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« Le sionisme en marche »

Comité Action Palestine – mai 2017

Alors qu’Emmanuel Macron vient juste d’être élu président de la République, l’investiture des candidats aux législatives pour le mouvement « En Marche » trace clairement la ligne qui sera suivie par le nouveau chef de l’Etat quant aux relations avec Israël. Quatre candidats ont été écartés à la demande du CRIF et de la LICRA pour leurs positions pro-palestiniennes. Par ailleurs, il avait été envisagé que le directeur de « l’association pour le bien-être du soldat israélien » soit investi dans la 5ème circonscription des Hauts de Seine.

Issu de la Banque Rothschild qui a financé le colonialisme en Palestine dès la fin du XIXème siècle, Emmanuel Macron est le Président voulu par les grands groupes financiers et industriels qui orientent la politique étrangère actuelle, fondée sur un soutien inconditionnel à Israël. Depuis un siècle, cette politique est constante.  Son prédécesseur, François Hollande, a déclaré son amour pour Israël et n’a pas hésité à interdire des manifestations de soutien aux Palestiniens lors de la dernière guerre de Gaza. Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé lors de la campagne présidentielle, qu’ « il ne servait à rien de reconnaître un Etat palestinien ».

Sous prétexte de faire barrage au « fascisme », des pro-palestiniens de façade ont appelé à voter pour le candidat d’« En Marche ». Ils ont ainsi donné de la légitimité à un allié du sionisme, mouvement politique dont les méthodes et la violence n’ont rien à envier au fascisme historique. Effrayés par le Front National, ils ont oublié nos frères de Palestine spoliés, massacrés, emprisonnés par les sionistes. Par un calcul de court terme, ils ont privilégié leurs propres intérêts en sacrifiant ceux des Palestiniens.

Dans un contexte où la criminalisation de l’antisionisme sera plus que jamais la règle, le Comité Action Palestine estime que le soutien au peuple est un principe non-négociable, qu’il doit être total et inconditionnel. Il rappelle que son action repose sur un anticolonialisme sans concession et qu’il soutient de manière inconditionnelle la lutte des prisonniers palestiniens et la résistance populaire pour la libération de la terre arabe de Palestine.




« La Palestine nous appartient et nous ne nous en séparerons jamais »

Commémoration de la Nakba – Comité Action Palestine

Le 14 mai 1948, jour de la « création de l’Etat israélien », est commémorée par les Palestiniens comme la Nakba, la Catastrophe. Cinq cents villages détruits, 800 000 Palestiniens expulsés de leurs terres, de très nombreux massacres, les sionistes franchissaient alors une étape majeure dans leur projet colonial entrepris dès la fin du XIXème siècle. Cautionné par les puissances occidentales, le mythe sioniste selon laquelle la Palestine était «une terre sans peuple pour un peuple sans terre» a constitué l’un des plus grands mensonges de l’histoire et a servi de justification à la politique sioniste de colonisation et d’épuration ethnique.

La Nakba : une épuration ethnique programmée

En recommandant la partition de la Palestine, la Résolution 181, adoptée par l’ONU le 29 novembre 1947, est l’acte fondateur de la Nakba. Elle attribue aux Juifs 56 % du territoire palestinien, alors que démographiquement, ils représentent moins du tiers de la population et possèdent jusqu’alors à peine 7 % des terres. Légitimement refusée par les Palestiniens, elle permet aux sionistes de rendre effective leur stratégie de spoliation et de domination du pays. Supérieurs militairement, les sionistes craignent malgré tout l’union entre la population palestinienne et les armées arabes. Selon des plans préétablis, ils conduisent dès fin 1947 une politique de terreur afin d’accélérer le nettoyage ethnique et le vol des terres, pratiquant ainsi la politique du fait accompli. Parmi les villages détruits, Deir Yassine reste le plus symbolique, avec ses 250 habitants massacrés le 9 avril 1948 et constitue le prélude de la déportation de l’ensemble des villageois. La Nakba, c’est ainsi 60% des Palestiniens expulsés de leurs terres sans que leur droit au retour ne soit jamais reconnu. Niés de tous, les réfugiés palestiniens, qui sont aujourd’hui 7,2 millions, attendent toujours de rentrer chez eux et représentent la mémoire vivante de la Nakba.

