L’affaire de l’arche de Zoé : la légitimation humanitaire du colonialisme

L’affaire des enfants tchadiens récemment dévoilée n’est pas la conséquence du comportement irresponsable mais pourtant bienveillant d’une équipe d’humanitaires dévouée à l’Afrique, soucieuse d’offrir à ces enfants un toit, une vie meilleure à l’abri des fléaux ravageants leur pays. La traite des enfants tchadiens n’est surtout pas le fruit empoisonné d’attitudes isolées et maladroites.

Le Comité Action Palestine a souhaité vous proposer sa propre analyse sur ce sujet car à ses yeux, elle représente le prolongement cruel et pervers des rapports opposant l’Occident colonialiste aux territoires périphériques qu’il maintient sous ses bottes.


L’ « Occident civilisé » n’en finit pas de démentir la bonne réputation qu’il tente d’imposer au monde entier. L’affaire des enfants tchadiens fait tomber le masque, l’usurpation d’identité. Et Cet Occident paré de mille vertus nous donne à voir son véritable visage. Cet Occident façonné et enrichi par plus de deux siècles de régime bourgeois et de colonialisme nous démontre une fois encore qu’il est l’antithèse de la vie. Car fidèle à ses nobles principes : « droits de l’homme », « démocratie », « justice », la rapacité de cette entité économique ne possède aucune limite.

L’affaire des enfants tchadiens récemment dévoilée n’est pas la conséquence du comportement irresponsable mais pourtant bienveillant d’une équipe d’humanitaires dévouée à l’Afrique, soucieuse d’offrir à ces enfants un toit, une vie meilleure à l’abri des fléaux ravageants leur pays. La traite des enfants tchadiens n’est surtout pas le fruit empoisonné d’attitudes isolées et maladroites. Elle représente le prolongement cruel et pervers des rapports opposant l’Occident colonialiste aux territoires périphériques qu’il maintient sous ses bottes. Elle n’est que le produit des intérêts matériels et géopolitiques que l’Occident entend par tous les moyens sauvegarder. En somme, il existe un lien organique entre le rapt des enfants tchadiens et les objectifs géopolitiques et économiques de l’Occident dans cette région.

L’intervention « humanitaire » au Darfour dont se gargarisent les Etats-Unis et l’Union Européenne constitue, sur ce plan, une opération de soutien aux ambitions géostratégiques occidentales dans cette zone. L’humanitaire, c’est le paravent que l’on plante afin de camoufler les véritables intentions des puissances prédatrices. Comme cela fut démontré pour le Rwanda lors de « l’opération turquoise » échafaudée par l’Etat français en 1994, il s’agit sous le prétexte de l’action humanitaire de fournir des armes, un appui logistique et militaire à des groupes armés autochtones employés et financés pour servir le projet impérialiste dans la corne africaine.

Ce secteur est en effet hautement stratégique. En plus des matières premières fortement convoitées tels que le pétrole et le gaz naturel qu’elle renferme, la maîtrise de cette zone permet à l’Occident de déployer un système de contrôle militaire sur l’ensemble du golf arabique. Qu’on ne s’y trompe pas, le « corridor-couloir humanitaire », « l’aide humanitaire » que les Etats français et américains souhaitent installer entre le Tchad et le Darfour a pour but principal d’affaiblir l’Etat soudanais en alimentant une guerre civile et en installant de fait une situation de partition que « la communauté internationale » officialisera d’abord en traçant une frontière défendue par des contingents militaires onusiens puis en décrétant l’autonomie du territoire pour finir par la reconnaissance de son « indépendance ». N’a-t-on pas appliqué la même traitement à la défunte Yougoslavie. L’hérésie de l’Etat soudanais allié de la Chine c’est le refus de se plier systématiquement aux exigences de Washington. La menace : un pays où s’est par ailleurs structuré une coalition des forces nationales dirigée par Hassan Tourabi, le leader du Congrès Populaire, un parti islamiste influent et mobilisateur. Prévenir toute remise en cause de la hiérarchie mondiale, émietter, diviser, tel est l’intérêt de la dictature globalisée.

Qu’a-t-on observé également en Somalie au cours de l’année 2007 ? Les mêmes enjeux et les mêmes ingérences dont les arguments humanitaires furent lancés dans l’unique but d’occulter la politique coloniale que les puissances occidentales entendaient poursuivre. N’a-t-on pas voulu détruire un mouvement populaire de libération nationale (l’Union des Tribunaux Islamiques) s’étant rendu maître du pays en utilisant l’armée supplétive éthiopienne ainsi que divers groupes armés mafieux locaux. Et le résultat : une guerre civile, une famine généralisée, le départ forcé de plus de 800 000 somaliens dans des camps de réfugiés, l’occupation du pays par l’armée éthiopienne. Au total, la bienveillance humanitaire de l’Occident a déclenché pas moins de 69 guerres dans la corne de l’Afrique durant les deux dernières décennies.

Au reste, les multiples agressions de l’Occident ne se cantonnent pas au registre militaire. Avec les armes, la guerre, les destructions de villages, de l’infrastructure sociale, viennent les trafics les plus morbides comme ceux révélés au Tchad dernièrement :

  • La prostitution organisée par des agences humanitaires occidentales au Congo-Zaïre.
  • Le trafic de drogue dont l’Afghanistan constitue l’exemple le plus patent. L’invasion US et l’arrivée massive dans ses bagages d’ ONG humanitaires occidentales s’est accompagnée d’une augmentation sans précédent de la production d’opium.
  • La traite des enfants africains par des associations dites humanitaires au Tchad-Darfour. Des enfants arrachés sournoisement à leurs familles pour être vendus comme des marchandises ou des bêtes à des familles françaises complices. Environ 150 enfants furent kidnappés et déportés avec les moyens de l’Etat français : mise à disposition d’un avion militaire, octroi de titres de séjours, une couverture médiatique assurée par le service public de l’audiovisuel et l’inévitable gesticulation opportuniste du président Sarkozy et de sa passionara humaniste ya bon banania.

Cette opération politico-médiatique devait mettre en scène un pouvoir politique oeuvrant pour la paix et l’aide humanitaire aux populations du Darfour. Le « rapatriement » des enfants orphelins du Darfour était censé inaugurer la « nouvelle » politique étrangère française : humanitaire et atlantiste. Or depuis le relatif « désaccord » irakien de 2003, la politique étrangère française se conçoit désormais dans le cadre d’un partenariat étroit avec le consortium américano-sioniste :

  • Soutien à l’agression israélienne au Liban en 2006 par le silence révélateur des autorités politiques françaises.
  • Politique de sanctions économiques et d’isolement diplomatique menée contre l’Iran.
  • Pressions exercées sur la Syrie.
  • Participation au blocus imposé à la population palestinienne à Gaza, etc.

Reste que la « nouvelle » politique étrangère de l’Etat français diffère sur un seul point de celle conduite par les prédécesseurs du gouvernement Sarkozy : la médiatisation décomplexée de ses affinités américaine et sioniste. Constatons que les responsables politiques en France ont échoué cette fois-ci sur ce terrain. L’entourloupe fut éventée et portée au grand jour malgré les vaines tentatives de diversions mises en oeuvre par le pouvoir.

Sarkozy nous l’avait annoncé le soir de son élection : la France lutterait contre le réchauffement climatique et se tiendrait aux côtés des opprimés, des faibles et des démunis … pour creuser leur tombe.

Comité Action Palestine




Victoire du CAP sur le fond dans l’affaire AL ROWWAD

Le Tribunal Administratif de Bordeaux, après avoir condamné une première fois, le 5 juillet 2006, la mairie de Cenon pour atteinte à la liberté d’expression et ordonné l’ouverture de la salle de spectacle aux enfants d’Al Rowwad, vient à nouveau de condamner cette municipalité mais cette fois sur le fond. Nous avions souhaité que l’affaire soit jugée sur le fond et demandé que la décision du maire de Cenon d’annuler le prêt de la salle soit annulée par la justice et ses motivations dénoncées. C’est chose faite après l’audience du 31 octobre 2007. Lecture vient d’en être donnée ce 29 novembre.

Voici quelques larges extraits du jugement rendu :

« …..Considérant qu’aux termes de l’article L.2144-3 du code général des collectivités territoriales : « des locaux communaux peuvent être utilisés par des associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, de fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public (…). »

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, pour retirer l’autorisation qu’il avait précédemment accordée à l’association requérante d’occuper la salle communale Simone Signoret, le maire de la commune de Cenon ne s’est fondé ni sur un motif tiré des nécessités de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services, ni sur un motif tiré des nécessités du maintien de l’ordre public, mais sur la nature militante et politique du spectacle « nous sommes les enfants du camp », joué par la troupe des enfants du centre culturel Al Rowwad ; que ce motif n’est pas au nombre de ceux de nature à justifier la décision attaquée ;

……….

Mais considérant qu’il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que le spectacle en cause constituait une menace pour l’ordre public ; qu’il n’est pas davantage établi que la salle Simone Signoret ne serait pas adaptée à la réception d’une telle manifestation culturelle, et qu’ainsi l’accueil de ce spectacle porterait atteinte à la bonne administration des propriétés communales ; que, par suite, les motifs invoqués par le maire de la commune de Cenon ne sont pas de nature à justifier légalement la décision attaquée ; qu’il n’y a, dès lors, pas lieu de procéder à la substitution de motif demandée ;

Considérant que les dispositions de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’association COMITE ACTION PALESTINE est fondée à demander l’annulation de la décision attaquée ;

……..

DECIDE :

Article 1er : La décision du 28 juin 2006 du maire de Cenon est annulée

Article 2 : La commune de Cenon versera à l’association COMITE ACTION PALESTINE la somme de 1000 € au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l’association COMITE ACTION PALESTINE et à la commune de Cenon. Copie en sera délivrée au préfet de la Gironde. »

****************

Il était important pour le CAP de remporter cette victoire qui est une victoire contre le CRIF, contre la manipulation médiatique, contre la censure qui tente systématiquement d’interdire l’expression du peuple palestinien et de ceux qui défendent sa juste cause. Enfin c’est une victoire contre les politiques de tout bord, complices de l’Etat criminel sioniste.




La laïcité et l’Islamisme dans le Monde Arabe

gaza-juin2007[1]Article de Sukant Chandan , journaliste et analyste politique indépendant, publié par Palestine Chronicle , le 4 octobre 2007 .

L’auteur replace l’Islam politique dans une perspective historique et montre comment il a été au premier rang de la lutte contre le colonialisme tout au long du 20ème siècle au Moyent Orient.

Ancré dans l’histoire, la culture et l’identité des masses populaires, il est aujourd’hui en tête des mouvements d’indépendance dans le monde arabe, contrairement aux organisations laïques de gauche largement influencées par des idéologies extérieures à la région et maintenant sur le déclin.

Selon nous, seule la référence à Saladin comme source d’inspiration pour l’Islam politique moderne peut paraître regrettable, la configuration à l’époque étant bien différente de celle d’aujourd’hui dans ces pays qui luttent pour leur souveraineté nationale.

  

Photo : Comité Action Palestine


Replacée dans le contexte historique, la laïcité , dans le leadership politique au sein du Monde Arabe a eu une durée de vie très brève. C’était devenu un courant politique majeur pendant quelques dizaines d’années au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, et aujourd’hui il est en passe de s’écrouler complètement au sein des mouvements politiques qui luttent pour l’indépendance et le développement dans la région.

