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Grandeur de Yasser Arafat, par Gilles Deleuze

 En cette année 2017, qui marque le centième anniversaire de la déclaration de Balfour, le 70ème anniversaire du plan de partition de la Palestine et le 35ème anniversaire des massacres de Sabra et Chatila, le Comité Action Palestine publie ce texte de Gilles Deleuze qui rend hommage à Yasser Arafat. Dans cet écrit qui date de 1983, le philosophe français définit  sans hésitation le sionisme comme un mouvement politique dont le but est de faire disparaitre le peuple palestinien pour lui voler sa terre. En clair, c’est un génocide qui ne dit pas son nom, où « l’extermination physique reste subordonnée à l’évacuation géographique ».  En se référant au colonialisme européen aux Etats-Unis qui a décimé les Indiens, Gilles Deleuze inscrit le colonialisme juif en Palestine dans la stratégie du capitalisme « à repousser ses limites » pour toujours aller plus loin dans l’exploitation du système. Si ce texte n’échappe pas à certains préjugés de l’époque, il a le grand mérite de poser les constantes de l’analyse. Il montre que le discours sioniste est resté inchangé, faisant des Palestiniens des terroristes et de leurs soutiens des antisémites. Le sionisme a toujours été radicalement violent, sa particularité est que cette violence est aujourd’hui l’expression de son affaiblissement durable. La philosophie de Gilles Deleuze est une philosophie de l’émancipation, de ce fait elle devait penser la centralité de la cause du peuple palestinien. Comité Action Palestine


Gilles Deleuze,  septembre 1983

La cause palestinienne est d’abord l’ensemble des injustices que ce peuple a subies et ne cesse de subir. Ces injustices dont les actes de violence, mais aussi les illogismes, les faux raisonnements, les fausses garanties qui prétendent les compenser ou les justifier. Arafat n’avait plus qu’un mot pour parler des promesses non tenues, des engagements violés, au moment des massacres de Sabra et Chatila : shame, shame (honte, honte).

On dit que ce n’est pas un génocide. Et pourtant c’est une histoire qui comporte beaucoup d’Oradour, depuis le début. Le terrorisme sioniste ne s’exerçait pas seulement contre les Anglais, mais sur des villages arabes qui devaient disparaître ; l’Irgoun fut très actif à cet égard (Deir Yassin). D’un bout à l’autre, il s’agira de faire comme si le peuple palestinien, non seulement ne devait plus être, mais n’avait jamais été.

Les conquérants étaient ceux qui avaient subi eux-mêmes le plus grand génocide de l’histoire. De ce génocide, les sionistes avaient fait un mal absolu. Mais transformer le plus grand génocide de l’histoire en un mal absolu, c’est une vision religieuse et mystique, ce n’est pas une vision historique. Elle n’arrête pas le mal ; au contraire, elle le propage, elle le fait retomber sur d’autres innocents, elle exige une réparation qui fait subir à ces autres une partie de ce que les Juifs ont subi (l’expulsion, la mise en ghetto, la disparition comme peuple). Avec des moyens plus « froids » que le génocide, on veut aboutir au même résultat.

Les Etats-Unis et l’Europe devaient réparation aux juifs. Et cette réparation, ils la firent payer par une peule dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’y était pour rien, singulièrement innocent de tout holocauste et n’en ayant même pas entendu parler. C’est là que le grotesque commence, aussi bien que la violence. Le sionisme, puis l’Etat d’Israël exigeront que les Palestiniens les reconnaissent en droit. Mais lui, l’Etat d’Israël, il ne cessera de nier le fait même d’un peuple palestinien. On ne parlerait jamais de Palestiniens, mais d’Arabes de Palestine, comme s’ils s’étaient trouvés là par hasard ou par erreur. Et plus tard, on fera comme si les Palestiniens expulsés venaient du dehors, on ne parlera pas de la première guerre de résistance qu’ils ont menée tous seuls. On en fera les descendants d’Hitler, puisqu’ils ne reconnaissent pas le droit d’Israël. Mais Israël se réserve le droit de nier leur existence de fait. C’est là que commence une fiction qui devait s’étendre de plus en plus, et peser sur tous ceux qui défendaient la cause palestinienne. Cette fiction, ce pari d’Israël, c’était de faire passer pour antisémites tous ceux qui contesteraient les conditions de fait et les actions de l’Etat sioniste. Cette opération trouve sa source dans la froide politique de l’Etat d’Israël à l’égard des Palestiniens.