La négation du peuple palestinien est au cœur du projet sioniste

« Nous devons exproprier les propriétés privées. Nous devons inciter la population démunie à traverser la frontière en la privant d’emploi dans notre pays et en lui procurant un emploi dans les pays d’accueil. Le processus d’expropriation et le retrait des pauvres doit être menés discrètement et avec circonscription » Théodore Herzl, 1895

Dès sa conception, le sionisme n’a jamais eu d’autres buts que le nettoyage ethnique de la Palestine afin de créer un Etat « exclusivement juif ». Terre conquise et non terre promise, telle est la réalité de cette colonisation initiée à la fin du XIXème siècle et qui se poursuit quotidiennement depuis plus d’un siècle. Selon la vision colonialiste et raciste de l’Occident, cette terre serait dépourvue d’un peuple dont l’existence et les aspirations devraient être prises en compte. Mais cette terre n’a jamais été vide et les Palestiniens représentent un obstacle à la concrétisation du projet sioniste. Enoncée par plusieurs fondateurs du mouvement sioniste, l’idée de transfert est un objet de discussion entre l’Organisation Sioniste Mondiale et les autorités mandataires britanniques. Finalement l’option du transfert apparait comme la solution, elle est approuvée et planifiée par les dirigeants sionistes à la fin des années 30. Moins de dix ans ont suffi à mettre en œuvre cette dépossession programmée au vu et au su de tous. Toute autre justification de la Nakba ne peut apparaitre que comme une négation de l’histoire.

La déclaration de Balfour offre un cadre « officiel » à la colonisation sioniste de la Palestine

La fondation du mouvement sioniste, à la fin du XXIème siècle, révèle un vaste projet colonial qui prolonge l’impérialisme occidental. Dans ce contexte, les sionistes courtisent les dirigeants des grandes puissances, profitant de leurs rivalités dans le contexte du dépeçage de l’empire ottoman. Ainsi en 1917, la Grande Bretagne, par la voix de son Ministre des Affaires étrangères Arthur Balfour, se déclare en faveur de l’établissement d’un foyer national juif en Palestine et promet de mettre tout en œuvre pour faciliter la réalisation de cet objectif. La déclaration Balfour qui offre un cadre officiel à la colonisation de la Palestine apparait comme une synthèse des intérêts sionistes et des intérêts impérialistes. Outil de l’impérialisme pour garantir une présence occidentale permanente dans cette région, le mouvement sioniste saura se servir de ce statut et exploitera à ses fins les rivalités entre ces puissances occidentales, notamment entre l’Angleterre et la France. Ainsi, peu avant la Nakba, le soutien croissant de la France s’inscrira dans le combat mené par les sionistes pour se débarrasser de la puissance mandataire anglaise.

Depuis plus d’un siècle, la Résistance populaire fait face au sionisme

Dès le début de la colonisation juive en Palestine, le peuple palestinien va combattre l’ennemi sioniste en mobilisant tous les moyens à sa disposition. Ses objectifs sont exprimés dans ce communiqué du Comité islamo-chrétien de Yaffa en 1918 : « Nous ne pourrons jamais supporter d’être soumis, au contraire, nous maintiendrons nos droits nationaux jusqu’à la mort […] La Palestine nous appartient et nous ne nous en séparerons jamais ». Au cours de cette résistance séculaire, le peuple a toujours été la force motrice et a toujours choisi les organisations qui soutenaient ce projet de libération de la terre arabe de Palestine. Ainsi au fil des années, toutes les structures qui ont voulu négocier avec l’ennemi et réduire les ambitions nationales ont été marginalisées. Aujourd’hui cette résistance est plus forte que jamais à la fois sur le plan militaire et sur celui de la mobilisation des masses. En attestent la défense victorieuse pendant les guerres de Gaza (2009-2012-2014), les actions héroïques des jeunes palestiniens durant l’Intifada des couteaux (depuis 2015) ou le mouvement de grève de la faim que les prisonniers palestiniens (depuis le 17 avril 2017). Le peuple palestinien a aussi appris par sa résistance qu’il n’y a rien à attendre de la soi-disant « communauté internationale », notamment des puissances occidentales dont les objectifs impérialistes restent les mêmes. A l’instar des peuples qui se sont libérés du joug du colonialisme, il ne peut compter que sur sa propre détermination !

Le Comité Action Palestine le soutient sur ce chemin et réaffirme les quatre principes suivants :

  • La condamnation du sionisme comme mouvement politique colonialiste et raciste.
  • Le soutien inconditionnel à la résistance du peuple palestinien et à son combat pour son auto-détermination et son indépendance nationale.
  • La reconnaissance du droit inaliénable au retour de tous les réfugiés chez eux.
  • La libération de tous les résistants emprisonnés et de Georges Ibrahim Abdallah, résistant de la cause palestinienne détenu depuis 33 ans dans les geôles de l’Etat français, alors qu’il est libérable depuis plus de 10 ans.