Plusieurs leaders islamiques ont représenté pour les Arabes la principale inspiration politique pour leurs mouvements de libération. Salahuddin al-Ayooub, plus connu sous le nom de Saladin, qui a libéré Jérusalem des Croisés au douzième siècle est probablement le leader islamique le plus connu à l’extérieur de la région. La légitimité de Saladin reste une profonde source d’inspiration pour les Arabes, spécialement pour les radicaux islamistes qui ne voient pas seulement un parallèle avec les invasions militaires et les occupations contemporaines, mais qui utilisent directement cette histoire lors de leur mobilisation politique au sein de leur lutte contre ceux qu’ils considèrent comme des Croisés modernes.

Plus récemment , l’islam politique a été au premier rang de la lutte contre le colonialisme au cours du 20ème siècle. Il y a de nombreux exemples de mouvements et de responsables dans chaque pays arabe, mais parmi les plus connus, on peut citer Sheikh Izz al-Din Qassam, qui a donné son nom à la branche armée du Hamas . Sheikh al-Qassam a été tué par les colons britanniques en Palestine au cours d’une confrontation armée ; sa mort a été l’étincelle de ce que certains désignent comme la première Intifada palestinienne de 1936 à 1939. En Iraq , les Islamistes chiites se sont unis avec leurs homologues sunnites contre le colonialisme britannique en 1920 dans un soulèvement populaire, qui donne son nom à l’un des plus importants groupes actuels d’insurgés islamiques en Iraq : « Les Brigades de la Révolution de 1920 ». L’islamisme chiite en Iraq peut être aussi relié à l’émergence du hezbollah libanais . Des érudits islamistes chiites, tels que Fadlallah, un maître très important du chiisme radical basé au Liban ayant des liens très étroits avec le Hezbollah, ont émigré au Liban à partir des centres religieux d’Iraq et d’Iran. Sur le plan théorique, ce sont les idées de Muhammad Abdu and Al-Afghani au cours du 19ème siècle, et plus anciennement celles d’Ibn-Tammiyah au 14ème siècle qui ont le plus contribué à l’idéologie islamiste.

Alors que c’est la propre histoire de la région qui a eu le plus d’influence sur l’Islamisme moderne, faisant de celui-ci une partie intégrante de l’identité politique des peuples et des luttes, ce sont, au contraire, les influences politiques et culturelles européennes, extérieures à la région, qui ont influencé le Nationalisme Arabe laïque moderne. Le père fondateur du Nationalisme Arabe laïque moderne était le Syrien Sati al-Husri, inspiré du républicanisme français et du nationalisme allemand du 19ème siècle. Le nationalisme arabe est devenu la force politique montante de la période post Seconde Guerre Mondiale.

Au cours de la période post Seconde Guerre Mondiale , comme dans le reste du tiers-monde, la région a connu une augmentation de la force des courants nationalistes laïques de gauche, inspirés par l’exemple de l’indépendance et du développement social du Bloc Socialiste face à l’hostilité néo-coloniale. Le soutien direct ou indirect de l’URSS, des pays socialistes de l’Europe de l’est et de la Chine, aux mouvements radicaux du Tiers Monde ont également joué un rôle majeur dans leur progression.

On peut citer l’éminent nationaliste arabe Gamal Abdel Nasser, en Egypte , dont la nationalisation du Canal de Suez a constitué le point culminant de la renaissance arabe moderne. Cela a conduit, en retour, à une atmosphère de confiance sans précédent chez les Arabes, atmosphère qui a dynamisé plusieurs tendances du Nationalisme Arabe et engendré une période pendant laquelle, les branches du Nationalismes arabes et du Parti Socialiste Ba’ath sont arrivées au pouvoir en Syrie et en Iraq . Le Mouvement National Arabe, principalement basé à Beyrouth, a engendré plusieurs mouvements de gauche tels que le marxiste Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP). Ce dernier a placé la tragédie du peuple palestinien alors largement méconnue, sur l’agenda international, en étant le premier groupe arabe armé à détourner des avions. Et bien sûr, on peut citer le parti laïc de gauche Fatah deYasser Arafat, qui a conduit la révolution nationale palestinienne à la fin des années 60.

A la même période, les forces islamistes ont aussi retrouvé leur élan et ont été souvent présents dans les rangs des mouvements indépendantistes. Ceux qui à l’intérieur et à l’extérieur de la région avaient tout intérêt à s’opposer à la vague nationaliste anti-impérialiste de gauche ont soutenu des parties de l’Islam politique qui étaient en opposition avec les laïcs. A la lumière des interactions complexes entre les deux mouvements politiques, cette relation est trop souvent simplifiée à outrance. En Algérie, le FLN était autant un mouvement nationaliste islamiste qu’un mouvement inspiré par Fanon, Mao et Che Guevara, bien que le courant islamiste fût éliminé peu après l’indépendance. Plusieurs des premiers responsables du Fatah (y compris Arafat qui le revendiquait pour lui-même) appartenaient au mouvement dont le Hamas est la « branche palestinienne » : les Frères Musulmans ou « Ikhwan Muslimeen », une force majeure de l’anti-impérialisme radical de masse qui existait après la seconde guerre mondiale avec deux branches dans le Monde Arabe. Ikhwan était la plus forte en Egypte, le lieu de résidence de son fondateur Hassan al-Banna. Sayyid Qutb, un autre leader égyptien de Ikhwan, après la mort de Hassan al-Banna, a été certainement le plus grand penseur et stratège de l’Islam politique moderne. Il a été exécuté par le régime de Nasser en 1966 après avoir été accusé de préparer un coup d’Etat. Initialement, les Officiers Libres de Nasser et les membres de Ikhwan étaient alliés dans la lutte contre les Britanniques, avant que le régime de Nasser mène une répression massive contre ce mouvement, emprisonnant et torturant cruellement un grand nombre de ses militants. Un fait très peu connu en dehors de la région est que la branche palestinienne de Ikhwan a aussi joué un rôle majeur dans la résistance contre l’établissement de l’Etat d’Israël en Palestine à la fin des années 40.

La mise en déroute par Israël de Nasser et des armées arabes en 67 peut être aujourd’hui clairement vue comme le début du déclin de la prédominance des forces laïques . Dès que les nationalistes de gauche au Moyen Orient ont été au pouvoir, leur influence dans la bataille contre le Sionisme et le néo-colonialisme a commencé à décliner. Alors que pendant la plus grande partie des années 70, les luttes ont été conduites par les forces nationalistes de gauche, cette décennie a aussi été témoin d’un tournant qualitatif en faveur de l’Islam radical. Les peuples arabes étaient très en colère quand la République Arabe d’Egypte sous le président Sadat a signé la paix avec Israël, donnant ainsi une plus grande écoute aux mouvements tels que Ikhwan et autres groupes islamistes plus radicaux. L’évènement qui a contribué plus que tout au développement des Islamistes a été le renversement par les Islamistes du plus grand allié des Occidentaux après Israël dans la région – l’Iran sous le Shah – qui était jusque là considéré comme « un ilôt de stabilité » selon l’ancien président des USA, Jimmy Carter.

Les deux plus importantes manifestations du développement des mouvements islamistes radicaux dans les années 80 , ont été le Hezbollah libanais aidé directement pour son entraînement militaire et ses infrastructures par le Pasdaran, la force militaire iranienne, et le Jihad Islamique Palestinien (PIJ). Pour ces deux mouvements, l’Iran a été la source d’inspiration.

PIJ a été le premier groupe islamiste reconnu à conduire la lutte armée contre l’occupation israélienne au début des années 1980, et le premier mouvement dans la communauté sunnite, à utiliser la tactique controversée des attaques suicides. Au même moment, l’Ikhwan palestinien a été impliqué dans la construction d’un réseau d’organisations charitables et religieuses qui représentaient des institutions d’une immense valeur pour la vie de beaucoup de Palestiniens, surtout à Gaza. L’Ikhwan a établi l’Université Islamique de Gaza à la fin des années 70. La construction d’un tel centre d’apprentissage, de débat et d’activité a constitué pour eux un grand pas et a forgé une nouvelle génération de jeunes islamistes éduqués. Cependant PIJ représentait un challenge pour l’Ikhwan palestinien car il était le seul mouvement de résistance islamiste armée contre Israël à cette époque. Cela signifie que beaucoup de jeunes militants de l’Ikhwan ont soit rejoint PIJ, soit fait pression sur leurs responsables pour développer et mettre en œuvre une stratégie militaire pour la Révolution palestinienne. Le fait que Fathi Shiqaqi, l’un des idéologues les plus charismatiques et astucieux de l’Ikhwan palestinien, ait fait scission et formé une section de PIJ, a constitué un élément supplémentaire pour donner à cette époque à l’Ikhwan palestinien l’image d’un mouvement incapable et non-désireux de faire face aux challenges de la lutte de libération palestinienne. Cela a probablement accéléré les préparations à la lutte armée menées par Sheikh Yassin et plusieurs autres leaders de l’Ikhwan palestinien, préparations qui se sont concrétisées par la mise en place de Harakat Moqawama al-Islamiyya, le « Mouvement de la Résistance Islamique » ou Hamas , le second jour de l’Intifada palestinienne en 1987 . Le document initial que le Hamas a publié en 1988, « la Charte », est problématique car elle fait référence au Protocole fabriqué des Sages de Sion. Il faut se remettre à l’esprit que ce document anti-sémite a un large crédit à travers le spectre politique de la région en raison du soutien occidental au colonialisme israélien et du sentiment d’impuissance qu’ont les masses populaires, face à l’agression israélienne. Le Hamas a ensuite publié divers communiqués qui exposaient plus précisément leur idéologie, stratégie et tactiques.

L’OLP a revendiqué qu’il était le leader de l’Intifada de 1987 et qu’il était le « seul représentant du peuple palestinien ». Le Dr Azzam Tamimi écrit dans son nouveau livre sur le Hamas (Une histoire de l’intérieur) que la volonté de l’OLP de revendiquer jalousement les responsabilités avait été en partie due au rôle majeur joué par le Hamas dans l’Intifada et à la compétition menée contre l’OLP pour le leadership.

Lors d’un renversement ironique de l’Histoire, ce sont les Mujahideens afghans soutenus par les pays occidentaux et la Chine qui ont combattu l’armée soviétique et le gouvernement pro-soviétique en Afghanistan. Ceux-ci ont donné une nouvelle impulsion au développement de l’islamisme militant moderne qui allait devenir bientôt une force puissante contre le néo-colonialisme dans la région. Le jihad afghan a permis à des militants de dépasser les rivalités qui existaient entre groupes ethniques et nationaux. Dépasser ces divisions et forger l’unité pan-arabique et pan-islamique était l’une des principales stratégies de Ben-Laden et Zawahiri pour la création en 1998 de leur organisation qui est devenue le violent « Front Islamique Mondial pour la Guerre Sainte contre les Croisés et les Juifs », plus connue sous le nom de Al-Qaeda , qui signifie « la base ». Initialement pour Ben Laden, Zawahiri et les autres, l’Afghanistan était la base du jihad international, maintenant c’est l’Iraq.