Israël n’a jamais caché son but, dès le début : faire le vide dans le territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien était vide, destiné depuis toujours aux sionistes. Il s’agissait bien de colonisation, mais pas au sens européen du XIXème siècle : on n’exploiterait pas les habitants du pays, on les ferait partir. Ceux qui resteraient, on n’en ferait pas une main d’œuvre dépendant du territoire, mais plutôt une main d’œuvre volante et détachée, comme si c’étaient des immigrés mis en ghetto. Dès le début, c’est l’achat des terres sous la condition qu’elles soient vides d’occupants, ou vidables. C’est un génocide, mais où l’extermination physique reste subordonnée à l’évacuation géographique : n’étant que des Arabes en général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres Arabes. L’extermination physique, qu’elle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce n’est pas un génocide, dit-on, puisqu’elle n’est pas le « but final » : en effet ; c’est un moyen parmi d’autres.

La complicité des Etats-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la puissance d’un lobby sioniste. Elias Sanbar a bien montré comment les Etats-Unis retrouvaient dans Israël une part de leur histoire : l’extermination des Indiens, qui, là aussi ne fut qu’en partie directement, physique. Il s’agissait de faire le vide, et comme s’il n’y avait jamais eu d’Indiens, sauf dans des ghettos qui en feraient autant d’immigrés du dedans. A beaucoup d’égards, les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens d’Israël. L’analyse marxiste indique deux mouvements contraires du capitalisme : s’imposer constamment des limites, à l’intérieur desquelles il aménage et exploite son propre système ; repousser toujours plus loin ces limites, les dépasser pour recommencer en plus grand et en plus intense sa propre fondation. Repousser les limites, c’était l’acte du capitalisme américain, du rêve américain, repris par Israël et le rêve du Grand Israël sur les territoires arabe, sur le dos des Arabes.

Comment le peuple palestinien a su résister et résiste. Comment, de peuple lignager il est devenu nation armée. Comment il s’est donné un organisme qui ne le représente pas simplement, mais l’incarne, hors territoire et sans Etat : il y fallait un grand personnage historique qu’on dirait, d’un point de vue occidental, presque sorti de Shakespeare, et ce fut Arafat. Ce n’était pas la première fois dans l’histoire (les Français peuvent penser à la France libre, à cette différence près qu’elle avait au début moins de base populaire). Et ce qui n’est pas non plus pour la première fois dans l’histoire, c’est toutes les occasions où une solution, un élément de solution étaient possibles, que les Israéliens ont délibérément, sciemment détruits. Ils s’en tenaient à leur position religieuse de nier, non pas seulement le droit, mais le fait palestinien. Ils se lavaient de leur propre terrorisme en traitant les Palestiniens de terroristes venus du dehors. Et précisément parce que les Palestiniens n’étaient pas cela, aussi différents des autres Arabes que les Européens peuvent l’être en eux, ils ne pouvaient attendre des Etats arabes eux-mêmes qu’une aide ambiguë, qui se retournait parfois en hostilité et extermination, quand le modèle palestinien devenait pour eux dangereux. Les Palestiniens ont parcourir tous ces cycles infernaux de l’histoire : la faillite des solutions chaque fois qu’elles étaient possibles, les pires retournements d’alliance dont ils faisaient les frais, les promesses les plus solennelles non tenues. Et de tout cela, leur résistance a dû se nourrir.