14 mai 2017




« Histoire coloniale et racisme d’Etat » Conférence-débat avec Françoise Vergès

Le Comité Action Palestine  vous invite à participer à

une Conférence-débat sur le thème « Histoire coloniale et racisme d’Etat »

le vendredi 2 juin 2017

avec Françoise Vergès

politique, historienne, spécialiste de l’esclavage colonial

20h Athénée municipal à Bordeaux

place St Christoly. Trams A et B (arrêt Hôtel de ville)

Pour les habitants des quartiers populaires, et plus généralement les minorités issues des anciennes colonies, racisme, discriminations et violences policières sont des réalités quotidiennes.  Exposée à la précarité et à l’exploitation économique, cette population subit de plein fouet la violence de l’Etat qui  est un mode de gestion, dans la forme et le fond, d’ordre néocolonial. Dans le contexte de crise politique et économique, cette violence semble être la seule réponse, celle du fort au faible. Il s’agit d’empêcher toute contestation sociale et politique unifiée et contrecarrer toute forme d’expression de solidarité avec la résistance au sionisme, en particulier, et à l’impérialisme occidental, en général.

Relevant de mécanismes structurels, le racisme des sociétés occidentales puise ses racines dans leur histoire coloniale. Au-delà de cette affirmation, il s’agit d’analyser ce lien et de comprendre les sources et l’objectif de cette violence d’Etat sous toutes ses formes.

Quel est le poids réel de l’histoire française dans cette logique néocoloniale de gestion des minorités raciales ? Comment expliquer la reproduction de ce modèle politique néocolonial ? Quelle forme de résistance face à la néo-barbarie ?

A partir de ces questions le Comité Action Palestine vous propose de débattre au cours d’une rencontre avec Françoise Vergès, politologue, historienne et ex-présidente du comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Elle a récemment publié « Le ventre des femmes ; Capitalisme. Racialisation, féminisme » et puisera dans cet ouvrage des exemples pour illustrer ses propos.

Evènement facebook

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« Le féminisme ne nous a pas été appris par l’Occident » – Interview de Fatma Oussedik

La femme algérienne est « la dominée du dominé » dans une société dominée par les pays occidentaux. A partir de cet angle d’attaque, le seul qui puisse appréhender toutes les formes de domination et d’aliénation, la sociologue Fatma Oussedik analyse minutieusement les logiques sociales à l’œuvre qui cantonnent la femme algérienne à une place mineure. Loin de céder aux sirènes du féminisme occidental, qui d’une certaine manière endosse la mission de l’impérialisme, à savoir « émanciper » la femme musulmane, Fatma Oussedik sort des sentiers battus pour mettre en lumière d’autres modes d’émancipation de la femme algérienne. Celle-ci peut trouver,  et l’histoire le montre, une voie politique nouvelle, située aux antipodes du patriarcat et du paternalisme féministe d’Occident. En prenant les armes en 1954, les femmes algériennes ont décidé seules, librement, de participer au projet de libération nationale. Comité Action Palestine

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A la veille des élections législatives algériennes, la sociologue et directrice de recherche associée au Cread, Fatma Oussedik analyse l’évolution du rôle des femmes dans la sphère publique et politique en Algérie. L’auteure du livre Itifaqate revient dans cet entretien pour al Akbar sur les mutations profondes et nouvelles stratégies d’émancipation des femmes algériennes.

Propos recueillis par Lina Kennouche et Tayeb El Mestari pour Al-Akhbar.

Quelle est la représentation des femmes algériennes dans ces élections législatives et comment a-t-elle évolué au cours des dernières élections ?

Cette représentation obéit à un quota. Le président Bouteflika a fait voter une loi qui fixe à 33 % la représentation des femmes dans chaque liste électorale. C’est donc l’effet autoritaire qui a permis une telle présence. On peut dire que c’est l’un des taux les plus importants du monde arabe et même en comparaison à des pays occidentaux. Faut-il en conclure que les femmes sont représentées politiquement? Je n’irai pas jusque là. Depuis 2012, on a un minimum de recul pour voir comment les partis obéissent à cette règle.

Aujourd’hui lorsque l’on observe la société algérienne, on constate que les femmes tout en affichant par leur code vestimentaire leur attachement aux préceptes religieux quittent l’espace clos pour investir dans la sphère publique des lieux autrefois réservés aux hommes. N’y a-t-il pas eu un processus de redéfinition du rôle de la femme algérienne dans l’espace public?