A la fin des années 80, la popularité de l’Islamisme et des mouvements islamistes était telle que le leader du nationalisme arabe laïc, Saddam Hussein, et Muammar Qaddafi avant lui, a commencé formellement à faire la synthèse de l’Islamisme avec les idées nationalistes iraquiennes et arabes, pour la construction sociale et politique de l’Iraq. L’exemple le plus visible de l’extérieur de cette évolution a été l’ajout de « Allah u Ahkbar – Allah est le plus grand » sur le drapeau iraquien pendant la guerre contre l’Iraq en 1990. Saddam Hussein a initié un programme massif de construction de mosquées et a tenté de co-opter le renouveau islamique qui prenait place au sein de la stratégie Ba’ath de positionnement de l’Iraq à l’avant-garde des pays arabes résistant au néo-colonialisme. Saddam Hussein peut être considéré principalement comme responsable de la synthèse actuelle entre l’Arabisme radical et l’Islamisme, un point de vue avancé par Jerry Long dans son livre, « La guerre des mots de Saddam ». Lors de la guerre de 1990 contre l’Iraq, une unité entre les forces de gauche nationalistes et les forces islamistes a été observée pour la première fois dans la région et sans aucun doute, pour contrer l’agression occidentale.

L’établissement de grandes bases militaires américaines en Arabie Saoudite lors de la campagne contre l’Iraq a fait fondamentalement évoluer la position de beaucoup d’islamistes jusque-là alliés aux Etats-Unis contre les nationalistes dans la région. Ces Islamistes, Osama Ben Laden étant le plus connu d’entre eux, ne pouvaient pas rester assis les bras croisés en regardant les terres d’Islam en Iraq et en Arabie saoudite occupées par les USA. Ceci a été aggravé par la prise de conscience de certains Islamistes que les USA et les Britanniques n’allaient pas leur permettre d’utiliser leurs propres ressources pétrolières pour le bénéfice de leur pays. L’exploitation pétrolière occidentale signifiait que la seule ressource naturelle du Golfe – le pétrole – allait être épuisée dans les prochaines 40 années ou environ, et qu’ils devaient se battre pour arracher le contrôle de leur propre pétrole aux Occidentaux avant qu’il n’en reste rien. Ces changements politiques ont culminé avec l’établissement d’Al-Qaeda et de plusieurs autres organisations qui partageaient ses perspectives militaires très violentes, et d’autres encore plus nombreuses qui partagent l’objectif politique d’un Monde Arabe débarrassé de la domination occidentale.

Aujourd’hui, on observe les phases finales de l’évolution du nationalisme laïque vers l’Islamisme. Ghaith Abdul-Ahad écrivant pour le Guardian le 12 juin à partir des camps de réfugiés palestiniens au Liban, décrivait d’une manière saisissante cette transition, en opposant les « combattants malades, mal équipés, mal nourris des vieilles factions laïques », avec les « jihadistes musclés, portant la barbe et bien équipés » financés par un réseau des organisations islamistes qui couvre le Moyen Orient, et observant la migration des radicaux palestiniens, à la fois les jeunes et ceux d’âge moyen, du vieux camp marxiste vers les Islamistes. Ainsi qu’un marxiste d’une cinquantaine d’année l’a dit à Abdul-Ahad, « Je n’ai jamais perdu mes repères idéologiques. Partout où se trouvent les Américains et les Israéliens, je suis de l’autre côté. Ainsi si le Hezbollah, les Iraniens et les Islamistes sont contre les Américains maintenant, et bien je suis islamiste ». Soulignant la continuité entre les groupes armés laïques de l’époque antérieure et les groupes armés islamistes actuels, un leader du FPLP a expliqué à Abdul-Ahad que « la plupart des jihadistes combattaient auparavant avec eux et d’autres groupes….si vous venez à moi et si vous me donnez 100 000$, je vais faire scission du FPLP et créer l’Armée des croyants du FPLP. C’est si simple ». Un autre leader laïque explique que le manque d’espoir et la colère ont conduit les jeunes misérables du Monde Arabe vers le militantisme « nous avons des jeunes hommes qui n’ont rien, pas d’espoir pour une nation, pas d’espoir pour le droit au retour des réfugiés, rien d’autre que les deux rues du camp. Dans cette situation, je ne serais pas surpris que la moitié du camp devienne jihadiste ».

Les Islamistes ont toujours été au premier rang de la lutte contre le colonialisme et le néo-colonialisme au Moyen-Orient depuis l’époque des Croisades. La plupart des universitaires, des hommes politiques et de ceux qui ont soutenu l’indépendance et le développement du Monde Arabe savent qu’après la seconde guerre mondiale, les mouvements islamistes ont été soutenus par ceux qui les voyaient comme des contrepoids aux mouvements anti-impérialistes laïques des tendances nationaliste arabe et marxiste. Des études et des analyses plus poussées de l’histoire contemporaine du Monde Arabe, peuvent aussi conduire à une compréhension plus nuancée de cette relation, plutôt que de coller une étiquette de « réactionnaires » aux uns et de « progressistes » aux autres. Peut-être, est-il grand temps d’abandonner cette terminologie d’un autre âge et qui pose problème. Les Islamistes eux-mêmes se voient au moins à égalité avec les laïcs radicaux, si ce n’est comme les propriétaires de droit du leadership de la lutte nationale et sociale de libération. La fin des déchirements entre les Islamistes et ce qui reste des laïcs dans la lutte anti-impérialiste est un signe de la force de ces mouvements d’indépendance dans le monde arabe, pas seulement attribuable à la faiblesse des laïcs. En outre, le leadership islamiste dans ce combat, comme au sein de la résistance iraquienne, sans le soutien des laïcs appréciés du Bloc Socialiste, est un indicateur de la force des racines de leur idéologie dans l’histoire, la culture et l’identité des masses populaires dans la région.

Sukant Chandan

 




Face à l’Islamisme : l’autisme !

burgatH[1]

Interview de François BURGAT parue dans la revue Regards en septembre 2007.

L’auteur est politologue, directeur de recherche au CNRS à Aix-en-Provence. Il est spécialiste du monde arabo-musulman et a écrit en particulier L’islamisme à l’heure d’Al-Qaida aux Editions La Découverte en 2005.

Le CAP aura l’honneur de le recevoir le jeudi 4 octobre au cours d’une conférence-débat sur le thème « La Palestine et les Médias ou l’Islamophobie au Service de l’Occupation Israélienne ». Pour plus de renseignements, voir la présentation de la soirée .

 


1 – Spécialiste du monde arabe, vous êtes très critique à l’égard de la guerre qui se mène au Proche et Moyen-Orient, faisant part de votre « scepticisme devant cet autisme guerrier de l’Occident qui renforce, encore et toujours, la suspicion vis à vis de l’autre au lieu de se décider enfin à assumer le coût de sa reconnaissance ». Si l’on partage aisément cette analyse, peut-on pour autant dédouaner totalement les dirigeants arabes (et pas seulement les islamistes les plus violents qui, de l’Algérie au Pakistan en passant par la Somalie, prêchent la guerre contre les infidèles), de toute responsabilité dans la dégradation de la situation ?

Je ne dédouane pas particulièrement les régimes des pays musulmans, bien au contraire. J’associe seulement leur pérennité au soutien qu’ils reçoivent de leurs partenaires occidentaux. Lorsque je les évoque comme des « Pinochet arabes », c’est donc pour dénoncer à la fois leurs atteintes massives aux principes démocratiques et le soutien que leur apporte néanmoins cyniquement un « ordre » mondial dont ils sont les relais locaux. La liste des récipiendaires du prix « Louise Michel pour les droits de l’homme et de la démocratie » (dans l’ordre le tunisien Zine al Abidine Ben Ali, l’égyptien Hosni Moubarak et l’algérien Abdelaziz Bouteflika) illustre, mieux que de longues explications, cette flagrante contradiction.

2 – Le militant israélien Michel Warschawski indiquait il y a quelques mois dans ces colonnes qu’une grande partie de la population israélienne a « complètement intériorisé le choc des civilisations ». Six ans après le 11 septembre 2001, dans quel état sont les relations entre les peuples de l’Occident et du monde arabe ?

Elles se dégradent, je le crains. Le très courageux Michel Warschawski sait mieux que quiconque que la passivité des Etats-Unis et de l’Europe dans le vieux conflit palestinien envenime considérablement les relations avec le monde musulman. Le soutien aveugle au camp du plus fort – malgré ses manquements graves et répétés à la légalité internationale – contribue à discréditer la notion même de légalité internationale aux yeux de toute une partie du monde. Les politiques du « deux poids et deux mesures » font que le simple déplacement d’une dizaine de colons extrémistes par l’armée israélienne peut générer un titre barrant la première page d’un grand journal (par exemple « Le Monde » du 9 août 2007) alors qu’il faut un grand nombre de morts palestiniens pour mériter une telle attention. Le dénigrement de la culture de l’adversaire musulman sert de stratégie de communication à l’Etat hébreu et cela alimente dans les opinions publiques occidentales un dangereux processus. Notre « information » sur le conflit palestinien se réduit souvent ainsi à la criminalisation sectaire des membres de la résistance palestinienne, condamnés bien plus pour ce qu’ils sont accusés d’être (des « fondamentalistes musulmans ») que pour ce qu’ils font c’est à dire résister à une occupation militaire parfaitement illégale. Les motivations de la nouvelle génération de la résistance palestinienne (le Hamas) sont lues par un prisme seulement culturaliste ou religieux, histoire d’inciter le public occidental à croire que si les Palestiniens combattent la présence israélienne, ce n’est que parce que « ce sont des fondamentalistes musulmans qui ont une civilisation que tout oppose à la nôtre ».

Au sortir de l’épreuve de la décolonisation, confrontées à des problèmes d’immigration, déstabilisés par la perte de leur vieille hégémonie culturelle, les opinions européennes sont particulièrement disposées à prendre au pied de la lettre ce genre de raccourci rhétorique extrêmement pernicieux. La « théorie » du choc des civilisations n’est en fait qu’une caution scientifique imprudemment apportée à la vieille peur de l’autre. Elle consiste à culturaliser (ou à théologiser) la lecture d’une crise pour mieux la dépolitiser et en évacuer la part de responsabilité de l’un des camps. Bon nombre de ceux qui pensent ainsi qu’il faut avant tout, pour régler la question palestinienne, promouvoir le dialogue « entre les religions » ou « entre les cultures » tombent ainsi dans le panneau de cette propagande en trompe l’œil qui réussit à nous faire dire « vive le dialogue des cultures » alors qu’il vaudrait mieux avoir le courage de dire plus simplement « à bas l’occupation militaire ».

3 – Fatah à Ramallah, Hamas à Gaza : en mettant tout en œuvre pour que cette fracture ait lieu – un an et demi de punition collective infligée au peuple palestinien, sanctionné pour avoir « mal voté » -, Washington, Tel-Aviv et leurs alliés ont clairement signifié qu’aucune organisation se réclamant de l’Islam politique ne sera considérée comme un interlocuteur valable par les puissances occidentales. Quelles conséquences cela peut-il avoir ?

