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La Résistance populaire palestinienne : « la terre nous appartient »

Comité Action Palestine, septembre 2016

L’histoire de l’entité coloniale nommée Israël n’a été qu’une longue et sombre histoire de guerres, de massacres et de spoliation. Du 15 au 18 septembre 1982, les habitants palestiniens et libanais des camps de réfugiés de Sabra et Chatila dans la partie occidentale de Beyrouth sont encerclés et méthodiquement massacrés par l’armée israélienne sous commandement d’Ariel Sharon et les milices chrétiennes libanaises. On parle alors de 3000 victimes mais les chiffres, faute d’enquête indépendante, apparaissent très en deçà de la réalité. Comme à leur habitude, les sionistes couvrent l’histoire de leur voile de mensonges. L’intervention dans les camps de Sabra et Chatila aurait eu pour objectif de démanteler les structures opérationnelles de l’OLP. Mais dès le 1er septembre 1982, les 11 000 combattants de l’OLP avaient quitté Beyrouth. L’objectif inavoué, avéré, du bain de sang prémédité et perpétré par les sionistes et les phalangistes était de terroriser les réfugiés palestiniens pour les éloigner davantage de la terre de Palestine et faire du droit au retour un droit totalement illusoire. Il fallait avant tout de briser toute capacité et velléité de résistance des réfugiés palestiniens contre l’occupant sioniste.

Sabra et Chatila n’est malheureusement qu’un épisode dans le plan sioniste d’annexion et de judaïsation de toute la Palestine. L’ère des massacres commence dès la création de l’Etat d’Israël. Pour ne citer que les plus importants, il y eut celui de Deir Yassine (1948), de Qibia (1954), de Jenine (2002) ou de Gaza (2009 et 2014). L’Etat d’Israël a été édifié sur la Nakba, cette « grande catastrophe » pour les Palestiniens : 500 villages furent rasés de la carte, les terres expropriées et 800000 Palestiniens forcés à l’exil. Des années d’errance, des décennies dans des camps, niés de tous et privés de tous les droits, ils sont et restent le symbole de la politique d’épuration ethnique conduite par le colonialisme juif en Palestine. Les réfugiés palestiniens sont actuellement plus de 7 millions et constituent plus d’un tiers de l’ensemble des réfugiés dans le Monde. Depuis plus de 60 ans, ils attendent toujours l’application de leur droit au retour dans leurs foyers, reconnu par l’ONU en 1948 ! Qui mieux qu’eux symbolise l’exil et l’errance des peuples ? Pourtant qui parle d’eux ? Qui exige que justice soit rendue ?

Le peuple palestinien ne peut compter que sur lui-même.  Et il le montre de manière exemplaire avec ce que l’on a appelé l’ «intifada des couteaux ». Cette nouvelle forme de la lutte du peuple palestinien a rompu avec les schémas classiques de la guerre israélo-palestinienne et, par là même, désarçonné au plus haut point l’ennemi sioniste, surpris par le changement de la donne de la résistance populaire

L’intifada des couteaux, cette manifestation du génie populaire, modifie profondément l’équation de la lutte en Palestine dans la mesure où le pouvoir sioniste, dont l’objectif premier était d’éradiquer la résistance à Gaza, se trouve acculé à faire face à un mouvement populaire dans des régions qu’il croyait pacifiées, en Palestine de 48 (ce que les sionistes considèrent comme leur territoire ou Israël) et en Cisjordanie par la mise en place d’un pouvoir supplétif, une Autorité palestinienne sans autorité avec l’entité sioniste, mais effectuant, pour le compte de cette dernière, le sale boulot de répression contre la résistance palestinienne.

La première transformation que l’intifada des couteaux a produite, c’est de pousser le pouvoir sioniste à combattre un ennemi intérieur, de desserrer l’étau sur Gaza, de la placer de facto comme objectif de second ordre. Le deuxième changement dans l’équation c’est que le combat palestinien a lieu en dehors des organisations, n’implique pas les différentes factions de la résistance et donc place les dirigeants de l’entité sioniste dans le désarroi puisqu’ils comptent traditionnellement sur leur machine de guerre pour réprimer, massacrer, semer la terreur.

Enfin, le troisième changement, et non le moindre, c’est que désormais les attaques palestiniennes sont portées à la population coloniale et non pas seulement au pouvoir et à son armée. Très régulièrement, l’on entend dire dans les médias ou dans la bouche des analystes officiels qu’il ne faut pas s’en prendre aux populations civiles, que c’est du terrorisme, que ce sont des actes inqualifiables et tout le jargon-blabla. En réalité, il n’existe pas de population juive civile mais des colons juifs et tant que tels ils sont au fondement du système colonial qui oppresse chaque jour les Palestiniens. Le pouvoir israélien n’est que la synthèse politico-militaire des intérêts des puissances occidentales (les Etats-Unis en tête) et des intérêts des colons.