J’ai dirigé une enquête au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) publiée sous le titre « mutations familiales en milieu urbain ». Elle a concerné 1200 familles dans 12 villes d’Algérie. L’une des conclusions principales de cette enquête est que les femmes sont l’acteur principal de la mutation. En Algérie, la notion de femme au foyer, c’est à dire une femme qui se définirait ou s’appréhenderait au service du seul foyer, n’a plus de sens. L’une des causes principales de cette transformation réside dans la hausse de la scolarité des filles qui a été spectaculaire dans notre pays. Si le phénomène de féminisation des savoirs est mondial, en Algérie le processus a été très rapide. La formation des femmes dans toutes les disciplines a entrainé une redéfinition de leur place dans l’espace public avec l’accès à l’emploi. Aujourd’hui la femme en Algérie est l’acteur économique principal dans le foyer. Elle fait le marché, prend les décisions d’achat, gère le budget familial, s’occupe des démarches administratives. Celles qui ne travaillent pas se définissent comme « chômeuse » et non pas comme femmes au foyer.

Mais depuis 2001, l’emploi féminin a baissé de façon importante. De plus en plus de femmes sont cantonnées dans le secteur informel. Or, c’est un problème grave dans la mesure où sans autonomie économique, elles ont peu de chances d’accéder à d’autres formes d’autonomie. Par ailleurs on constate, qu’elles sont rentrées de plain-pied dans le marché mais le feu s’est externalisé. Aujourd’hui les plats cuisinés, les produits alimentaires transformés sont achetés, et certains objets qui servaient autrefois à la préparation des mets traditionnels ont disparu. De ce point de vue, nous avons assisté à des mutations fondamentales.

Vous attribuez ces mutations à la scolarisation des femmes, et l’entrée de l’Algérie dans le marché mondial, mais est ce que le mouvement islamiste n’a pas également permis aux femmes des stratégies féministes en s’appuyant sur le dogme religieux pour investir l’espace public?

Avec et sans hijab les femmes sont sorties. Pendant le ramadan, il y a des légions de femmes seules qui se rendent à la mosquée, échangent dans la rue, sortent dans les cafés, et certains imams s’en offusquent. Ces femmes se sont emparées de l’islam en revendiquant leur connaissance des textes religieux. C’est toujours le savoir qui fait la différence. A l’université, de nombreuses filles issues des milieux défavorisées, voilées, sont présentes et rien ne leur serait fermé du fait de l’islam. De plus en plus de filles étudient dans les instituts de théologie et écrivent sur l’islam. C’est un processus irréversible. C’est essentialiser les rapports sociaux que de les réduire à l’identité religieuse. Les femmes se sont emparés de la norme religieuse pour revendiquer l’égalité. Mais il y’ a encore du chemin à parcourir. En Iran, les femmes ont un accès beaucoup plus important à l’emploi, elles ont une vraie parole. Nous ne devons pas oublier qu’en Algérie, c’est une société postcoloniale et l’enjeu de la femme est un enjeu très lointain. Il faut remonter à l’époque coloniale avec ce moment emblématique où les colons arrachent le voile aux femmes algériennes. Aujourd’hui les pays du Nord sont encore très attentifs à la société algérienne pour mesurer son développement démocratique. Le nombre de femmes voilées est pour eux un indicateur d’adhésion ou pas à leur civilisation et à leur culture. Les politiques algériens sont très conscients de cet enjeu, et veulent se présenter à l’international comme des démocrates et des modérés en adoptant, par exemple, des textes comme celui portant sur le quota. Ils montrent ainsi que les femmes sont représentées à l’assemblée, que la parité est respectée, etc. Cependant, les concepts ne peuvent pas être simplement importés. Il existe des conditions objectives de leur production. Le gouvernement a fait le choix de la parité, mais c’est absolument formel. De la même façon, la question des quotas pose non pas seulement la question des femmes mais celle aussi de la qualité du processus démocratique en Algérie. Imiter la procédure des quotas en Suède ne signifie pas que l’Algérie arrivera au même résultat. Dans une situation non démocratique où il s’agit de définir une clientèle du système, les femmes sont comme les hommes : elles font partie de cette clientèle. Elles ne représentent pas plus les femmes qu’hier mais le système qui les a cooptées.

Pour revenir à la question de l’égalité, pensez-vous que le féminisme ai aujourd’hui un sens en dehors du combat pour la justice sociale ? Comment articulez-vous la question de la lutte pour l’émancipation des femmes à celle des rapports de classes ?

