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Ain El Helweh: « et cette terre se transmet comme la langue » (M. Darwish)

Calendrier Palestine Libre 2018 « Dans le camp des réfugiés »

Ain El Helweh est le plus grand camp de réfugiés palestiniens au Liban. Il abrite aujourd’hui plus de 50 000 personnes vivant dans des conditions socio-économiques extrêmement difficiles. Bastion de la résistance palestinienne, le camp fût presque entièrement détruit pendant l’invasion israélienne au Liban dans les années 80. Il est aujourd’hui bouclé par l’armée libanaise qui a érigé un mur tout autour. Soumis à d’extrêmes tensions, le camp peut s’embraser à tout moment.

        Pourtant, en dépit des difficultés, et comme tous les camps palestiniens, Ain El-Helweh incarne toujours un fragment de Palestine en exil. Il en porte en lui la mémoire et l’identité palestinienne passée, présente et à venir. De générations en générations, se transmet le récit du pays perdu et de l’exil.

Muhammad Qassim al-Shaib, âgé une dizaine d’années en 1948, réfugié à Ain El-Helweh, vient de al-Ras al-Ahmar près de Safad en Galilée. C’était un village palestinien typique avec ses vergers d’agrumes et d’oliviers, ses champs de blé, sa source, son école primaire construite sous le mandat britannique, ses vestiges datant de la période byzantine. Les habitants ont fui le village, la clef de leur maison dans la poche, fin octobre 1948, alors que les sionistes perpétraient des atrocités dans les villages alentours. Les clefs sont toujours là, pendues au mur des maisons du camp. Les villageois sont partis vers le Nord, à pied, en voiture, en camion, en train, en bateau. Ils ont erré longtemps. Puis ils se sont arrêtés près de Saida où ils ont retrouvé leurs parents et voisins d’ al-Ras al-Ahmar et des autres villages. Cela fait 70 ans, ils y sont toujours et attendent de rentrer chez eux en Palestine.

Les camps de réfugiés, souvent organisés par village d’origine, témoignent de la géographie palestinienne et reproduisent l’attachement à la terre, aux solidarités familiales et claniques, aux pouvoirs locaux. Mais loin d’être un lieu d’expression d’une mémoire figée, ils représentent l’espace de construction de la société palestinienne, un espace de liberté et d’affirmation de son identité, un espace de résistance et d’espoir du retour en Palestine. Alors, malgré les difficultés passées et présentes, les camps sont des lieux d’avenir.

Au détour d’une des ruelles étroites d’Ain El-Helwhe, on croisera certainement le personnage d’Handala. Son créateur, le dessinateur palestinien Naji al-Ali, réfugié originaire al-Shajara près de Tibériade, a grandi ici. Assassiné en août 1987 par le Mossad, il disait « Handala est le témoin de cette ère qui ne mourra jamais, il pénètre la vie avec une force qui ne le quitte jamais, une légende dont l’existence est un défi à l’éternité. Ce personnage que j’ai créé ne disparaîtra pas après moi. Je ne crois pas exagérer en disant que je serai immortalisé à travers lui. »

Comme Handala immortalise le Martyr palestinien, les camps de réfugiés sont le symbole d’une Palestine bien vivante !




Al Wihdat, sanctuaire du Droit au Retour

Calendrier Palestine Libre 2018 « Dans le camp des réfugiés »

Al Wihdat est un camp légendaire dans l’histoire de la lutte nationale palestinienne. Etabli en 1955 à trois kilomètres au Sud d’Amman, il abritait initialement 5000 réfugiés palestiniens issus des villages situés entre Jaffa et al-Quds. Il fût l’un des principaux centres actifs du mouvement de libération de la Palestine en Jordanie. Le camp, rebaptisé la « République » par les organisations palestiniennes, abritait de nombreux résistants et était le lieu d’une intense activité politique et militaire. Cette mobilisation fut fortement réprimée par l’Etat jordanien qui y perpétra de nombreux massacres. En 1970, sa prise par l’armée jordanienne marqua la fin des évènements de « septembre noir » et l’expulsion des organisations de la résistance hors des frontières du pays.