Il se peut que l’un des buts des massacres de Sabra et Chatila aient été de déconsidérer Arafat. Il n’avait consenti au départ des combattants, dont la force restait intacte, qu’à condition que la sécurité de leurs familles fût absolument garantie, par les Etats-Unis et même par Israël. Après les massacres, il n’y avait pas d’autre mot que « shame ». Si la crise qui s’ensuit pour l’OLP avait pour résultat à plus ou moins long terme, soit une intégration dans un Etat arabe, soit une dissolution dans l’intégrisme musulman, alors on pourrait dire que le peuple palestinien a effectivement disparu. Mais ce serait dans de telles conditions que le monde, les Etats-Unis et même Israël n’auraient pas fini de regretter les occasions perdues, y compris celles qui restent encore possibles aujourd’hui. A la formule orgueilleuse d’Israël : « Nous ne sommes pas un peuple comme les autres », n’a cessé de répondre le cri des Palestiniens, celui qu’invoquait le premier numéro de la Revue d’études palestiniennes : nous sommes un peuple comme les autres, nous ne voulons être que cela….

En menant la guerre terroriste du Liban, Israël a cru supprimer l’OLP et retirer son support au peuple palestinien, déjà privé de sa terre. Et peut-être y a-t-il réussi, puisque dans Tripoli encerclée il n’y a plus que la présence physique d’Arafat parmi les siens, tous dans une espèce de grandeur solitaire. Mais le peuple palestinien ne perdra pas son identité sans susciter à sa place un double terrorisme, d’Etat et de religion, qui profitera de sa disparition et rendre impossible tout règlement pacifique avec Israël. De la guerre du Liban, Israël lui-même ne sortira pas seulement moralement désuni, économiquement désorganisé, il se trouvera devant l’image inversée de sa propre intolérance. Une solution politique, un règlement pacifique n’est possible qu’avec une OLP indépendante, qui n’aura pas disparu dans un Etat déjà existant, et ne se sera pas perdue dans les divers mouvements islamiques. Une disparition de l’OLP ne serait que la victoire des forces aveugles de la terre, indifférentes à la survie du peuple palestinien.

Revue d’études palestiniennes, 1984, n°10 : 3-5.




Al Aqsa, ultime faux pas du gouvernement israélien ?

« En écho à la radicalisation du gouvernement israélien, le peuple palestinien intensifie sa résistance au point d’agir en dehors du cadre des partis politiques traditionnels palestiniens : l’entrée en résistance des Palestiniens de 1948, avec l’Intifadha des couteaux en 2015, en est l’illustration parfaite. Jérusalem apparaît désormais comme le champ de bataille ultime, où s’affrontent la politique de colonisation et le projet de résistance palestinien, qui, en dépit des apparences, ne cesse de se revigorer. »

Par Lina Kennouche  (El Watan, 23 juillet 2017)

L’opération spectaculaire à proximité de la mosquée d’Al Aqsa à Jérusalem-Est et les affrontements entre Palestiniens et forces d’occupation qui s’en sont suivis ont ravivé les craintes chez les Israéliens d’une intifadha généralisée. Après l’attaque du 14 juillet qui a fait deux morts et un blessé parmi les policiers israéliens et coûté la vie à ses auteurs, les forces d’occupation ont mis à profit la dégradation du contexte sécuritaire pour renforcer leur emprise sur l’Esplanade des Mosquées.

Installation de portes de contrôle et fouilles systématiques sont les mesures de sécurité prises par les autorités israéliennes, mais les Palestiniens, en signe de protestation et de résistance à l’intrusion coloniale dans leur vie culturelle et religieuse, ont refusé d’accéder à l’Esplanade. Après le bouclage permanent et complet de la ville, la mise en œuvre d’une stratégie visant à réduire la population palestinienne à Jérusalem et augmenter la présence juive, cette nouvelle confrontation pourrait être le prétexte à une accélération de la politique de judaïsation de la ville.

 En effet, les restrictions d’accès à la mosquée sont considérées par les Palestiniens comme une violation du statu quo trouvé depuis 1967 (et garanti par le droit international) entre les forces d’occupation israéliennes et l’autorité de la mosquée pour permettre aux fidèles de visiter le site religieux. Profitant du contexte, les colons ont redoublé d’activisme en appelant à une manifestation le 20 juillet pour s’emparer de la mosquée et concrétiser leur projet de construction du 3e temple qui impliquerait la destruction du Dôme du Rocher et de la mosquée Al Aqsa. Vendredi la tension a atteint un pic avec la décision de maintenir les portes équipées de détection de métaux aux abords de l’Esplanade et d’interdire l’accès à la vieille ville aux hommes de moins de 50 ans.