Le féminisme est différent selon les lieux où il se réalise mais il est toujours une aspiration à davantage de droits et devrait toujours être une aspiration à l’égalité, une volonté de se désaliéner. Ceci étant, pour moi, la position des femmes, c’est d’abord la position du dominé. Dans un pays lui-même dominé par l’impérialisme, la femme incarne le dominé du dominé. Le féminisme est pour moi un formidable instrument de déconstruction de la domination, qu’il s’agisse des anciennes puissances coloniales comme celle des systèmes en place. Il est très difficile de remettre en cause un processus de domination depuis la position la plus fragile qui est celle de la femme. Lorsque j’analyse l’emploi féminin en Algérie, je ne dis pas « les hommes sont méchants et ne nous donnent pas d’emploi ». Je dis « l’insertion du système économique algérien dans le marché mondial dépendant de la rente ne porte pas sur la production. Et la rente intègre principalement les hommes ». Lorsque l’on sait que l’accès à tous ces circuits dépend davantage du capital social que des agences d’intermédiations pour l’emploi, on comprend que le capital social de la famille se met davantage au service des hommes que des femmes. Dans notre enquête, nous avons pu constater que ce sont les femmes qui ont le plus recours aux agences d’intermédiation, les hommes misent toujours sur le capital relationnel. Vivant de la rente pétrolière, l’Etat s’est désengagé des secteurs de production et de services, dans lesquels les femmes étaient très présentes. Ce désengagement a entraîné un chômage important. En prenant l’exemple emblématique du complexe pétrolier d’Hassi-Messaoud, où dans les années 90 des femmes ont été battues, violées, enterrées vivantes, l’observation montre que l’événement s’est déroulé dans une zone où le chômage battait son plein. Dans cette ville où l’économie repose sur des champs pétroliers, il y avait d’un coté des résidences pour les femmes cadres qui ont fait leur études à l’étranger et vivent sur des sites gardées, et, de l’autre, les prolétaires qui s’étaient aménagées un quartier. Suite au prêche d’un imam qui accusait les femmes d’avoir volé le travail des hommes, des jeunes se sont rués vers le quartier des femmes et les ont lynchées. Comment analyser ce fait? En essayant d’y mettre de la pensée et de la raison et non en accusant de manière simpliste les islamistes et l’islam. Ces femmes, pour leur majorité, venaient de Sidi bel Abbès, où elles travaillaient dans un complexe électronique, fleuron de l’industrie, qui salariaient 5 000 femmes. Avec le démantèlement de l’industrie, auquel a procédé en particulier M. Ouyahia, 4 000 femmes et leurs familles se sont retrouvées au chômage. Or le salaire avait non seulement changé les modes de consommation mais également les mentalités. Ces femmes ont compris qu’elles pouvaient également travailler ailleurs et ont fait montre de mobilité. Quitter sa famille, l’enclos du patriarcat, pour aller travailler, en tant que sujets individuels, à Hassi-Messaoud, était quelque chose d’iconoclaste en Algérie. C’est cela qui est entré en contradiction avec le système qui, lui-même, a besoin, pour contrôler toute cette force de travail féminine qu’il a qualifié et qu’il n’emploie pas, d’une famille patriarcale forte. Or le départ de ces filles pour Hassi-Messaoud est une contradiction sociologique majeure et elles ont été réprimées à ce titre.

Pourtant la société algérienne et les femmes ont déjà fait l’expérience de cette mobilité avec les maquisards au moment de la guerre de libération?

