d’Allemands exilés de contrôler son discours en pleine guerre avec l’Allemagne… De plus, des intellectuels allemands dissidents n’auraient pas la Chutzpah [culot cachère, NdT] ne serait-ce que d’imaginer dicter aux Britanniques ce que devrait être ou ne devrait pas être la rhétorique appropriée à utiliser en temps de guerre avec l’Allemagne !

Pourtant, quand c’est du discours de la solidarité avec les Palestiniens dont il est question, nous sommes d’une certaine manière bien plus tolérants. En dépit du fait que c’est bien en réalité contre l’« État réservé aux seuls juifs » que nous nous battons, nous laissons une petite bande de dirigeants et de militants juifs autoproclamés devenir nos tuteurs. Aussitôt que n’importe lequel d’entre nous identifie les symptômes du sionisme avec quelque précepte juif fondamental ou essentiel, une campagne de diffamation et de dénigrement est lancée contre cette personne.

Cela fait maintenant pas mal d’années que je suis de près le discours de la gauche juive . Je dois d’ailleurs reconnaître que je vois au moins une bonne raison au militantisme juif antisioniste. Je comprends bien, en effet, le besoin que ressentent certains juifs humanistes de se lever et de dire : « Je suis juif, et je trouve le sionisme répugnant ». À un certain stade de mon existence, je disais exactement la même chose. Comme le savent certains parmi vous, j’admire totalement les juifs de la Torah, qui ont exactement cette position. Toutefois, quand il s’agit d’associations juives socialistes et de groupes laïcs de gauche, je suis perplexe.

Moshe Machover, dissident israélien entré dans la légende, et juif marxiste qui se trouve être le mentor intellectuel des militants juifs progressistes britanniques, a dit, voici quelques jours, à propos d’une pétition contre laquelle il protestait :

« L’antisémitisme est un problème des Palestiniens, car il ne fait que pousser les juifs dans les bras du sionisme. Cela, tous les progressistes palestiniens l’ont compris depuis fort longtemps. L’antisémitisme est un allié objectif du sionisme ; c’est l’ennemi commun des Palestiniens, des juifs, et de toute l’humanité. »

Certes, l’antisémitisme est sans doute un problème. Cependant, est-ce vraiment un problème des Palestiniens ? La campagne de solidarité avec les Palestiniens doit-elle, de surcroît, s’engager dans la lutte contre l’antisémitisme ? Ne devrions-nous pas plutôt laisser ça à l’Anti-Defamation League [à la LICRA… NdT] et à Abe Foxman ? Je pense que nous ferions mieux de faire tout ce que nous pouvons afin de sauver les habitants de Beit Hanoun. C’est là-bas, qu’on a besoin de nous. Je suis persuadé que l’immense majorité des militants solidaires des Palestiniens savent que j’ai raison.

Tous les militants avec lesquels j’ai conversé ont reconnu qu’il y avait très peu de Palestiniens qui accordent le moindre intérêt à la Campagne de Solidarité avec la Palestine. De fait, la déclaration de Marchover fournit l’explication de ce phénomène réel. D’après Marchover, ceux des Palestiniens qui ne comprendraient pas que l’antisémitisme est le véritable problème seraient tout simplement des réactionnaires, étant donné que seuls les Palestiniens « progressistes » reconnaissent que l’antisémitisme « est » vraiment un problème. Permettez-moi de vous dire que les palestiniens que je connais n’aiment pas vraiment que Marchover ou qui que ce soit d’autre, d’ailleurs, les traite de réactionnaires, au simple motif qu’ils n’en ont rien à cirer, de l’antisémitisme. À lire Machover, il est parfaitement évident que de telles opinions servent de bouclier humain au collectivisme laïc juif et au narratif historique siono-centriste. Pour être franc, il n’y a pas vraiment de raison, pour un Palestinien, de rejoindre le mouvement de solidarité, obnubilé comme l’est actuellement ce mouvement par l’antisémitisme.

Permettez-moi de préciser que je ne suis pas historien. J’ai une formation universitaire en philosophie, et en particulier en philosophie européenne. Je suis particulièrement passionné par la notion d’essence. Pour moi, attaquer efficacement le sionisme, cela passe par une réelle et complète prise de conscience de ce qu’en est l’essence. Dans une certaine mesure, je suis, de fait, essentialiste. Je sais : c’est là quelque chose de plutôt dérangeant pour ceux qui essaient de réduire le discours à un échange positiviste sur des chiffres et des faits historiques. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’essence du sionisme . Ce qui m’importe, c’est ce qui transforme inéluctablement les Israéliens et ceux qui les soutiennent en machines à tuer atteintes de cécité morale.