Nous sommes là au cœur de la crise relationnelle présente et à venir entre le monde « occidental » et le monde « musulman ». Nos interlocuteurs y sont essentiellement des régimes que nous savons largement impopulaires. Nous pourrions atténuer les effets de cette carence de notre ancrage en ayant également d’autres interlocuteurs plus représentatifs. Mais notre conception des sociétés civiles aussi bien que des formations d’opposition se réduit malheureusement à ceux qui acceptent de communier avec nous dans la stigmatisation de l’entière génération « islamiste ».
Dans le cas de la Palestine, cela a débouché sur des contradictions particulièrement manifestes: lorsque Yasser Arafat était perçu comme trop nationaliste, les Israéliens lui ont imposé, avec le soutien de la communauté internationale, un premier ministre (Mahmoud Abbas) qu’ils considéraient (à juste titre) comme plus malléable et, pour affaiblir Arafat, ils lui ont fait transférer de larges pouvoirs. Mais lorsque des élections législatives cautionnées par toute la communauté internationale ont désigné un « mauvais » premier ministre « islamiste », cette même communauté internationale a cautionné un second coup d’Etat, contre le premier ministre cette fois, au bénéfice du « bon » président qui avait succédé à Arafat. Ce n’est pas seulement la légalité internationale mais tout autant la norme constitutionnelle palestinienne qui ont été ainsi explicitement bafouées. Où donc un tel cynisme peut il conduire ?
Le label « islamiste » est dangereux car il sous entend que les actions de celui a qui il s’applique ne peuvent avoir de motivations qu’idéologiques et donc illégitimes. Dans l’idéal, il faudrait ne juger les acteurs que sur leurs actes et non sur le vocabulaire et les références qu’ils emploient pour les exprimer et les légitimer. On y verrait alors beaucoup plus clair : bien des modernisateurs démocrates autoproclamés apparaîtraient comme les tyrans qu’ils sont et les islamistes, systématiquement désavoués, comme de possibles partenaires des processus de libéralisation politique et de modernisation.

4 – Vous ne cessez jamais de rappeler « l’extrême diversité des acteurs que [le concept de mouvement islamiste] désigne sous une même appellation ». Ces six ans de guerre contre « le terrorisme islamique » au Proche et Moyen-Orient ont-ils eu pour effet de resserrer les rangs entre les différents mouvements se réclamant de l’Islam politique ou, au contraire, chacun s’est-il conforté dans ses positions ?

Si l’on considère que les islamistes représentent une large partie de la population politique du monde arabe, même si cette population est très diversifiée, force est de constater qu’une certaine exaspération monte un peu partout à l’égard des méthodes de l’administration américaine et de ses alliés européens. La diplomatie américaine s’est efforcée, après le 11 septembre, de dresser tous les pays du Proche Orient contre l’Irak, avec les résultats catastrophiques que l’on sait. Elle tente maintenant de faire de même vis à vis de l’Iran, accusé quand à lui non pas de détenir mais seulement de vouloir acquérir des armes de la même catégorie que celles que …l’Irak n’a jamais eu mais que l’Etat hébreu a développé en toute impunité.

5 – Entre les islamistes, qui malgré la diversité dont vous faites état, restent au minimum conservateurs sinon franchement répressifs sur les question de libertés individuelles, et les dirigeants autoritaires que vous appelez les « Pinochets arabes », Ben Ali et consorts, quelles autres voies politiques existent aujourd’hui pour les peuples du monde arabe et musulman?

Il est difficile d’inscrire ma réponse dans une question dont je n’accepte pas pleinement les termes. Je me suis souvent employé à réfuter l’idée que la défense des libertés est un combat qui ne fait sens, dans le paysage arabe, que chez ceux que nous considérons comme nos alliés politiques [1] . Et qu’il serait strictement imperméable à l’esprit de ceux que nous qualifions d’ « islamistes », comme l’affirment tous ceux qui nous « expliquent » régulièrement que si nous sommes la cible des terroristes c’est « à cause de notre amour de la liberté et de la démocratie ». Je me suis employé à montrer, et d’autres avec moi, que la modernisation politique et le renforcement des libertés individuelles qu’elle implique, (des femmes aussi bien que des hommes) sont loin d’être simplement contradictoires avec cette dynamique d’affirmation identitaire islamique que j’évoque comme la dynamique de « réislamisation ». L’usage par les islamistes d’un lexique « religieux » est source de profonds malentendus. « Islamique » ne veut pas dire, ou en tout cas pas seulement « sacré ». Bien plus qu’il n’est sacré, le lexique islamique est en fait surtout « endogène », « home made », autre qu’occidental, « de chez nous »… « pas de chez eux ». En ce sens on peut considérer que sa réintroduction facilite le processus de modernisation plus qu’il ne l’entrave.

Pour qu’un processus de libéralisation politique ou de sécularisation ait quelque chance de s’ancrer dans le tissu des sociétés « musulmanes », il est essentiel en effet qu’il soit exprimé dans une terminologie et légitimé par des références qui ne soient pas perçues comme strictement « importées » de l’étranger, comme cela a été le cas lors du processus de sécularisation « à l’occidentale » au cours duquel l’idée laïque a été défendue avec des références et parfois même (au Maghreb) dans une langue, arrivés sur les selles des cavaliers de la conquête. Les notions de sécularisation, de libertés, de droits de l’homme ou de la femme, pour être intériorisées gagnent en fait à être exprimées avec le lexique de la culture locale c’est à dire, à bien des égards, avec le « parler musulman ». L’alchimie sémantique de ce qui apparaît aux observateurs les plus pressés comme « la réintroduction du religieux » ne préjuge donc absolument pas de la capacité des sociétés à opérer une certaine laïcisation. Cette laïcisation est en fait manifestement en marche à l’intérieur du monde musulman, y compris à l’intérieur de ces courants islamistes que nous percevons comme occuper seulement à « réintroduire le religieux ».

Il est donc plutôt contre productif d’agir dans notre relation avec le sud de la Méditerranée comme si la dynamique de progrès était toute entière aux mains de la seule frange sociale et politique héritière de la gauche laïque, qui serait notre seul interlocuteur possible. Nous devons au contraire être capables d’établir le contact avec tous ceux qui – quand bien même ils « parlent musulman » partagent les mêmes objectifs d’établissement d’un état de droit et de renforcement des libertés individuelles et collectives. Ils existent bien plus sûrement que le discours dominant des medias occidentaux ne nous permet de l’entrevoir.


Notes

[1] François Burgat, « Les courants islamistes face aux libertés », La pensée de Midi (Actes Sud), N° 19, Novembre 2006, « Face aux libertés…au sud de la Méditerranée » (entretien avec Thierry Fabre).
http://www.mmsh.univ-aix.fr/iremam/HTML/PUBLI/CHERCH/FB-LA%20PENSEE%20DE%20MIDI.pdf




A propos de « L’attentat », de Yasmina Khadra

images[7]Le CAP inaugure ses fiches de lecture avec L’attentat du romancier algérien Yasmina Khadra.


Voir quelqu’un qui ne voit pas, c’est la meilleure façon de voir ce qu’il ne voit pas . Il est possible, mais pas certain, que Yasmina Khadra connaisse cette phrase de Roland Barthes. C’est en tout cas celle qui vient à l’esprit à la lecture de son roman, L’attentat , consacré au problème palestinien. Curieux livre, en vérité, qui a le mérite de mettre en fiction un thème que beaucoup d’auteurs évitent comme la peste, mais qui étonne puis irrite très vite par ses choix, concernant notamment celui du point de vue adopté.

Amine Jaafour est un arabe israélien, chirurgien de son état, résidant parmi la bonne bourgeoisie locale dans un quartier huppé de Tel-Aviv. Ses collègues et amis israéliens, d’autres praticiens, le chef de la police (!), sont aux petits soins avec lui, et permettent de tempérer les quelques désagréments dus à son origine non juive. Sa vie bascule brutalement lorsqu’un attentat-suicide survient et qu’il découvre, sans vouloir y croire, que sa femme est l’auteur dudit attentat. Tout le roman consiste ensuite à suivre le parcours de cet humaniste, comme il se définit lui-même, pour tenter de retrouver les commanditaires de l’attentat, pour essayer de savoir qui a bien pu supplanter son influence dans l’esprit de sa femme. Apparemment, l’humanisme n’empêche pas les réflexes machistes. Avec beaucoup de difficultés – qui l’eût cru, on se méfie de lui – il parvient à contacter des militants du Jihad islamique, et ce faisant il (re)découvre ses origines, renouant avec des membres perdus de vue de sa famille.

Donner à penser que ce personnage arabe israélien serait représentatif des arabes israéliens, des Palestiniens vivant en Israël, est déjà en soi une escroquerie. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui jouissent d’une telle aisance financière et qui bénéficient d’autant de droits, pour ne pas dire de passe-droits. La maison du docteur n’est par exemple pas détruite après l’attentat, comme c’est le cas pour toutes ces familles dont un des membres est suspecté de terrorisme, selon la terminologie de l’occupant ; la demeure est tout au plus vandalisée par les voisins, trop heureux de trouver là une bonne occasion d’humilier quelqu’un qu’ils considèrent comme un étranger (sur sa propre terre, faut-il le rappeler).

Le docteur Amine Jaafour est en colère, très en colère. Pas parce que son peuple est humilié, que ses droits sont niés, qu’il subit une occupation depuis des décennies, que sa terre lui a été volée dans l’indifférence quasi générale. Tout cela, le docteur Amine Jaafour n’en a que faire, on se demande même s’il le sait. Non, il est en colère parce qu’il n’a rien vu venir, parce que quelqu’un a instillé la haine dans l’esprit de sa femme. Il se sent trahi, trompé, presque cocufié par ces islamistes dont, on s’en doute, il ne comprend absolument pas les motivations, et dont il ne partage évidemment pas les convictions. De fait, Amine Jaafour ne comprend rien. En cherchant à comprendre les raisons de cette haine, il n’éprouve lui-même que de la haine envers ses frères palestiniens. Et le roman dérive donc dans ce paradoxe : l’humaniste qui aime tout le monde, pour qui tous les hommes sont frères, qui n’éprouve donc aucun grief envers l’occupant israélien, se met à haïr ses véritables frères, ceux qui souffrent profondément et dont il n’a cure. En somme, il s’agit de la lamentable épopée d’un traître.

Peu importent alors les discussions avec des militants et combattants palestiniens qui sont là pour apporter quelques points de vue contradictoires, peu importent les ébauches de prise de conscience, peu importe la fin prophético-mystique. Réduire le combat du peuple palestinien à une intrigue psychologique tient de la supercherie. Et l’on se dit, en refermant le livre, que Yasmina Khadra n’écrit pas pour les Palestiniens. Il écrit pour ce public occidental bien-pensant qui est prêt à prendre fait et cause pour les malheureuses victimes israéliennes, et qui continuera à ne rien comprendre à ces prétendus fanatiques barbus qui n’hésitent pas à manipuler des innocents.

En voyant tout ce que Yasmina Khadra n’évoque pas, la souffrance des Palestiniens, en voyant tout ce qu’il ne voit pas, on se dit que Yasmina Khadra ne peut pas voir grand-chose. Tout ce que le docteur Jaafour ne comprend pas, c’est tout ce qui est étranger à Yasmina Khadra. De là à penser que c’est dû à son statut d’écrivain anti-islamiste, ancien officier, proche des généraux algériens …

Comité Action Palestine




La subversion de la démocratie

manifestationpalestine2[1]Article de Joseph Massad publié par Al-Ahram Weekly dans la semaine du 28 juin au 4 juillet 2007 et repris dans The electronic Intifada le 4 juillet 2007.

L’auteur démontre que la subversion de la démocratie au Moyen Orient a été la ligne directrice de la politique américaine dans la région depuis 1949 et que la situation palestinienne ne fait pas exception.

Selon la grande tradition de la propagande américaine et dans le cas palestinien, le soutien US est présenté comme un soutien à la démocratie, alors que la lutte du gouvernement palestinien démocratiquement élu contre la subversion et la brutalité est présentée comme une attaque envers la démocratie.

De leur côté, les putschistes du Fatah ont repris la rhétorique américaine et ont désigné leurs ennemis élus démocratiquement comme « putschistes », suivis en cela par les intellectuels dits « laïques ».