La politique de judaïsation accélérée s’inscrit en réalité dans une stratégie plus globale, que le sociologue israélien Baruch Kimmerling qualifie de «politicide» dans son ouvrage du même titre, à savoir «une stratégie politico-militaire, diplomatique et psychologique ayant pour but la dissolution du peuple palestinien comme entité économique, sociale et politique légitime et indépendante».

Baruch Kimmerling, analysant le défi démographique, montre que l’accroissement de la population palestinienne des Territoires occupés en 1948 et 1967 remet en cause la nature exclusivement juive de l’Etat israélien. Face à ce défi démographique, l’émergence d’une coalition stable de la droite ultra nationaliste israélienne favorise la politique de destruction méthodique des conditions d’existence du peuple palestinien. Or, cette politique pourrait avoir un coût élevé pour Israël dans un contexte régional et interne profondément modifié.

La résistance, fait politique irréductible du système colonial, se renforce en raison des contradictions du système politique israélien qui le conduit à durcir chaque jour sa stratégie d’expansion et de judaïsation de la Palestine. Bien que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, tente de parier aujourd’hui sur le soutien du président américain, Donald Trump, pour renverser le statu quo, le temps ne joue pas en faveur d’Israël. En écho à la radicalisation du gouvernement israélien, le peuple palestinien intensifie sa résistance au point d’agir en dehors du cadre des partis politiques traditionnels palestiniens : l’entrée en résistance des Palestiniens de 1948, avec l’intifadha des couteaux en 2015, en est l’illustration parfaite. Jérusalem apparaît désormais comme le champ de bataille ultime, où s’affrontent la politique de colonisation et le projet de résistance palestinien, qui, en dépit des apparences, ne cesse de se revigorer. La mobilisation populaire met également à nu le rôle historique de l’Autorité palestinienne qui se réduit à un appareil de répression au service de l’occupation pour démanteler les organisations de résistance palestiniennes.

En dépit de la gravité de la situation autour de l’Esplanade, le discours prononcé par le président de l’Autorité, Mahmoud Abbas, lors de sa rencontre à Pékin avec le chef de l’Etat, Xi Jinping, mardi, n’y a pas fait la moindre allusion. Dans un contexte où ses soutiens traditionnels sont divisés entre, d’un côté Israël et les Etats-Unis et, de l’autre, l’Egypte et les Emirats arabes unis pariant sur M. Dahlan pour remplacer M. Abbas, le scénario d’un embrasement généralisé pourrait accélérer l’implosion de l’Autorité.

L’évolution globale au Moyen-Orient, marqué par un changement dans les rapports de force, une autonomisation relative des acteurs régionaux et des contradictions dans les rangs des puissances alliées, rendent la situation imprévisible. Un bouclage durable et étendu de l’Esplanade des Mosquées pourrait constituer le détonateur d’une révolte généralisée. Des organisations de résistance comme le Djihad islamique et le Hamas ont laissé entendre que toutes les options restaient ouvertes. Comme l’a noté le géostratège israélien Arnon Shoffer : «Les facteurs principaux qui menacent la survie d’une organisation ne s’incarnent pas dans un événement dramatique, spectaculaire, mais des processus lents, graduels, dont on n’a, en général, pas conscience.»