Aujourd’hui al Wihdat illustre à lui seul les contradictions portées par la question des réfugiés palestiniens, entre attente du retour et intégration dans leur lieu d’exil. Près de 70 ans après sa création, il compte près de 60000 habitants et est complètement inclus dans le tissu urbain d’Amman. Toujours soumis à une administration particulière, le camp garde toutes les caractéristiques d’un espace de vie temporaire. Comme tous les autres camps de réfugiés palestiniens, il reste le symbole vivant de l’identité palestinienne et un sanctuaire du Droit au Retour. Pourtant depuis les années 70, afin d’annihiler le potentiel révolutionnaire de ses habitants, le gouvernement jordanien est intervenu plus directement. Une partie du camp fut détruite pour aménager de grandes artères permettant la surveillance et le maintien de l’ordre. Par ailleurs en espérant réduire les aspirations nationalistes des Palestiniens par l’amélioration de leurs conditions de vie, les règles d’urbanisation furent assouplies pour favoriser le développement économique. Ainsi au fil des années le camp est devenu un espace urbain doté d’une intense activité commerciale, parfaitement intégré au reste de la capitale jordanienne.

Pourtant, contrairement aux attentes des autorités jordaniennes et bien que la citoyenneté jordanienne leur fût octroyée dès 1951, les réfugiés palestiniens en Jordanie ne sont pas prêts à abandonner leurs revendications nationales. Bien au contraire, cette amélioration de leur situation économique renforce leur pouvoir de résistance et leur volonté de mettre en application de leur droit au retour.




Deisheh, de l’exil au contre pouvoir

Calendrier Palestine Libre 2018 « Dans le camp des réfugiés »

L’histoire du camp de Deisheh, à proximité de Bethleem, ressemble à celle de tous les autres camps, notamment ceux de Cisjordanie. Fuyant dès fin 1947, les attaques sionistes et la destruction de leurs villages, les réfugiés commencent une longue errance dont l’objectif est d’abord de survivre en s’éloignant le moins possible de leurs villages. Mais l’entité sioniste refuse dès le départ toute éventualité d’un retour, pourtant inscrit dans la Résolution 194. Au regard des négociateurs internationaux, la question des réfugiés palestiniens devient très rapidement celle d’un flot de main d’œuvre bon marché à fixer là où des perspectives économiques pourraient exister. Sous l’égide de l’UNRWA , il s’agit donc d’installer « provisoirement » les réfugiés les plus démunis dans des zones d’accueil. Alors qu’une justification humanitaire est avancée, la création des camps répond d’abord à une volonté d’empêcher le retour sur leurs terres et de contrôler politiquement et militairement cette masse de déshérités.

Deisheh est établi en 1949 pour regrouper 3000 réfugiés issus de 46 villages situés entre al-Quds et al-Khalil. Comme tous les autres camps, c’est d’abord un regroupement de toiles de tentes, faisant place, au milieu des années 50, à des unités d’habitation en dur, quelques m2 par famille, sans eau courante ni électricité, signe que le provisoire est fait pour durer. D’un lieu de survie et d’attente, Deisheh devient, dès le début des années 70, un lieu de résistance particulièrement actif pendant la première Intifada. La répression y est terrible, le couvre-feu presque incessant, les arrestations quotidiennes. L’occupant transforme même le camp tout entier en véritable prison, en l’encerclant d’un grillage de 6m de haut avec un seul portillon métallique comme point d’accès.

Si la clôture a disparu après Oslo, Deisheh avec ses 15 000 habitants actuels, reste, tout comme les autres camps de Cisjordanie, un espace d’exception. Considérés sous la responsabilité des instances internationales, les réfugiés dans les camps restent des Palestiniens à part, même sur la terre de Palestine. Tous les camps sont gérés par des comités populaires locaux nommés, sur la base d’une représentativité politique ou familiale, par l’autorité palestinienne qui perpétue ainsi un système discriminant, déjà instauré par l’UNRWA et l’occupant. Soumis à un réseau complexe d’autorités informelles, propre à chaque camp, ce sont les lieux d’exception et de chaos, que traduit si bien l’architecture anarchique de l’habitat. Ils sont l’expression encore visible du chaos engendré par la création de l’entité sioniste et du statut exceptionnel des réfugiés palestiniens. A ce titre, ils garantissent la pérennité du droit au retour.

Mais l’exception perpétue un esprit d’inventivité, de rébellion et de résistance sous toutes ses formes. Le dynamisme associatif palestinien renverse parfois des montagnes. Si le processus d’Oslo a marginalisé encore un peu plus la question, les réfugiés n’abandonneront jamais leur droit au retour. Les camps demeurent un espace de contre-pouvoir contre l’autorité palestinienne et les forces d’occupation. C’est en leur sein que se construit la société palestinienne de demain.