L’auteur peut donc conclure sur l’effondrement général de l’exemple laïc de la résistance palestinienne face à l’occupation israélienne.

Photo : Comité Action Palestine


Alors que les ennemis du peuple palestinien ont attaqué sur tous les fronts – d’abord Israël avec son inquisition vis-à-vis de Azmi Bishara, et avec lui la remise en cause de la résistance palestinienne à l’intérieur de la ligne verte, en se fondant sur les bases racistes de l’Etat juif, puis la clique Hariri et ses alliés du 14 mars tentant de prouver la puissance de l’armée libanaise aux dépens des civils palestiniens vivant dans le camp de Nahr El Bared, et aussi le siège continuel des territoires palestiniens par l’armée d’occupation israélienne et par son soutien américain – la dernière attaque est venue des Palestiniens collaborant avec l’ennemi : la direction du Fatah subordonnée aux Etats-Unis.

La subversion de la démocratie au Moyen Orient a été la ligne directrice de la politique américaine dans la région depuis qu’en 1949 , la CIA a soutenu le coup d’état de Hosni al Zaim pour se débarrasser du régime démocratique en Syrie.

Ensuite la liste est longue : le soutien des US au coup d’état conduit par le Shah en Iran contre le gouvernement Mossadegh, la destruction de l’expérience parlementaire libérale jordanienne en organisant une révolution de palais en 1957, le soutien au coup d’état du parti Baath en Irak en 1963 contre le populaire Abdulkarim Qassim, et ainsi de suite.

La politique américaine ne s’est pas cantonnée à détruire tous les gouvernements démocratiques et libéraux dans la région. Elle a soutenu activement, quand elle ne l’a pas planifié et favorisé, leur remplacement par des régimes dictatoriaux. Elle a formé et aidé matériellement ces gouvernements qui ont institué des régimes extrêmement répressifs et tyranniques. Il n’y a donc rien de nouveau dans le rôle actuel qu’elle joue pour la subversion de la démocratie palestinienne et pour imposer au peuple palestinien une classe de collaborateurs corrompus.

Au milieu de tout cela, les grands pontes occidentaux et leurs partenaires arabes « laïcs» -lisez pro-américains- nous servent leur analyse orientaliste fantaisiste au sujet d’une prétendue exception de la situation palestinienne. Ces experts semblent avoir oublié l’histoire de la collaboration entre opprimés au cœur de la tragédie et oppresseurs. On peut citer par exemple le Judenrat et les Kapos, les Thieus vietnamiens, l’UNITA en Angola, les Buthelezi en Afrique du Sud, le RENAMO au Mozambique, les Contras au Nicaragua et l’Armée de libération du Sud Liban sous le commandement de Saad Haddad et Antoine Lahd.

La situation palestinienne ne fait donc pas exception .

La seule exception que le Moyen Orient offre à la politique mondiale est l’intérêt disproportionné que l’impérialisme porte à la richesse en pétrole de cette région et le soutien international sans précédent pour sa colonie juive, les deux étant étroitement liés. Ce n’est pas le monde arabe qui est exceptionnel, mais c’est la stratégie américaine et la nature anachronique de sa colonisation juive. Le refus des grands pontes occidentaux et de leurs serviteurs arabes de reconnaître ces faits constitue un rejet envers toute analyse visant à remettre en cause les règles impérialistes.

Selon la grande tradition de la propagande américaine et dans le cas de la Palestine, le soutien américain au Pinochet palestinien est présenté comme un soutien à la démocratie, alors que la lutte du gouvernement palestinien démocratiquement élu contre la subversion et la brutalité est présentée comme une attaque envers la démocratie. Sigmund Freud a introduit la notion de « projection » qui correspond au fait que l’inconscient attribue tous les sentiments (et les actions) d’un individu envers un autre à cet autre. Pour Freud, c’est un processus inconscient. Cependant, la projection de tous les crimes des putschistes palestiniens (ou Ladhistes, comme ils sont connus dans le monde arabe) et de leur soutien américain, sur le Hamas est une stratégie consciente, faisant partie de la stratégie globale pour détruire la démocratie palestinienne.

Commençons par quelques précédents historiques à la situation actuelle .

En septembre 1948 pour la première fois, un gouvernement palestinien légitime est installé à Gaza, mais il est empêché d’étendre son autorité sur les autres parties de la Palestine. C’est le roi Abdallah Ier de Jordanie qui, à cette époque, s’était opposé au gouvernement général de Palestine (APG, Hukumat ‘Umum Filastin), car cela interférait avec son plan d’annexion de la Palestine centrale à son royaume. En effet, l’APG était reconnue par la Ligue Arabe (qui à cette époque était moins honteusement esclave de l’agenda américain qu’aujourd’hui) comme le seul représentant légitime du peuple palestinien et l’héritier légitime du Haut Comité Arabe. Des mesures répressives furent prises par le roi de Jordanie pour purger la Cisjordanie de tous les militants de l’APG et de nombreuses faveurs furent offertes à ceux qui souhaitaient soutenir cette tentative d’annexion, dénommée « unification ».

Une fois que Abdallah eut annexé ce territoire « légalement et administrativement », la « communauté internationale », c’est à dire le Royaume Uni et Israël, ont reconnu ce royaume étendu (sauf Jérusalem Est) alors que la Ligue Arabe continuait à s’y opposer, encourager en cela par l’APG. Mais l’APG disparaîtra bientôt de la mémoire légale et populaire, quand Gaza passera sous contrôle complet et total de l’administration égyptienne. La Palestine centrale sera renommée Cisjordanie et déclarée partie intégrante de la Jordanie. Cette annexion sera présentée comme une étape sur le chemin de l’unité arabe et en solidarité avec les Palestiniens. Le roi décrivait alors toute opposition à l’annexion comme une opposition à l’unité arabe et à la libération de la Palestine. C’est exactement ce que les putschistes du Fatah et leur président espèrent réaliser aujourd’hui en Cisjordanie, à l’exception du fait que l’unité dont ils parlent est une unité idéologique entre les putschistes du Fatah et leurs soutiens américains, israéliens et arabes.

Le putsch récent du Fatah a été mis en œuvre progressivement .

Abbas, le Pinochet palestinien, a été désigné pour son nouveau rôle il y a au moins un an et demi. Cela fait encore plus longtemps si on prend en considération la période où les américains l’ont imposé comme premier ministre contre Arafat qui était considéré comme insuffisamment coopératif avec les plans américains et israéliens. La déclaration de l’état d’urgence était prévue depuis les élections démocratiques qui ont délogé les putschistes du Fatah du pouvoir et mis en place le Hamas par un vote populaire. Ce projet a été bâti sur recommandation insistante des Américains, dont l’opposition à la démocratie dans le monde arabe trace la ligne sanglante de leur présence historique et actuelle dans la région.

Le problème était que l’occasion ne s’est pas présentée pour que ce plan soit mis à exécution. Ce n’est pas qu’Abbas, ou ses lieutenants putschistes, n’aient pas essayé de créer cette occasion. C’est ce qu’ils ont fait en collaborant ouvertement avec l’occupant israélien et les USA. Cela comprenait le blocus économique et l’étranglement imposé par les USA et l’Europe au peuple palestinien ; la ré-invasion israélienne de la Cisjordanie et de Gaza et le kidnapping d’un nombre important de parlementaires et de ministres du Hamas, l’incendie des bureaux du Premier Ministre par les voyous du Fatah, qui ont aussi attaqué personnellement certains ministres et ont saboté leur travail ; ainsi que l’aide active des services secrets égyptiens et jordaniens qui sont les principaux conseillers de Abbas aux ordres des Américains, et parfois des Israéliens.

Sur le plan idéologique, ces efforts ont été soutenus par les déclarations des intellectuels collaborateurs palestiniens dits « laïques » grâce à leur soutien au processus d’Oslo ou aux revenus que le processus d’Oslo leur a permis de retirer des ONGs. Leurs efforts ont été également soutenus par des intellectuels de l’aide droite libanaise du camp pro-Hariri qui se sont désignés eux-mêmes comme des « militants pro-palestiniens de gauche » parce que, dans les années 70 et 80, ils avaient rejoints les rangs du Fatah financés par les pays du Golfe.

Au cours des derniers mois, la collaboration avec les putschistes du Fatah ne pouvait que s’étendre. En effet, des préparatifs du putsch avaient lieu au grand jour, ceci grâce à l’aide matérielle et à l’entraînement fournis par l’armée américaine, le soutien d’Israël qui a également contribué en facilitant ces efforts, et sous couverture diplomatique arabe (toujours prête à servir). Les plans, dont j’ai exposé les détails dans un article paru en novembre (voir Pinochet en Palestine ) ont été maintenant mis à exécution avec une pompe digne de Pinochet lui-même.

Les putschistes du Fatah, dans la tradition de tous les régimes arabes non élus qui depuis 60 ans ont organisé leurs propres coups contre les forces démocratiques dans leur société et ont désigné leurs ennemis élus démocratiquement comme « putschistes » et comme ceux qui conduisaient le peuple palestinien vers de « sombres » abysses.

Pinochet n’avait pas été plus tendre envers Allende et se considérait personnellement, et son coup fasciste orchestré par les USA, comme celui qui ramènerait la nation chilienne sur le droit chemin de la servitude et de la collaboration avec l’empire. Les putschistes palestiniens ont aussi compris que pour rester au pouvoir et pour continuer à accroître leurs avantages financiers, ils devaient absolument continuer à servir l’occupation israélienne et son sponsor américain.

En effet, les putschistes palestiniens ont surpassé Israël et les Etats-Unis dans les accusations qu’ils ont fabriquées envers le Hamas. Les qualificatifs de « forces obscures » et « émirat des ténèbres » ne sont pas destinés à l’Etat juif raciste qui a opprimé les Palestiniens en se référant à la théologie juive et à la suprématie raciale, qui a bombardé massivement des civils, qui a orchestré le vol de leurs biens depuis 60 ans. Ils sont destinés au Hamas démocratiquement élu et qui n’a fait que se défendre pendant la dernière étape du coup que Mohammed Dahlan, le putschiste en chef, a organisé à Gaza, au nom du Fatah et de ses sponsors israéliens et américains.

La rhétorique de Abbas, sans doute dictée par Condi Rice et Ehud Olmert, est parfaitement en phase avec celle des intellectuels palestiniens inscrits sur le registre d’Oslo et avec celle de leurs supporters libanais (qui sont à leur tour inscrits sur le registre du clan Hariri, et du journal Al-Nahar). Le seul péché que le Hamas ait commis fut sa victoire sur les putschistes après que ces derniers l’aient poussé dans ses retranchements en espérant abattre son leadership à Gaza. Le Hamas, qui a été plus que patient depuis des mois de provocations brutales (y compris l’assassinat de ses responsables, l’emprisonnement et la torture de ses membres, pour ne citer que les faits les plus importants) de la part des putschistes, ne pouvait rien faire d’autre que de se défendre au cours de l’assaut final.

Comme punition, le peuple palestinien qui a élu le Hamas, va continuer à subir les horreurs de la part des Américains, Israéliens et Européens.

Les Etats anti-démocratiques américains et européens envoient déjà des récompenses financières et diplomatiques aux responsables du putsch en Cisjordanie. Israël, aussi, mais de manière plus prudente. Au cours des derniers jours, la principale aide israélienne aux putschistes a consisté à bombarder Gaza et à organiser avec le responsable du coup d’état des discussions pour « la paix » à Sharm al-Sheikh.