Aveugle à ses propres intérêts, Israël a atteint un seuil critique qui renforce la dynamique, imperceptible, à l’œuvre dans l’effondrement du système colonial. En 2007, dans un entretien accordé à Haaretz, l’ancien président de la Knesset, Avraham Burg, concluait déjà : «L’œuvre sioniste est bâtie sur de l’illusion. Pensez-vous sérieusement que Tel-Aviv va rester éternellement cette entité post-sioniste éthérée ? Israël n’est qu’un corps sans âme.»

 source : http://www.elwatan.com/international/

photo : Comité Action Palestine




Netanyahu à Paris : le consensus anti-palestinien

Comité Action Palestine (juillet 2017)

Le dirigeant de l’Etat colonial israélien, Benjamin Netanyahu, a été officiellement invité par le gouvernement français ce dimanche 17 juillet 2017 pour commémorer la rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942. Mais ce « devoir de mémoire », selon l’expression officielle et consacrée, est à bien des égards une entourloupe indigne et méprisable de la part d’un gouvernement qui se veut « en marche » mais qui déjà montre tous les signes d’une continuité de la politique pro-israélienne de la France. Quand on invite un criminel de guerre notoire (plus de 2000 Palestiniens tués pendant la guerre de Gaza de 2014), le planificateur de la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, celui qui affame l’ensemble de la Bande de Gaza par l’étau de l’embargo et qui in fine mène une répression coloniale contre l’ensemble du peuple palestinien, il apparaît que la commémoration de la déportation est un pur jeu diplomatique. Jeu diplomatique qui vise en réalité des effets tout autres. Il s’agit encore une fois de justifier l’injustifiable et d’associer la présence coloniale sioniste en Palestine aux crimes qui ont été commis pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est l’argument idéologique massue que la tradition idéologique sioniste martèle depuis des décennies ! Du côté de l’Etat français, après l’invitation de Donald Trump pour les cérémonies du 14 juillet, il est clair que l’on veut réaffirmer le positionnement pro-occidental et pro-israélien de l’Etat français. Comme Hollande qui avait promis le changement au début de son mandat, il semble bien que Macron et la République en Marche ne proposent rien d’autre que l’illusion du changement. A analyser la politique internationale, les fondamentaux de la politique impérialiste de la France n’ont pas bougé d’un iota. Enfin, l’invitation du leader sioniste sera sans doute l’occasion pour les dirigeants des deux Etats de discuter des enjeux du Moyen-Orient, de la Syrie et de l’Iran en particulier, et d’aligner leurs stratégies.

C’est pourquoi, nous, Comité Action Palestine, dénonçons la venue du leader sioniste Netanyahu comme une imposture politique, idéologique et diplomatique, comme une promotion de la colonisation israélienne, comme un acte contre le peuple palestinien.

Source photo : https://www.almasdarnews.com




La déclaration de Balfour ou le sionisme au cœur du projet impérialiste occidental

Comité Action Palestine

Il y a 100 ans, en 1917, la Grande Bretagne, par la voix de son Ministre des Affaires étrangères Arthur Balfour, se déclarait en faveur de l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. A la fin de la première guerre mondiale, le dépeçage de l’empire ottoman fut une étape majeure de l’influence des puissances impérialistes au Proche et Moyen Orient. En se fondant sur des faits historiques, cette analyse montre comment la déclaration Balfour, qui répondait aux exigences du mouvement sioniste et servait les intérêts impérialistes en garantissant une présence occidentale permanente dans cette région, est sans doute l’un des événements qui aura marqué le plus profondément le XXème siècle.

En effet, dès la fin du XIXème, le sionisme, mouvement colonialiste juif, apparut en Europe. Son but était de créer un Etat pour les Juifs quelque part dans le monde. Le choix stratégique de la Palestine présentée par les sionistes comme « terre sans peuple pour un peuple sans terre » révéla un vaste projet colonial qui prolongeait l’impérialisme européen. Dès lors, les sionistes courtisèrent les dirigeants des grandes puissances, profitant de leurs rivalités pour faire faire aboutir leur projet. Si la Grande Bretagne porte la plus grande responsabilité quant à la dépossession des Palestiniens, la France y prit une part non négligeable. Par la contribution au dépeçage de l’empire ottoman, ses prétentions impérialistes sur la Grande Syrie et la mise en échec des aspirations arabes à l’indépendance et à l’unité, l’Etat français joua également un rôle décisif sur l’avenir de cette région tant convoitée.

Trente ans avant la déclaration de Balfour, le colonialisme juif s’installe en Palestine[1].

