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A propos de « L’attentat », de Yasmina Khadra

images[7]Le CAP inaugure ses fiches de lecture avec L’attentat du romancier algérien Yasmina Khadra.


Voir quelqu’un qui ne voit pas, c’est la meilleure façon de voir ce qu’il ne voit pas . Il est possible, mais pas certain, que Yasmina Khadra connaisse cette phrase de Roland Barthes. C’est en tout cas celle qui vient à l’esprit à la lecture de son roman, L’attentat , consacré au problème palestinien. Curieux livre, en vérité, qui a le mérite de mettre en fiction un thème que beaucoup d’auteurs évitent comme la peste, mais qui étonne puis irrite très vite par ses choix, concernant notamment celui du point de vue adopté.

Amine Jaafour est un arabe israélien, chirurgien de son état, résidant parmi la bonne bourgeoisie locale dans un quartier huppé de Tel-Aviv. Ses collègues et amis israéliens, d’autres praticiens, le chef de la police (!), sont aux petits soins avec lui, et permettent de tempérer les quelques désagréments dus à son origine non juive. Sa vie bascule brutalement lorsqu’un attentat-suicide survient et qu’il découvre, sans vouloir y croire, que sa femme est l’auteur dudit attentat. Tout le roman consiste ensuite à suivre le parcours de cet humaniste, comme il se définit lui-même, pour tenter de retrouver les commanditaires de l’attentat, pour essayer de savoir qui a bien pu supplanter son influence dans l’esprit de sa femme. Apparemment, l’humanisme n’empêche pas les réflexes machistes. Avec beaucoup de difficultés – qui l’eût cru, on se méfie de lui – il parvient à contacter des militants du Jihad islamique, et ce faisant il (re)découvre ses origines, renouant avec des membres perdus de vue de sa famille.

Donner à penser que ce personnage arabe israélien serait représentatif des arabes israéliens, des Palestiniens vivant en Israël, est déjà en soi une escroquerie. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui jouissent d’une telle aisance financière et qui bénéficient d’autant de droits, pour ne pas dire de passe-droits. La maison du docteur n’est par exemple pas détruite après l’attentat, comme c’est le cas pour toutes ces familles dont un des membres est suspecté de terrorisme, selon la terminologie de l’occupant ; la demeure est tout au plus vandalisée par les voisins, trop heureux de trouver là une bonne occasion d’humilier quelqu’un qu’ils considèrent comme un étranger (sur sa propre terre, faut-il le rappeler).

Le docteur Amine Jaafour est en colère, très en colère. Pas parce que son peuple est humilié, que ses droits sont niés, qu’il subit une occupation depuis des décennies, que sa terre lui a été volée dans l’indifférence quasi générale. Tout cela, le docteur Amine Jaafour n’en a que faire, on se demande même s’il le sait. Non, il est en colère parce qu’il n’a rien vu venir, parce que quelqu’un a instillé la haine dans l’esprit de sa femme. Il se sent trahi, trompé, presque cocufié par ces islamistes dont, on s’en doute, il ne comprend absolument pas les motivations, et dont il ne partage évidemment pas les convictions. De fait, Amine Jaafour ne comprend rien. En cherchant à comprendre les raisons de cette haine, il n’éprouve lui-même que de la haine envers ses frères palestiniens. Et le roman dérive donc dans ce paradoxe : l’humaniste qui aime tout le monde, pour qui tous les hommes sont frères, qui n’éprouve donc aucun grief envers l’occupant israélien, se met à haïr ses véritables frères, ceux qui souffrent profondément et dont il n’a cure. En somme, il s’agit de la lamentable épopée d’un traître.

Peu importent alors les discussions avec des militants et combattants palestiniens qui sont là pour apporter quelques points de vue contradictoires, peu importent les ébauches de prise de conscience, peu importe la fin prophético-mystique. Réduire le combat du peuple palestinien à une intrigue psychologique tient de la supercherie. Et l’on se dit, en refermant le livre, que Yasmina Khadra n’écrit pas pour les Palestiniens. Il écrit pour ce public occidental bien-pensant qui est prêt à prendre fait et cause pour les malheureuses victimes israéliennes, et qui continuera à ne rien comprendre à ces prétendus fanatiques barbus qui n’hésitent pas à manipuler des innocents.

En voyant tout ce que Yasmina Khadra n’évoque pas, la souffrance des Palestiniens, en voyant tout ce qu’il ne voit pas, on se dit que Yasmina Khadra ne peut pas voir grand-chose. Tout ce que le docteur Jaafour ne comprend pas, c’est tout ce qui est étranger à Yasmina Khadra. De là à penser que c’est dû à son statut d’écrivain anti-islamiste, ancien officier, proche des généraux algériens …

Comité Action Palestine