En effet, afin de récompenser le putsch antidémocratique, Israël, les Etats-Unis et l’Europe ont renversé toutes les mesures qu’ils avaient prises pour punir la démocratie palestinienne depuis l’élection du Hamas. A cet effet, Israël a commencé à restituer l’argent des taxes qu’il avait volé au peuple palestinien depuis un an et demi (environ un milliard de dollars US). Comme dans le cas de son prédécesseur chilien, le gouvernement illégal mis en place par Abbas avec son premier ministre technocrate Salam Fayyad, va recevoir toute sorte d’aide économique, militaire, diplomatique et idéologique. N’oublions pas que les économistes technocrates « de l’école de Chicago », disciplines de Milton Friedman, ont été en charge de l’économie chilienne sous Pinochet et l’ont presque anéantie. C’est l’exemple chilien qui a popularisé le terme « technocrate » dans les gouvernements, appellation devenue banale après les années 1980. C’est maintenant eux qui promettent au peuple palestinien son salut.

Depuis qu’il a conduit le putsch contre la démocratie, Abbas a suspendu plusieurs articles de la loi fondamentale qui requièrent l’approbation du parlement pour les décisions qu’il prend. Il a aussi ordonné la dissolution de toutes les ONGs qui doivent maintenant redemander des autorisations. Ces autorisations ne seront pas octroyées aux organisations affiliées au Hamas, les rendant ainsi illégales. Alors que le Hamas a réussi à contrôler rapidement les pillages et les désordres causés par certains de ces membres, les voyous du Fatah poursuivent en Cisjordanie les destructions massives des biens des organisations liées au Hamas, y compris des centres sociaux, des écoles et des bureaux. Au même moment, les membres du Hamas, y compris les élus, doivent se cacher pour sauver leur peau, des centaines ayant été raflés par Israël ou le Fatah. Les déclarations de disparition sont très nombreuses.

Et tout cela est complètement assumé par la « communauté internationale » au nom de son soutien à la « démocratie ». En effet, la rhétorique utilisée par Abbas et sa junte du Fatah est empruntée à la rhétorique des Etats-Unis dans sa guerre contre le terrorisme, spécialement le lien entre le Hamas et l’Iran.

Au même moment, les actions que les voyous du Fatah ont organisées, y compris la défenestration d’un militant du Fatah (confondu avec un militant du Hamas) du haut d’un bâtiment de plusieurs étages, et autres, ont été reprochées au Hamas par le chœur des intellectuels laïques (et les médias satellitaires saoudiens) qui soutiennent le putsch du Fatah. Le poème récent que Mahmoud Darwish a écrit en soutien au putsch et publié en couverture du journal saoudien Al-Hayat, peut peut-être être expliqué par les chèques mensuels que l’auteur reçoit de l’Autorité Palestinienne contrôlée par le Fatah, et il n’est pas le seul. Sa condamnation des intellectuels laïques qui soutiennent la démocratie palestinienne est une tentative supplémentaire pour polariser la société palestinienne, non pas entre ceux qui soutiennent la démocratie et ceux qui s’y opposent, mais entre les laïques et les Islamistes. Le fait que ce soit ces « laïques » qui collaborent avec l’état théocratique d’Israël pour détruire la démocratie dite « Islamiste » est présenté comme une force de la modernité et du progrès occidental.

Ce que n’ont pas compris Darwish et consorts c’est que ce sont les « forces obscures » de l’Islamisme en Palestine qui défendent la démocratie.

La position en faveur du putsch adoptée par beaucoup d’intellectuels laïques favorables à Oslo, vis-à-vis de la démocratie palestinienne transforme de fait les laïques palestiniens en « forces obscures » de l’Histoire palestinienne depuis des décennies. Ce dont nous sommes témoin aujourd’hui n’est rien moins que l’effondrement général de l’exemple laïc de la résistance palestinienne face à l’occupation israélienne. Le seul antidote à ces véritables forces de l’ombre est de continuer à soutenir et à mobiliser la démocratie palestinienne et de considérer les responsables du putsch antidémocratique et les intellectuels qui leur pardonnent pour ce qu’ils sont : des collaborateurs avec l’ennemi.

Joseph Massad

Joseph Massad est professeur associé, spécialiste de politique arabe et d’histoire intellectuelle à l’Université de Columbia. Son dernier livre s’intitule : The Persistence of the Palestinian Question ; Essays on Zionism and the Palestinians .

Traduction : N. Ollat pour le CAP

Voir l’article dans une traduction un peu différente sur info-palestine .




La repentance et les femmes de l’homme barbu

rennes-des-femmes-voilees-contre-lislamophobie[1]Article de François Burgat publié le 2 juillet 2007 sur Oumma.com dans lequel il analyse le discours très en vogue actuellement qui consiste à vouloir stopper la repentance des français concernant leur passé colonial, repentance qui aurait « envahi la conscience nationale« .

Cette propagande, dirigée par P. Bruckner puis par le Président Sarkozy lui-même, interdit l’analyse historique des situations présentes, dans les banlieues françaises par exemple, et montre du doigt les musulmans, coupables de tous temps, d' »habiller trop long leurs femmes » et plus grave peut-être, d' »égorger les moutons« .

Ces populations ont donc ce qu’elles méritent, que ce soit dans les banlieues françaises ou plus loin de nous, en Irak, en Afghanistan ou en Palestine.

Cette article est très important puisqu’il fait le point sur une des plus grandes manipulations idéologiques de ces dernières années : ceux-la même qui organisent la repentance infinie envers les juifs victimes du génocide commis par les nazis n’ont aucune honte à condamner avec la plus grande fermeté toute tentative de réflexion sur la colonisation.

Dans quel but ? Ils l’avouent eux-mêmes : faire cesser cette intolérable « concurrence des mémoires » ; les seuls à avoir souffert dans l’histoire ne peuvent être que les juifs bien sûr ! Corollaires : Israël est légitime, le massacre des arabes et des musulmans aussi.


« Je vais en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres. » « Une grande nation comme les Etats-Unis a le devoir de ne pas faire obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique mais, au contraire, de prendre la tête de ce combat, parce que ce qui est en jeu c’est le sort de l’humanité toute entière. » « À toutes les femmes martyrisées dans le monde, je veux leur dire que la fierté et le devoir de la France sera d’être à leur côté. […] La France n’abandonnera pas les femmes qu’on condamne à la burqa, la France n’abandonnera pas les femmes qui n’ont pas la liberté ».

Nicolas Sarkozy, 6 mai 2007

Avant de rejoindre le camp de Nicolas Sarkozy et d’y gagner un portefeuille ministériel, le socialiste Éric Besson avait décrit son adversaire électoral d’alors comme « un “néocon” américain à passeport français ». De fait, dès le soir de son élection, notre « néocon » a développé une très sélective vision de l’altérité.

Le thème de la sécurité a eu beau envahir la campagne électorale, les perspectives tracées sur ce terrain, dans et hors de l’hexagone, constituent autant de trompe l’œil qui risquent de nourrir les pires malentendus. Si demain la France ne devait plus disposer, pour communiquer avec les rives musulmanes de la Méditerranée, d’autre langage que celui de la confrontation, il faudrait se souvenir que l’aiguillage, ou l’engrenage, du 6 mai 2007 y aura été pour beaucoup.

« Halte à la repentance ! »

« Halte à la repentance », nous a d’entrée de jeu signifié le chef de l’État. Qu’est-ce à dire ? Que, quand bien même n’aurait-on pas encore fini de l’écrire, il faut dès aujourd’hui tourner la page de la colonisation. La colonisation, avait expliqué le candidat Sarkozy, a moins été en effet l’expression d’un « rêve de conquête » que celle d’ « un rêve de civilisation » [1].

De cette « repentance », on chercherait en vain la moindre trace dans les programmes scolaires, ou dans la mémoire législative de la France. Elle a pourtant, nous a dit le président élu, envahi la conscience nationale au point de nourrir la haine des « bons Français ».

Evoquer les crimes coloniaux ou seulement tenter de savoir pourquoi et comment, ici et là, la vieille fracture coloniale continue à travailler notre société et ses relations avec le monde [2] ? Masochisme, dévoiement de la conscience et auto-flagellation ! Nicolas Sarkozy – qui « parle Bruckner » [3] couramment – entend nous épargner ces « sanglots de l’homme blanc » accusés d’alimenter une intolérable « concurrence des mémoires ».

Rideau, donc, sur toute inscription de la lecture des tensions régionales dans un cadre historique qui intégrerait le précédent fondateur de l’actuel « choc des cultures ». Rideau sur toute tentative d’explication profane des bruyantes mais banales (ré)affirmations identitaires d’une rive Sud du monde longtemps privée de sa voix et son lexique. Et honte sur ceux qui, sur les deux rives, pour mieux regarder leur avenir, entendent poser leur regard sur les ombres autant que sur les lumières de leur histoire partagée.

En ce début de XXIème siècle, les multiples malentendus n’auraient donc rien à voir avec une quelconque volonté de résurgence des anciens dominés ou de leurs descendants ; et les défis que nous devons surmonter, rien à voir non plus avec notre difficulté à envisager la sortie du confort de l’hégémonie politique, économique et culturelle ancrée dans la relation coloniale. L’ « Halte à la repentance » signifie simplement que nos difficultés quotidiennes ne sauraient nullement s’ expliquer par nos erreurs passées ou présentes mais bien par celles des « autres » et par celles-là seulement.

Tout devient dès lors …si simple. Ce sont les colonisés qui nous ont trahis et non l’inverse ! Ce sont ces ingrats (et leurs enfants devenus Français) qui ont l’insolence de bouder aujourd’hui la Marianne généreuse qui a condescendu à les civiliser. Ce sont eux qui refusent de reconnaître les « Lumières » dans les halos médiatiques artificiels que braquent sur eux-mêmes nos (nouveaux) « philosophes » ! Qu’ils le fassent dans leurs nouvelles frontières, dans ce monde où rôdent les « intégristes » de tout poil, passe encore.

Mais, que dans nos propres cités, d’impertinents « indigènes » osent de plus en plus ouvertement rappeler à Marianne les plus criantes de ses contradictions, c’en est trop ! Tout s’enchaîne ensuite logiquement. Comme dans La Tyrannie de la pénitence, le refus de toute reconnaissance de l’histoire réelle sert surtout à annoncer le refrain qui, de Charlie-Hebdo à Philippe de Villiers et d’Alain Finkielkraut à Robert Redecker en passant par « l’immortel » Max Gallo, fédère aujourd’hui comme jamais les rangs du discours médiatique qui s’est substitué en France à celui de la pensée.

Notre mal-vivre, les malentendus qui surgissent ici et là avec le Sud musulman, voire avec quelques-uns de ces trublions de nos banlieues, n’auraient donc rien à voir avec nos égoïsmes ou nos propres crispations identitaires et …communautaristes. Ils n’auraient rien à voir avec les raccourcis que persistent à emprunter les politiques, sociale ou étrangère, de la France, de l’Europe ou de ces grands alliés que nous sommes plus que jamais invités à admirer. Pas question en effet, autre point fort du discours fondateur, de nous opposer moindrement aux Américains si ce n’est sur… le réchauffement de la banquise.