La période de colonisation qui précède la déclaration de Balfour fut déterminante pour le destin de la Palestine car elle dessina le maillage du territoire par les colonies juives. La déclaration de Balfour vint entériner ce fait accompli et proposa un cadre politique à cette colonisation, ce qui facilita le processus.

Dès la fin du XIXème siècle, les sionistes commencèrent à s’installer en Palestine dans des régions en plein développement économique, et où une grande partie des terres avaient été privatisées au profit de grands financiers et commerçants, Libanais pour la plupart. La première colonie juive fût installée en 1878. Suite à la création de l’organisation sioniste par Théodore Herzl, un nombre croissant de colons juifs s’installèrent en Palestine au début du XXème siècle, et le Fonds national juif intensifia l’achat des terres aux grands propriétaires. Par exemple, une seule famille beyroutine, les Sursuq, et leurs associés, furent responsables à eux seuls de la vente de plus de 22% des terres palestiniennes avant 1948. Cette nouvelle vague de colonisation juive était beaucoup plus organisée, politique et militante. Les colons étaient décidés à créer une société exclusivement juive en Palestine. L’éviction des ouvriers agricoles arabes au profit d’ouvriers juifs se renforça, ce qui fut à l’origine des premiers heurts entre les fellahins et les colons armés.

Avant la première guerre mondiale, les juifs représentaient moins de 10% de la population palestinienne. Pourtant le tracé de l’implantation des colonies juives constituait déjà l’armature stratégique et démographique du projet colonial sioniste qui allait se mettre en place sous la  protection des Britanniques.

Pour garantir leur présence dans la région, les Britanniques cautionnent le projet sioniste[2].

La première guerre mondiale donna l’occasion aux puissances occidentales, notamment la France et la Grande Bretagne, de renforcer leur présence militaire dans la région afin de combattre l’empire ottoman allié de l’Allemagne et d’y asseoir leur domination impérialiste. Les enjeux étaient énormes et la rivalité entre la Grande Bretagne et la France façonna leurs accords et le devenir de la Palestine. Les Britanniques, par l’intermédiaire de Sir Henry Mc Mahon, s’engagèrent auprès du Shérif Hussein de la Mecque à soutenir l’indépendance arabe et la création d’un Etat indépendant comprenant l’Irak et la Syrie en échange de son implication pour conduire la révolte arabe contre les Turcs. Pour les Arabes, la Palestine était partie intégrante de ce futur Etat. En parallèle Britanniques et Français menaient des négociations secrètes au sujet du dépeçage de l’empire ottoman. En garantissant les prétentions de la France sur une partie de la Syrie, l’accord secret dit de Sykes-Picot, conclu en mai 1916, proposait la division de la Palestine en quatre zones sous influence française, britannique et arabe, la dernière (Jérusalem et Naplouse) étant placée sous administration internationale.

Mais dans le cadre de leurs visées impérialistes, la création d’un foyer juif pouvait garantir l’emprise britannique sur la Palestine. Même si l’accord de Sykes-Picot ne faisait pas directement référence à ce projet, les négociateurs britanniques avaient de nombreuses relations avec les principaux dirigeants sionistes. La Palestine présentait un caractère stratégique extrême pour la Grande Bretagne car elle permettait d’assurer le passage par le canal de Suez, ce qui de fait plaçait cette région au « centre de l’Empire britannique ». Il était donc nécessaire de maintenir coute que coute la mainmise britannique sur la Palestine. La création d’un Etat juif, que les Anglais envisageaient comme « faible », apparaissait alors comme la meilleure option pour servir de tampon et rompre la continuité arabe. De plus les Britanniques et les Français comptaient sur la communauté juive américaine pour convaincre le gouvernement américain de s’engager dans la guerre et le soutien au projet sioniste en représentait la contrepartie [3]. Restée discrète sur ce sujet pour ne pas démobiliser ses « alliés » arabes, la Grande Bretagne, par la voix de son ministre des Affaires Etrangères Arthur Balfour, se déclara officiellement en faveur de l’établissement d’un foyer juif en Palestine le 2 novembre 1917, quelques semaines avant la fin de la guerre :