Oui mais la guerre de libération est un événement exceptionnel. Je viens d’une famille qui a été très intégrée au mouvement national, et j’ai vécu ma petite enfance avec les Moudjahidates que je connais individuellement. Or, ce que l’on peut observer c’est qu’à l’indépendance, il leur a été demandé de retourner dans leur famille. On leur dit « c’est fini, vous avez fait votre devoir vis à vis de la société donc vous rentrez à la maison, vous êtes des femmes de famille ». J’ai interviewé avant sa mort, Mamiya Chentouf , la secrétaire générale adjointe du Parti du Peuple Algérien de Messali el Hadj, militante majeure pendant la guerre de libération qui avait créé la première association de femmes en 1947. Elle m’a confié que l’échec de sa vie était l’adoption du code de la famille. Mamiya Chentouf avait été,après l’indépendance, à la demande de l’ex président Houari Boumédienne, la première présidente de l’Union nationale des femmes algériennes (UNFA) et avait provoqué une immense manifestation de femmes dans Alger contre les premiers projets du code de la famille qui ont été finalement annulés parce que les autorités à l’époque n’avaient pas osé affronter les anciennes militantes. Moi je suis toujours très émue quand je pense à aux maquisardes, imaginez ces jeunes filles de 18 ans qui vivaient dans des familles traditionnelles qui l’étaient d’autant plus que face au colonialisme, il fallait se préserver de la volonté de déstructuration de la société algériennes. Ces filles étaient parties pour rejoindre le maquis avec des hommes, elles se sont battues pendant la guerre, certaines les armes à la main comme Toumiya Laribi que l’on a surnommé Baya el kahla, et à l’indépendance ces femmes héroïques doivent retourner dans leur famille. On ignore le changement pour la personne, on oublie que le combat pour l’égalité avec les Français a comme prolongement naturel le combat pour l’égalité avec les hommes dans la société algérienne. J’ai vécu un événement formidable au moment où nous étions en Tunisie avec le Gouvernement provisoire de la République Algérienne. Le GPRA a créé une maison des filles pour accueillir les maquisardes. Il a placé à sa tête mes parents, Pierre et Claudine Chauley pour prendre en charge ces filles. En revanche les jeunes hommes qui sortaient du maquis obtenait des studios. Quand Baya a été invitée à s’installer dans cette maison, elle s’est offusquée. Pourquoi elle, qui s’était battue sur un pied d’égalité avec ses camarades masculins, devait maintenant retourner dans une ambiance familiale, alors qu’eux occupaient un studio. Pour dénoncer cette situation, elle a publié dans le journal tunisien une annonce en ces termes « ancienne maquisards cherche emploi femme de ménage couchante », ce qui a été perçu comme une humiliation. Il faut donc comprendre que les luttes des femmes ont été constantes en Algérie, le féminisme ne nous a pas été appris par l’Occident. Moi je suis une féministe algérienne et j’ai appris le féminisme de Baya, de ma mère et de toutes celles qui se sont battues, j’essaie à mon tour de le transmettre à ma fille, mes étudiantes, aux jeunes féministes. L’accès à l’égalité est naturelle et nous devons nous battre à l’intérieur de notre société en fonction de nos valeurs pour imposer cette idée.

Version arabe publiée sur Al-Akhbar le 4  mai 2017

http://www.al-akhbar.com/node/276677




« L’Afrique est prise en tenaille entre Riyad, Tel Aviv et Rabat » Interview de A. Hadj-Nacer

Le développement économique est une promesse de l’indépendance nationale en Algérie, une promesse de liberté et de justice sociale. Un développement qui ne vient pas. Quelles en sont les raisons ? Dans cette interview, l’intellectuel Abderrahmane Hadj-Nacer propose une explication à partir d’exemples qui donnent à voir comment la rente pétrolière est gérée, non pas dans la perspective de l’intérêt général, mais bien plutôt dans l’intérêt exclusif d’une clique qui contrôle le pouvoir. Cette réflexion ne se limite pas à l’Algérie, elle inscrit ce pays dans une dynamique économique et politique plus large, qui comprend les enjeux régionaux africains et mondiaux. De la dette, comme nouveau mode de colonialisme à la stratégie israélienne en Afrique, A. Hadj-Nacer rend intelligible la complexité dans la tradition des intellectuels qui oeuvrent pour l’émancipation des peuples. Comité Action Palestine

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Propos recueillis par Lina Kennouche et Tayeb El Mestari à Alger pour Al Akhbar (avril 2017)

Abderrahmane Hadj-Nacer, ex-gouverneur de la Banque centrale algérienne (1989-1992), figure incontournable des réformateurs autour du Premier ministre Mouloud Hamrouche (1989-1991), auteur du livre la Martingale Algérienne, revient dans cet entretien pour al-Akbar sur les fondements de la nouvelle stratégie économique de l’Algérie dans le contexte de la campagne législative.

La nouvelle stratégie économique de l’Algérie résumée par le « programme d’appui à la compétitivité industrielle et énergétique » depuis 2016 et basée sur le recours à l’emprunt est-elle pertinente ?