Rien à redire aux bombes avec lesquelles eux mêmes, leurs alliés ou autres protégés « réchauffent » l’Irak, le Liban, la Palestine ou l’Afghanistan. Rien à reprocher aux manipulations sectaires – quoi de mieux qu’un chiite pour nous débarrasser d’un sunnite ou qu’un Arabe pour nous débarrasser d’un Perse – dont leurs officines « contre-terroristes » font plus que jamais leur miel. Rien à redire au soutien aveugle accordé aux pires dérives des occupants israéliens : silence devant ceux qui, eux aussi, au nom de leur « sécurité », (en fait pour coloniser plus, encore et toujours), asphyxient en dressant murs et check-points, confisquent les ressources financières, kidnappent élus et ministres, assassinent les uns, affament les autres, ligotent tout un peuple qui a mal voté pour oser ensuite dénoncer impunément son incapacité à faire régner l’ordre ! Rien à promettre, donc, à aucun réfugié Palestinien, Irakien ou Afghan à aucun veuf, orphelin ou veuve de ces guerres là. Ceux-là… menaceraient notre identité nationale.

A l’origine de tous nos maux : le machisme du mâle musulman…

Si l’on comprend bien Nicolas Sarkozy, la vraie violence qu’il soit à la fois politiquement correct et rentable de dénoncer et de combattre, la seule à faire des victimes suffisamment nobles pour nous faire oublier nos sacro-saints quotas migratoires, ce n’est surtout pas celle de Guantanamo ou d’Abou Ghraïb, ni celle d’Hébron ou de Gaza : c’est le machisme des mâles musulmans contre leurs filles et leurs épouses !

Nous y voilà ! Tout le mal-vivre du monde ne vient que de l’insupportable culture de ces « Autres » qui ont moins le tort – inavouable – de nous résister que celui – impardonnable – d’avoir des épouses portant des vêtements d’une insupportable longueur. Seules ces victimes-là méritent notre volontarisme diplomatique. Elles seules pourront franchir les barrières ouvrant la félicité républicaine de la France magnanime. Avec nos encouragements tacites, l’Amérique de Georges Bush peut donc pérenniser la militarisation suicidaire de sa diplomatie pétrolière.

A l’abri de tout risque d’ « ingérence humanitaire » de nos French Doctors, les geôliers maniaques du terrifiant ghetto de Gaza peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Au Sud ou à l’Est de la Méditerranée, du « modernisateur » tunisien Ben Ali au « libéral » palestinien Abbas, les « Pinochets arabes » peuvent se réjouir à l’unisson de la clairvoyance réaffirmée de leurs partenaires occidentaux. Les généraux algériens qui, pour garder le contrôle de leurs pétrodollars, ont plongé depuis 1992 leur pays dans une terrifiante guerre civile, étaient du bon côté de l’histoire (c’est-à-dire, bien sûr, le nôtre).

Moubarak et ses homologues peuvent continuer à « benladeniser » les plus légalistes de leurs opposants et à brandir une explication « théologique » – luttons ensemble contre les fous de Dieu– occultant tout autant les ravages de leur autoritarisme que l’écrasante complicité de leurs sponsors et partenaires occidentaux.

De l’Afghanistan au gouvernement « Fillon 2 », tout s’enchaîne ! La vieille boucle coloniale se referme : comment osez vous vous plaindre, vous dont nous sommes en train de libérer les femmes ! Les fils de ceux que la République a importés par milliers pour assurer la croissance de l’après-guerre peuvent demeurer dans le rang, aussi soigneusement écartés des bancs du gouvernement que de ceux de l’Assemblée nationale.

Ceux là, pour sûr, porteraient atteinte à notre « identité nationale ». Pères, maris et fils peuvent moisir dans leurs banlieues. En Afghanistan ou en Irak, ou dans leurs bantoustans palestiniens, leurs cousins peuvent continuer à se passer de notre sollicitude. Comment ceux dont les épouses portent des vêtements d’une telle longueur oseraient-ils se plaindre d’une domination qui leur apporte les Lumières de la modernité ?

Bienvenue en revanche aux … femmes des hommes potentiellement barbus, et à elles seulement. Sans même nous montrer trop exigeant sur leur talent, nous sommes même prêts à leur confier des responsabilités gouvernementales… faites spécialement à leur mesure : c’est à elles qu’il revient désormais de nous protéger contre cette menace partagée que représentent, pour elles comme pour nous, leurs pères, leurs maris et leurs frères !

Méditerranée : quelle « union » ?

A bien y regarder, il existe deux bénéficiaires potentiels de cette « sécurité » dont on nous parle tant. Les premiers sont…les destinataires désignés et théoriques des politiques mises en œuvre en leur nom ; les seconds – titulaires de privilèges qu’ils sont peu enclins à céder – sont les auteurs et …les bénéficiaires réels de ces politiques « sécuritaires ». Lorsque ceux-là se proposent de veiller sur notre sécurité, c’est en fait… celle de leur élection ou de leur réélection qu’ils cultivent.

Pour la garantir, il leur suffit malheureusement de parler à nos tripes, de conforter nos peurs (face aux « égorgeurs de moutons » et autres amis de Ben Laden) de cultiver notre méconnaissance (de l’origine profane des violences qui déchirent le Proche-Orient et de la part de responsabilité essentielle qui nous en revient) bref…de creuser tous ces malentendus qui sont inexorablement en train de nous conduire vers la confrontation.

Protéger réellement notre sécurité couterait en fait bien trop cher …à leur carrière : Il est bien plus dur et donc plus couteux politiquement de parler au cerveau d’un électeur qu’à ses tripes, plus ingrat de raisonner ses peurs que de s’en servir comme tremplin oratoire.

C’est ainsi qu’en 2007, d’un bout à l’autre de l’Europe, les politiques du gyrophare et les raccourcis criminalisants du « Karcher » viennent de marquer des points. Un succès électoral s’est construit sur la gestion cynique de nos penchants xénophobes. Cette victoire sucrée pourrait bien vite prendre un gout amer : celui des fausses routes qui se terminent dans l’impasse de vrais conflits – ceux que nos « néocons » à la française se targuent bruyamment de vouloir prévenir.

François Burgat

Notes :

[1] « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranée. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. » Toulon 7 février 2007

[2] Pascal BLANCHARD, Nicolas BANCEL et Sandrine LEMAIRE (dir.), La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial , La Découverte, Paris, 2005.

[3] Pascal BRUCKNER, La Tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme en Occident , Grasset, Paris, 2006.




Gaza : la mythomanie médiatique

_68209289_hamasvictoryrally[1]Saluons les prouesses d’une presse française qui, faisant de la calomnie, de la manipulation, de l’hypocrisie et de la dissimulation ses quatre vertus cardinales, incarne à merveille l’un des plus nobles idéaux des médias : fausser la conscience publique .

Concernant les derniers événements en Palestine, radios et journaux français ont atteint leur plus haut degré sur l’échelle du mensonge : la mythomanie

Cela se comprend. Une étape décisive dans une lutte de libération est d’un enjeu trop important pour que la propagande se risque à voir le contrôle de l’opinion lui glisser entre les doigts. Il y va de l’avenir du monde libre et civilisé. Il faut préserver celui-ci envers et contre tous ces Arabes qui se permettent de pratiquer la résistance, de rejeter l’impérialisme américano-sioniste, d’élire démocratiquement le gouvernement qui les représente le mieux, de refuser de reconnaître une entité nommée Israël qui les massacre, les vole et les affame depuis près de soixante ans, de s’insurger contre ses collaborateurs.

Pareille fin appelle, pour notre presse française, de grands moyens. Aussi la déformation médiatique de la réalité sera-t-elle intégrale, et l’inversion des rôles, complète .

Que devient, chez les mythomanes de la presse française, un gouvernement légalement élu et de surcroît plébiscité par un peuple ? Une bande de hors-la-loi, de rapaces et de pillards .

Que devient la lutte politique entre un Fatah embourgeoisé et minoritaire, prêt à se vendre à l’occupant, et les classes populaires favorables au Hamas ? Une lutte fratricide , voire, plus tribal, une guerre clanique .

Ce même choix du Hamas et de la résistance par ces mêmes classes populaires ? Une allégeance au nouveau pouvoir .

La victoire militaire des leaders Hamas de la résistance à Gaza ? Un coup d’Etat .

Le calme retrouvé dans Gaza libérée ? Une occupation qui sent l’univers concentrationnaire et la purge .

Les journaux français diabolisent le Hamas. Mais ils le diabolisent objectivement. Comme ils défendent tout aussi objectivement le parti des Abbas et autres Dahlan dont aucun résistant palestinien ne veut. Car ils pratiquent un manichéisme impartial.

Alors que le Hamas, qui n’a pas encore eu l’heureuse idée de prendre des leçons auprès du Monde ou de Libération , sépare arbitrairement les bons des méchants. Nous en avons pour preuve la proposition qu’il a faite au Fatah, son adversaire malheureux aux dernières élections législatives, de participer à un gouvernement d’union nationale. Offre d’ailleurs déclinée par l’intéressé – à tous les sens du terme. Lequel a depuis œuvré à l’élimination du gouvernement Haniyeh. Mais il y a œuvré en toute loyauté, c’est-à-dire avec l’aide des ennemis du peuple palestinien.

A en croire nos quotidiens préférés, en Palestine le monde tourne à l’envers. Les Palestiniens marchent sur la tête. Ils s’auto-occupent. Ils s’auto-détruisent. Ils s’entre-dévorent. Le monde libre, qui tourne à l’endroit, pleure sur ces malheureux qui s’aliènent dans leur lutte de libération. Ils n’ont pas compris qu’ils devaient crier, crier en chœur avec les médias français l’absolue légitimité de leur usurpateur sioniste. Ils n’ont pas compris qu’ils devaient applaudir les collaborateurs, clamer leur solidarité avec ceux qui les trahissent, s’agenouiller devant leurs assassins.

A en croire nos quotidiens préférés, les Palestiniens n’ont pas compris que leur avenir n’est pas en Palestine. Que leur volonté d’autodétermination est un crime de lèse-sionisme qui ne peut que les conduire à leur perte.

Comité Action Palestine

 




Bienvenue en « Palestine »

hamas[1]Article de Robert Fisk paru dans The Independent le 16 juin 2007.

L’auteur montre qu’en Palestine comme ailleurs au Proche-Orient, les régimes occidentaux ne soutiennent pas les gouvernements ou les hommes politiques parce qu’ils sont démocratiquement élus mais parce qu’ils sont acquis à leurs intérêts, très souvent par la corruption.


Ah ! Les Musulmans au Proche-Orient ! Comme ils peuvent être pénibles ! Pour commencer, nous exigeons des Palestiniens qu’ils épousent la démocratie. Mais eux, ensuite, ils élisent le mauvais parti – le Hamas – et après celà celui-ci remporte une mini guerre civile et préside sur la Bande de Gaza. Et nous, les Occidentaux, voulons toujours négocier avec le président discrédité [de l’Autorité Palestinienne], Mahmoud Abbas. La « Palestine » d’aujourd’hui – et laissons ses guillemets à leur place ! – a deux Premiers ministres. Bienvenue au Proche-Orient !

Avec qui pouvons-nous négocier ? A qui nous adressons-nous ? Oui, bien sûr, nous aurions dû parler au Hamas depuis des mois. Mais nous n’aimions pas ce gouvernement démocratiquement élu par les Palestiniens. Ces Palestiniens qui étaient censés voter pour le Fatah et sa direction corrompue. Mais c’est pour le Hamas qu’ils ont voté. Le Hamas qui refuse de reconnaître Israël ou de respecter l’Accord d’Oslo totalement discrédité.