« ….Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif, et il emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui porte atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives de Palestine ainsi qu’aux droits et aux statuts politiques dont les Juifs jouissent dans les autres pays»

Conformément à cette déclaration, les dirigeants politiques en Grande Bretagne mirent tout en place pour favoriser le colonialisme juif et donner satisfaction aux sionistes. Il était clair que le principe de libre choix des peuples énoncé à l’issue de la première guerre mondiale par les impérialistes ne concernait pas les Palestiniens, la déclaration de Balfour les reconnaissant uniquement comme une communauté non juive privée de droits politiques, et non comme le peuple arabe autochtone. Les enjeux internationaux étaient supérieurs aux intérêts de la population arabe locale. De plus, le sionisme représentait un rempart contre les Arabes et les idées anticolonialistes que portaient certains penseurs musulmans depuis la seconde moitié du XIXème siècle. Les Britanniques étaient ainsi résolus à imposer par la force le programme sioniste, tel que le souhaitaient ses instigateurs qui de leur côté mettaient déjà en place milices para-militaires et services de renseignement. Par ailleurs, l’idée du transfert de la population autochtone commençait à être énoncée ouvertement par les sionistes sans rencontrer d’opposition de la part des Britanniques. Sans surprise, le découpage de la région négocié par les puissances occidentales depuis quelques années fut entériné en 1920 à la Conférence de San Remo. La Grande Bretagne obtint le mandat britannique sur la Palestine y compris la Galilée, la Déclaration de Balfour étant reprise in extenso dans les articles du mandat. Plus qu’un mandat britannique, c’est un blanc-seing que les impérialistes donnèrent aux sionistes pour occuper la Palestine.

Le sionisme profite de la rivalité franco-britannique pour l’hégémonie impérialiste au Proche Orient[3]

Malgré les négociations entre Britanniques et Français, chacun poursuivait sa propre stratégie pour étendre son influence au Proche et Moyen Orient. Ainsi le sionisme profita toujours des rivalités entre ces deux puissances pour l’hégémonie impérialiste sur la région. Dans le contexte de la désagrégation de l’empire ottoman, la France avait développé de nombreux intérêts économiques et géopolitiques avec la Syrie, Palestine comprise. Elle y intervenait régulièrement militairement pour  soi-disant « protéger » les populations chrétiennes et avant le début de la première guerre mondiale, la France avait bon espoir de voir satisfaire ses ambitions impérialistes.

Même si les grandes fortunes juives investissaient dans la colonisation agricole en Palestine, le mouvement sioniste était initialement peu implanté dans l’Hexagone. Mais pendant la première guerre mondiale, la vision française du sionisme changea progressivement. Fortement endettée auprès des banques américaines, la France souhaitait que le gouvernement des Etats Unis abandonnât son principe de neutralité pour participer à l’effort de guerre. Les sionistes étaient considérés comme des intermédiaires déterminants pour convaincre les USA. C’est dans ce contexte que la France exprima son soutien officiel au projet sioniste dès avril 1917. Pourtant ce soutien resta formel alors que celui des Britanniques se concrétisa par la déclaration de Balfour. L’entrée en Palestine des troupes britanniques fin 1917 fut une nouvelle marque de la rivalité entre les grandes puissances et de la volonté britannique de contrer les prétentions françaises dans la région. Par ailleurs le déclenchement de la révolte arabe et le projet de création d’un grand Etat arabe soutenu par les Britanniques contrarièrent un peu plus les prétentions coloniales françaises. Le gouvernement français craignait entre autres que ce mouvement d’indépendance n’affecte son empire au Maghreb. Globalement le rapport de force était très favorable aux Britanniques. Les négociations pour conclure un accord final sur le dépeçage de la région consistèrent alors pour la France à faire le moins de concessions possibles. Dans ce contexte, les Français hésitaient sur le soutien qu’ils devaient apporter aux sionistes. La faible adhésion initiale de la communauté juive française, la pression des mouvements catholiques et les risques de voir les juifs maghrébins se tourner vers le sionisme alors que les Français comptaient sur eux pour contrôler leurs colonies au Maghreb justifient leurs hésitations. Mais les pressions américaines firent pencher la balance. En février 1918, un soutien au foyer juif en Palestine fût énoncé dans un courrier officiel. Dès lors, la France n’eut de cesse de favoriser le projet sioniste, certainement pour tenter de limiter l’influence britannique. En échange du retrait du soutien britannique à la souveraineté arabe en Syrie, elle abandonna ses velléités sur la Palestine, donna son accord au mandat britannique et précisa qu’elle n’était pas hostile à la formation d’un Etat juif. A San Remo, la France reçut le mandat sur la Syrie. Si elle renonçait à toute influence directe, elle joua un rôle considérable sur l’avenir de la Palestine par la manière dont elle imposa son diktat colonial sur la Syrie selon le principe de diviser pour mieux régner, et par celle dont elle géra sa rivalité avec la Grande Bretagne. Ainsi elle favorisa dans les années 30 et 40, la rébellion des colons sionistes contre les forces mandataires britanniques. Depuis lors, sa collaboration avec le sionisme alla crescendo, notamment de le cadre de sa lutte contre le nationalisme arabe en Syrie, en Egypte et au Maghreb en général et en Algérie en particulier.