Réfléchissons par analogie. En 2011, que s’est-il produit en Syrie? Tout d’abord nous avions un chef d’Etat qui n’a pas compris la nécessité de partager son pouvoir avec son peuple et de nouvelles élites.  Un examen plus précis de la situation montre que la lutte à l’intérieur du pouvoir syrien était une lutte entre deux services secrets, celui de l’armée de l’air et les moukhabarates. L’analyse du conflit rend compte d’une confrontation non pas autour de la stratégie de défense du pays mais sur la part de la rente aussi minime soit-elle qui doit revenir à chacun en accord avec ses ‘associés’ étrangers. Le conflit au sein du système porte donc sur l’accaparement de la rente et non sur la cohérence des politiques économiques.  Cette non-logique économique est un révélateur de la logique politique, à savoir celle d’une soumission au reste du monde puisque la seule chose que l’on négocie c’est la part de la rente à partager. L’enseignement à tirer de l’explosion du système syrien en 2011 et du système algérien avant lui en 1988, c’est que peu à peu nous avons eu des régimes dictatoriaux qui, en lieu et place d’une gestion économique rationnelle, ont évolué vers un accaparement de plus en plus mafieux de la rente. Or la mafia se caractérise par une volonté de multiplier ses avoirs non pas au profit de l’intérêt général, ni même de celui du chef de clan mais simplement dans la logique du plus fort. Quand vous allez visiter aujourd’hui la Sicile, vous vous rendez compte que c’est le pays où vous pouvez enterrer n’importe quel déchet produit dans ce monde, et où sévit une mafia qui vit dans des fosses à purin. Elle a transformé son pays en une espèce de décharge mondiale et dans laquelle l’humanité est exploitée bien en deçà de l’esclavagisme. Cette logique mafieuse conduit à la sous-humanité. En 2011, la Syrie nous a donc montré le chemin qui conduit à la sous-humanité et celui de la brutalité comme seule règle pour résoudre des problèmes politiques. Je ne suis pas en train de prendre position sur ce conflit, je tente d’apporter une explication. La gestion en Algérie obéit à la même logique, celle d’une gestion malheureusement de plus en plus mafieuse. Il  faut donc interpréter ce débat sur l’endettement extérieur à l’aune de cette posture politique : Est-ce un débat conceptuel sur les modalités de développement ? Non puisque nous disposons d’une réserve de 100 milliards de dollars, pourquoi avoir introduit l’idée de l’endettement extérieur ? Quel est le pays développé qui dispose aujourd’hui de 100 milliards de dollars ?  L’endettement est-il un outil pour défendre l’intérêt général ou permet-il d’accroitre les capacités de détournement de fonds au profit d’individus ou d’alliance d’individus ? Rappelons que la dette cimente l’international au national, en d’autres termes elle élargit le partage de la rente à de nouveaux acteurs. La dette renforce le contrôle de la clé de partage. Aujourd’hui nous avons une nouvelle mode les PPP (Partenariat Public Privé),  derrière les sigles conformes à cette pensée magico-superstitieuse, le sens profond est que l’Algérie même riche ne peut seule contrôler la clé de partage. Cela revient à dire que nous recherchons le moyen d’acheter l’assentiment de l’international, et nous posons la question des modalités de satisfaction des acteurs économiques internationaux.

Mais acheter l’assentiment de l’international en contractant des dettes renforce la dynamique de dépendance. Les conditions imposées par les prêteurs ne risquent-elles pas de remettre en cause les modalités de gestion interne et l’équilibre maintenu par les politiques de redistribution?

La dette a toujours permis de coloniser les pays. Le seul cas de figure qui n’a pas été colonisé parce qu’il ne remboursait pas sa dette, mais bien parce qu’il était riche c’est l’Algérie. L’histoire de la dette est donc celle de la colonisation. La dette est d’abord le moyen, pour celui qui a prêté, de s’accaparer les biens de celui qui a emprunté. Les pauvres s’endettent et sont ainsi dépossédés du minimum qui leur reste. Sur ce plan, la loi du marché est simple à comprendre. Pour soumettre les classes laborieuses, on crée un système qui incite à la consommation de produits vendus par les pays développés qui prêtent de l’argent aux pays pauvres afin que ces derniers maintiennent leur niveau de consommation. C’est une relation de subordination. Or, dans un pays comme l’Algérie qui a des excédents et un système résilient, les efforts attendus sont différents. Les pays du Nord tiennent un discours séduisant, en s’engageant à ne pas interférer dans la gestion intérieure, en laissant croire au renforcement des partenariats. On invente donc les techniques d’une autre forme de soumission qui maintienne le status quo. Par ailleurs la wahhabisation avancée des comportements couplée aux raisonnements de court terme face à une véritable planification de l’autre bord n’augure rien de bon.

Donc l’idée que l’Algérie puisse suivre les recommandations du Fonds Monétaire International (FMI) en matière de libéralisation est-elle à exclure?