Personne n’a demandé – dans notre camp – quel Israël particulier le Hamas était supposé reconnaître. Israël de 1948 ? Israël des frontières d’après 1697 ? Israël qui construit – et continue de construire – de vastes colonies pour les Juifs et seulement les Juifs sur la terre arabe, avalant encore plus des 22% de la « Palestine » qui restent à négocier ?

Et c’est pourquoi, aujourd’hui, nous sommes censés discuter avec notre loyal policier, M. Abbas, le dirigeant palestinien « modéré ». (C’est ce qu’en disent la BBC, CNN et Fox News). Un homme qui a écrit un livre de 600 pages sur [le processus d’] Oslo sans mentionner une seule fois le mot « occupation ». Un homme qui a toujours parlé du « redéploiement » israélien plutôt que du « retrait ». Un « dirigeant » en qui nous pouvons avoir confiance parce qu’il porte une cravate, se rend à la Maison Blanche et dit toutes les choses qu’il faut dire. Ce n’est pas parce qu’ils voulaient une république islamique que les Palestiniens ont voté pour le Hamas , mais c’est ce qu’on dira après leur sanglante victoire. Ils ont voté pour le Hamas parce qu’ils en avaient marre de la corruption du Fatah , le parti de M. Abbas, et de la nature pourrie de l’ « Autorité Palestinienne ».

Je me souviens avoir été convoqué, il y a des années, chez un officiel de l’Autorité Palestinienne dont les murs venaient juste d’être crevés par l’obus d’un char israélien. Véridique. Mais ce qui me frappa, c’était les robinets plaqués-or dans sa salle de bain. Ce sont ces robinets — ou les choses de cet acabit — qui ont coûté au Fatah son élection. Les Palestiniens voulaient la fin de la corruption — le cancer du monde arabe – et c’est pourquoi ils ont voté pour le Hamas. Et alors, nous, l’Occident si sage et si bon, avons décidé de les sanctionner, de les affamer et de les maltraiter pour avoir voté librement. Peut-être devrions-nous offrir la qualité de membre de l’Union Européenne à la « Palestine » si elle avait la grâce de voter pour les bonnes personnes ?

Au Proche-Orient, c’est partout la même chose .

En Afghanistan , nous soutenons Hamid Karzai, même s’il garde des chefs de guerre et des barons de la drogue dans son gouvernement. (Et, soit dit en passant, nous sommes vraiment désolés pour tous ces civils afghans innocents que nous tuons dans notre « guerre contre la terreur » sur les terres abandonnées de la province du Helmand).

Nous aimons l’Egyptien Hosni Moubarak. Ses tortionnaires n’en ont pas encore fini avec les politiciens des Frères Musulmans, arrêtés récemment à l’extérieur du Caire. Sa présidence a reçu le soutien chaleureux de Mme – oui, Mme – George W. Bush – et dont la succession passera presque certainement à son fils, Gamal.

Nous adorons Muammar Kadhafi, le dictateur fou de la Libye . Ses loups-garous ont assassiné ses opposants à l’étranger. Son complot pour assassiner le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite a précédé la récente visite de Tony Blair à Tripoli. Le colonel Kadhafi, devrait-on se souvenir, a été appelé « homme d’Etat » par Jack Straw pour avoir abandonné ses ambitions nucléaires qui n’existaient pas. Et sa « démocratie » nous est parfaitement acceptable parce qu’il est de notre côté dans la « guerre contre la terreur ».

Oui, nous aimons la monarchie du Roi Abdallah en Jordanie et tous les princes et les émirs du Golfe , en particulier ceux qui reçoivent des pots-de-vin si gros de nos sociétés d’armement que même Scotland Yard doit clore ses investigations sur les ordres de notre Premier ministre — et oui, je peux très bien voir pourquoi il n’aime pas la manière dont The Independent couvre ce qu’il appelle de façon pittoresque le « Moyen-Orient ». Si seulement les Arabes — et les Iraniens — pouvaient soutenir nos rois, nos shahs et nos princes, dont les fils et les filles sont éduqués à Oxford et à Harvard, comme le « Moyen-Orient » serait plus facile à contrôler !

Il s’agit bien de cela – du contrôle – et c’est pourquoi nous tenons bon et que nous retirons nos faveurs à leurs dirigeants. Maintenant que Gaza appartient au Hamas, que vont faire nos propres dirigeants élus ? Tous nos dogmatiques de l’UE, de l’ONU, de Washington et de Moscou doivent-ils désormais parler à ces gens misérables et ingrats (je crains que non, puisqu’ils ne seront pas capables de leur serrer la main) ou devront-ils reconnaître la version cisjordanienne de la Palestine (Abbas, la paire de bras sans danger), tout en ignorant le Hamas élu et militairement victorieux à Gaza ?

C’est facile, bien sûr, d’appeler la malédiction sur chacune de leurs maisons. Mais c’est ce que nous disons de tout le Proche-Orient. Si seulement Bashar al-Assad n’était pas le Président de la Syrie (Dieu seul sait quelle serait l’alternative !) ou si le Président cinglé Mahmoud Ahmadinejad n’était pas aux manettes de l’Iran (même s’il ne sait qu’approximativement ce qu’est un missile nucléaire). Si seulement le Liban était une démocratie bien de chez nous comme nos petits pays de derrière les fagots — la Belgique, par exemple, ou le Luxembourg. Mais non ! Ces satanés Proche-Orientaux votent pour les mauvaises personnes, soutiennent les mauvaises personnes, ne se comportent pas comme nous, les Occidentaux civilisés.

Alors, qu’allons-nous faire ? Soutenir la réoccupation de Gaza, peut-être ? Nous ne critiquerons certainement pas Israël. Et nous continuerons de donner notre affection aux rois et aux princes — et aux présidents disgracieux — du Proche-Orient, jusqu’à ce que toute la région nous pète à la figure. Et, ensuite, nous dirons — comme nous le disons déjà aux Irakiens — qu’ils ne méritent pas notre sacrifice et notre amour.

Comment traitons-nous un coup d’Etat fait par un gouvernement élu ?

Robert Fisk

Traduit de l’anglais par [|JFG/QuestionsCritiques ]

 




Election présidentielle en France : Et la Palestine ?

crif-diner01[1]Tract et analyse du CAP de mai 2007 qui dénonce le positionnement des candidats à propos de la cause palestinienne. Tous ont entretenu un flou qui dissimule en fait leur soutien à l’Etat d’Israël.

Ainsi, pour tous les candidats : il y a des Apartheid plus légitimes que d’autres, des fascismes plus tolérables que d’autres puisqu’ils ne s’élèvent pas contre l’Etat israélien.

Le sacro-saint principe de laïcité ne semble pas, lui non plus, devoir s’appliquer à l’état juif.

Enfin, les élections démocratiques en Palestine ne semblent pas avoir la même valeur qu’ailleurs : certains peuples ont-ils le droit de choisir leurs dirigeants et d’autres non ?

Il est temps de mettre ces questions en avant : les échéances électorales sont encore nombreuses et les candidats devront un jour ou l’autre répondre de leur soutien à Israël.


 

Saisissant l’occasion de l’élection présidentielle et considérant que le domaine des relations internationales en est un élément capital, le Comité Action Palestine a décidé d’intervenir dans cette campagne pour informer les électeurs au sujet du positionnement des candidats sur la cause du peuple palestinien.

Dans ce domaine, la majorité des candidats entretiennent un flou qui dissimule en fait un soutien objectif à l’Etat d’Israël .

Au-delà des bonnes intentions qui en appellent vaguement au droit international, aucun candidat ne dit ou n’ose dire la vérité sur la nature de cet Etat colonial. Ils se prononcent tous en France pour la défense de la laïcité, mais jamais ne remettent en cause la légitimité religieuse dont se drape l’Etat d’Israël . Ils savent pourtant que la « Déclaration d’Indépendance » de cet Etat fait explicitement référence à la Bible. L’exigence de laïcité est-elle à géométrie variable ?

Quand tous prétendent lutter contre toutes les formes de racisme, ils acceptent voire ils défendent un Etat qui, en son sein même, pratique ouvertement le racisme et la discrimination : l’accès différentiel à la citoyenneté pour les juifs (automatique) et pour les Arabes (conditionnel), la discrimination dans l’accès à l’emploi, dans le bénéfice des droits sociaux, etc. Un détour par l’Histoire montre que l’ONU a voté en 1975 une résolution condamnant le sionisme en tant qu’idéologie raciste et que la conférence de Durban en Afrique du Sud en 2001 a prononcé le même verdict. Cet Apartheid qui dure depuis soixante ans est-il plus légitime qu’un autre ?

Le mur du racisme, comme le nomment les Palestiniens, édifié pour les spolier davantage de leurs terres, ne fait pas partie des sujets d’indignation des postulants à l’élection présidentielle, certains le trouvent même justifié. Ils ne dénoncent pas fermement non plus la colonisation commencée à la fin du 19è siècle, qui s’est accélérée avec la création en 1948 de l’Etat d’Israël et qui continue encore en Cisjordanie, dans la vallée du Jourdain et au Naqab notamment. Pas un mot non plus sur la judaïsation de Jérusalem et d’autres villes palestiniennes. Pourtant certains historiens comme l’israélien Ilan Pappé désignent ce processus comme une forme d’épuration ethnique. Existe-t-il alors des indignations sélectives ?

Quand tous ces candidats n’ont que le mot de démocratie à la bouche, il n’y en a aucun pour qualifier de terrorisme d’Etat le kidnapping de plus de 60 ministres et députés palestiniens. Ils ne sont pas non plus mobilisés pour s’opposer au blocus politique et économique occidental contre le peuple palestinien, puni pour avoir donné la majorité au Hamas lors des dernières élections législatives. Faut-il croire alors que certains peuples ont le droit de choisir leurs dirigeants et d’autres pas ?

En bref, ils ne condamnent pas clairement et sans appel un Etat sioniste qui, dés le départ, réunit des caractéristiques pourtant propres au fascisme dans ses discours et ses pratiques. Dans ses discours : le sionisme mêle idéologies nationaliste et socialiste pour légitimer sa nature coloniale ; il accrédite l’idée religieuse de « peuple élu » mobilisable pour s’emparer de la « Terre promise », et qui aurait des droits supérieurs.

Dans ses pratiques : la surmilitarisation et le fait que la plupart des dirigeants sont issus des corps d’élite de l’armée ; la conquête permanente, la torture, le terrorisme d’Etat et l’épuration ethnique constituent son mode d’existence. Existe-t-il donc des formes de fascisme plus tolérables que d’autres ?

De plus ils soutiennent des gouvernements israéliens composés à la fois de ministres de gauche et de ministres issus de la droite et de l’extrême droite qui prônent des méthodes directes et radicales : le transfert de populations et à terme la disparition des Palestiniens en tant que peuple.

Que faut-il penser des candidats qui se précipitent au dîner annuel du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (le CRIF) ? Il faut rappeler que cette organisation a pour leitmotiv la défense de l’Etat d’Israël et, qu’à ce titre, elle est la nouvelle Inquisition, créant un amalgame criminel entre antisémitisme et critique du sionisme, et définissant l’axe du bien et celui du mal.
Les citoyens doivent profiter de cette échéance électorale pour se demander quel rôle doit jouer la France au niveau international. Serait-il acceptable qu’un futur président ait d’ores et déjà démontré son soutien complice à un tel Etat ?

Quant à nous, membres du Comité Action Palestine, nous nous battons pour la justice , pour qu’enfin soit reconnu le droit au retour des réfugiés et que le peuple palestinien accède à son autodétermination sur l’ensemble de sa terre.