Conclusion

Ainsi en une trentaine d’années entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle,  étaient posées les bases géopolitiques qui allaient définir l’avenir de la Palestine, mais également de toute la région. Cette période fût aussi déterminante pour la prise de conscience des Palestiniens et des peuples arabes en général sur les dangers du sionisme, ainsi que la mise en place de la résistance palestinienne contre la dépossession. Initiée par les fellahins chassés de leur terre, la résistance devint rapidement le fait de toutes les couches de la société palestinienne. Elle prit rapidement un caractère nationaliste arabe contre les ottomans, puis contre les Britanniques. D’abord politique, elle se prépara très tôt à la lutte armée.

Aujourd’hui, cent ans après, la Grande Bretagne et la France ont perdu leur empire colonial, et ne jouent plus de rôle majeur au Proche Orient. La crise de Suez en 1956 a sonné le glas de la présence britannique dans cette région et malgré ses velléités, la France a perdu toute influence notable. Si les sionistes ont réussi à établir un Etat juif, ils n’ont pas réussi à faire disparaître la Palestine. Malgré le soutien indéfectible des puissances impérialistes, notamment les USA et la France, ils n’ont pas réussi non plus à finaliser leur projet colonial de « Grand Israël » en raison d’une résistance continue depuis plus d’un siècle, des Palestiniens, des Arabes et de l’ensemble des peuples de la région. Depuis 1967, ils n’ont pas étendu leur emprise. En 1978, ils ont dû se retirer du Sinai, en 2000 du Sud Liban et en 2005 de Gaza. En parallèle, le mouvement de résistance palestinien, né aux premières heures de la dépossession, n’a cessé de se développer. Malgré les difficultés et ses erreurs stratégiques, ce dernier est aujourd’hui potentiellement plus puissant que jamais. Le renforcement actuel de l’axe de la résistance au sionisme composé de l’Iran, de la Syrie et du Hezbollah libanais joue également en sa faveur. Analysés à l’échelle d’un siècle, les rapports de force ont donc été largement modifiés, ce qui laisse envisager des perspectives encourageantes pour la libération de la Palestine.


[1] L’identité nationale palestinienne. La construction d’une conscience nationale moderne. R. Khalidi (2003). Ed. La Fabrique.

[2] Histoire de la Palestine. 1896-1940. A.W. Kayyali (1985). Ed. L’Harmattan

[3] Itinéraires de Paris à Jérusalem. La France et le conflit israelo-arabe (Tome 1 : 1917-1958). S. Kassir, F. Mardam-Bey (1992). Ed. Revues d’études palestiniennes

Source de la photo : http://tempsreel.nouvelobs.com/histoire/20161222.OBS3011/declaration-balfour-une-promesse-passee-presque-inapercue.html