Ce n’est pas l’interlocuteur, en l’occurrence ici le FMI, qui pose problème. Cette instance de gouvernance économique mondiale vaut ce que vaut le pays qui fait appel à elle. Si l’Etat qui sollicite un prêt mène une stratégie nationale de développement avec des équipes techniques solides, le FMI se voit obligé de négocier sérieusement. Si ce dernier se trouve face à des incompétents qui recherchent uniquement l’assentiment de l’étranger, de nouvelles formes de colonisation s’imposent d’elles-mêmes. Nous n’avons pas à faire à une machine qui suit un fonctionnement uniforme. Prenons l’exemple de la Corée du Sud qui est quasiment une colonie américaine mais qui n’en est pas moins très développée. Lorsque le général Park Chung-Hee (ancien communiste) a pris le pouvoir, il a fait le choix de développer le pays en négociant directement avec les Américains. Mais dans les années 1990, les Américains estiment que les Coréens sont sortis du rang et pour cette raison ils les punissent sévèrement, en détruisant  Daewoo, l’un des plus importants Chaebols (conglomérats) sud-coréen. Pour Washington, un pays développé, qui obéit et paye de temps à autre, ne pose pas de  problème. Il en va de même pour le FMI. Le drame n’est pas que le FMI est l’outil de l’impérialisme mais, plutôt, que souvent il n’y a personne en face. J’ai été au FMI, je suis donc bien placé pour savoir que lorsqu’un pays défend sérieusement son intérêt, il en tire profit.

Quelle est aujourd’hui la place de l’Algérie en tant qu’acteur économique régional ? Dispose-t-elle des moyens d’entrer en concurrence avec le Maroc pour la conquête des marchés africains?

Le Maroc est doté du meilleur système financier du monde arabe. C’est comme s’il possédait d’énormes paquebots mais qui ne servent à rien. Car en dehors de ces méga-paquebots très bien pensés, le Maroc n’a que des tissus et des épices pour remplir ses containers. Privé de route, il est contraint de faire du cabotage pour acheminer ses produits en Afrique. Il faut souligner, que son concurrent économique, l’Algérie, après 60 ans de bureaucratie, maintient un système qui n’encourage pas les investissements. Pourtant, le secteur privé en Algérie n’est pas le Makhzen marocain. Son potentiel est autrement plus important. A côté de l’argent sale, le secteur privé est dynamique avec des entrepreneurs qui optent pour la légalité même si leur capital est d’origine floue. Prenez un homme d’affaire comme Issad Rebrab, qui en dépit du cadre légal contraignant, est devenu l’un des plus important acteurs mondiaux dans la production et l’exportation de sucre. Il incarne l’alliance de l’ascenseur social algérien et des compétences formées des années 1960 à 1980. Ceci explique que dès lors qu’une ouverture vers l’Afrique est amorcée, Condor s’y implante aussitôt et Rebrab exporte son sucre. Aujourd’hui nous aurions donc besoin des paquebots marocains, je pense principalement au système bancaire et d’assurance, pour financer le potentiel d’exportation de l’Algérie. Historiquement, la stratégie du Maroc en Afrique consistait à récupérer l’ancien empire Almoravide qui regroupe la Mauritanie, une partie du Mali, le Sénégal, la Guinée jusqu’en en Cote d’Ivoire, mais cela ne correspondait pas à une politique africaine. Or, brusquement le Maroc a changé de politique. Il a développé une stratégie d’influence dans des régions pour lesquelles il n’a aucune aptitude, notamment l’Ethiopie et le Rwanda. Si l’on analyse différemment, on s’aperçoit que la stratégie actuelle du Maroc en Afrique répond plutôt à la volonté saoudo-israélienne. L’Afrique est maintenant prise en tenaille, grâce à l’ingénierie israélienne, entre Riyad, Tel Aviv et Rabat. Dans cette configuration, l’absence de l’Algérie sur le continent est dramatique. Même les pays pro-marocains réclament une présence forte de l’Algérie afin d’être soutenus dans leurs échanges avec le Maroc. Cette stratégie saoudo-israélienne a non seulement comme horizon le rôle que pourrait jouer l’Afrique dans le futur, mais répond également à des préoccupations immédiates. Les Libanais, particulièrement les Libanais de confession chiite, ont incroyablement investi le continent. Il faut donc réinterpréter tout cela à l’aune des évolutions régionales et globales. Nous sommes dans un conflit qui n’est pas seulement économique. Il prend aussi les contours d’une guerre d’occupation du terrain. Historiquement la vocation de l’Algérie est d’être plus proche de l’Iran que de l’Arabie Saoudite. Cependant elle ne peut pas jouer son rôle de non-aligné, de contrepoids à l’alliance israélo-saoudienne, en raison de l’évolution du régime algérien qui a perdu son ingénierie tout en conservant sa résilience.

Version arabe parue dans Al-Ahkbar le 1er mai 2017

http://www.al-akhbar.com/node/276546

photo extraite du site: fric-afrique