Au-delà du culot

Vous avez peut-être entendu parler du livre que je tiens à la main. C’est sans doute le pire en matière de pourriture sioniste : il s’agit du bouquin d’Alan Dershowitz : « Plaidoyer pour Israël » [en anglais : « The Case For Israel »]. Je ne sais pas si quelqu’un parmi vous a jamais eu l’idée de lire ce texte d’une platitude infinie, pour ne pas dire totalement idiot. C’est mon cas ; ce bouquin m’est tombé sous la main, il y a quelques jours de cela.

D’une manière très frappante, ce livre est structuré comme un manuel destiné au sioniste fanatique débutant ; c’est une sorte d’ « Israël pour les imbéciles ». Il enseigne au juif nationaliste la manière de devenir un avocat plaidant la « cause d’Israël ». Nous savons que Norman Finkelstein a démontré au-delà de tout doute que ce texte est littéralement une farce, du point de vue universitaire. Mais il y a quelque chose de très révélateur, dans cet ouvrage…

Ce livre est une énumération de déconstructions de « l’argumentation antisioniste ». Il commence par les accusations idéologiques et morales les plus graves formulées contre Israël, puis il devient de plus en plus léger, de plus en plus historique et roman de détective, au fur et à mesure que vous avancez dans sa lecture.

Dershowitz lance le jeu avec la question « à un million de shekels » : « Israël est-il un pays colonialiste, impérialiste ? » Dans une certaine mesure, Dershowitz réussit à donner le change ; il demande : « Si Israël est bien un État colonial, au service de quel drapeau est-il ? » Bon, me dis-je. Il a peut-être raison ?… Personnellement, je ne vois pas dans le sionisme une quelconque aventure coloniale. Mais, attendez une minute, Mister Dershowitz ; manifestement, vous vous en tirez à trop bon compte, là… Notre problème avec Israël n’a rien à voir avec ses caractéristiques coloniales ou non-coloniales… Notre problème avec l’ « État réservé aux seuls juifs » porte sur ses caractéristiques racistes, expansionnistes et nationalistes. Notre problème avec Israël a tout à voir, en revanche, avec le fait qu’il s’agit d’un État fasciste soutenu par l’immense majorité du peuple juif, dans le monde entier !

Maintenant, je vous propose, à vous, les militants d’Ecosse, de prendre une seconde pour réfléchir et vous demander pourquoi Dershowitz commence-t-il son bouquin en s’attaquant (pour le réfuter) à l’aspect colonialiste d’Israël, plutôt que de regarder en face ses caractéristiques fascistes ? Ma réponse est toute simple : nous avons peur de reconnaître qu’Israël est bel et bien un pays fasciste. C’est principalement les associations politiquement correctes qui servent à Dershowitz de feuille de vigne sioniste. De fait, ce sont les guetteurs, à gauche, qui ont réussi à réduire le sionisme à une simple aventure coloniale . Pourquoi l’ont-ils fait ? A cela, je vois deux raisons :

1 – Si Israël, l’ « État réservé aux seuls juifs » doit être condamné en tant qu’aventure raciste, alors « Les Juifs pour la Paix, « Les Juifs contre le sionisme », les « Juifs socialistes », les « Juifs Sans Frontières » [NDR : ce n’est pas une invention de Gilad Atzmon : Jews sans frontières existe réellement !], les « Juifs pour ceci » et les « Juifs contre cela » sont tous à jeter, exactement pour la même raison (leur engagement étant une aventure marquée au coin du racisme) ;

2 – Voir dans le conflit israélo-palestinien une querelle coloniale leur permet de s’assurer qu’il rentrera à merveille dans leur notion de politique des classes laborieuses. Me permettrez-vous de suggérer qu’une vision universaliste, de classe, d’Israël implique que l’État juif n’est autre chose qu’une expérimentation fasciste ?…

Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte ce soir pour en appeler à tous nos amis juifs socialistes ou militants dans d’autres mouvements juifs de solidarité.

Je voudrais leur demander de quitter la scène de bon gré, et de rejoindre l’humanité ordinaire. Le mouvement de solidarité avec la Palestine a un besoin vital de changement. Il a besoin d’ouvrir des portes, et non de videurs. Il aspire à un discours ouvert et dynamique. Les Palestiniens, sur le terrain, en ont déjà pris conscience. Ils ont élu démocratiquement une vision alternative de leur avenir. Le temps n’est-il pas venu, pour nous, de soutenir les Palestiniens pour ce qu’ils sont, au lieu d’attendre d’eux qu’ils se conforment à notre [propre] vision du monde ?

Gilad Atzmon

Traduction française originale de M. Charbonnier, révisée par F. Giudice, membres de Tlaxcala (www.tlaxcala.es) réseau de traducteurs pour la diversité linguistique.