Le sort des Palestiniens est en jeu actuellement dans la guerre en Syrie qui se poursuit. Dans ce conflit, la France, l’Angleterre, Israël et les Etats-Unis, de concert avec l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et le Koweït, mènent officiellement une opération de soutien au peuple syrien.  Mais leurs motivations réelles sont d’affaiblir les nations arabes comme la Syrie, l’Irak et le Yémen, et la puissance économique politique montante qu’est l’Iran, en poussant les factions les unes contre autres. Au passage cela permettrait de consolider l’entité sioniste affaiblie par plusieurs défaites contre les résistances libanaises et palestiniennes. L’objectif stratégique global est de maintenir l’influence du bloc occidental dans la région. La devise américaine a toujours été : « Les Etats-Unis n’ont pas d’amis, mais que des intérêts économiques. » Si le chaos sert leurs intérêts économiques, ils feront de ces nations un champ de ruines…

Depuis plus de soixante ans, le peuple palestinien est toujours debout, résistant contre l’infernale machine de guerre coloniale israélienne. En exil, les réfugiés gardent l’intime conviction que leur retour dans leurs foyers en Palestine est proche. Nous, membres du Comité Action Palestine, sommes à leurs côtés pour réaffirmer que la Palestine est arabe, et soutenir leur lutte jusqu’à la victoire de la résistance et la satisfaction des revendications légitimes :

* La condamnation du sionisme comme mouvement politique colonialiste et raciste.

* Le soutien inconditionnel à la résistance du peuple palestinien et à son combat pour son autodétermination et son indépendance nationale.

* La reconnaissance du droit inaliénable au retour de tous les réfugiés chez eux.

* La libération de tous les résistants emprisonnés.




Marchandisation de la violence, stade ultime du capitalisme

La violence est-elle organiquement liée au capitalisme au point de devenir un enjeu économique ? A travers l’analyse du terrorisme et sa généalogie au Moyen Orient, Richard Labévière considère que ce type de violence n’est pas seulement politique. Elle est aussi économique dans la mesure où elle crée un marché de la « sécurité ». Le capitalisme exploite également, en terme de marché, les effets de sa domination destructrice sur les sociétés.

A l’invitation du Comité Action Palestine, Richard Labévière fera une conférence le 2 décembre 2016 à Bordeaux sur le thème de la nouvelle géopolitique de la question palestinienne. Il abordera aussi les éléments importants de son dernier livre « Terrorisme : remonter aux causes ».

Comité Action Palestine

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Interview de Richard Labévière, propos recueilli par Lina Kennouche pour l’Orient le Jour (16 septembre 2016)

Dans son livre Terrorisme : remonter aux causes à paraître début novembre aux éditions Pierre-Guillaume De Roux, Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, écrivain et rédacteur en chef de prochetmoyen-orient.ch, analyse la logique même du terrorisme transnational comme dernier avatar du capitalisme néolibéral. Dans cet entretien, l’auteur revient sur la thèse centrale de son ouvrage : le système capitaliste a fini par produire une marchandisation de la violence extrême, devenue secteur à part entière de l’économie.

Dans ce livre, vous tentez de tirer les leçons des attentats et de remonter aux causes premières du terrorisme. Une histoire du terrorisme est-elle possible ?
Non. L’histoire est complexe et la définition impossible parce que l’étude du terrorisme suppose toujours la nécessité d’une anthropologie politique. La qualification de « terroriste » est souvent produite par ceux qui ont le pouvoir et défendent des intérêts particuliers. Un exemple emblématique qui parle aux Français est celui de Jean Moulin. Patron du Conseil national de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il était considéré comme terroriste par les Allemands et héros de la Résistance par les Français. Il faut donc éviter systématiquement de réduire les questions de terrorisme à une histoire linéaire et chronologique, et plutôt les penser dans leur anthropologie politique ; sinon, conceptuellement, une définition claire sur les plans juridique et morale restera impossible.

Vous distinguez plusieurs grandes phases dans l’évolution du terrorisme et sa mobilisation comme mode opératoire. Quelles sont-elles ?
L’usage du terrorisme a d’abord été le fait, au Proche-Orient, des groupes israéliens : la Haganah et l’Irgoun avec, notamment, l’attentat de l’hôtel King David (22 juillet 1946), l’assassinat du comte Folke Bernadotte et le massacre de Deir Yassine. Après la Nakba (1948), la réaction de défense de la résistance palestinienne va, elle, mobiliser l’action terroriste selon différentes modalités. Il y a d’abord la première phase avec des mouvements de libération nationale et des sous-produits de services plus ou moins manipulés comme Carlos et Abou Nidal.
La deuxième période, qui va du début des années 1990 à 2001, est caractérisée par la nébuleuse el-Qaëda et son développement « rhizomatique » après les attentats de septembre 2001, c’est-à-dire un développement non centralisé et inorganisé.
La troisième phase débute à partir de la chute de Mossoul et la proclamation du califat, celle de Daech et ses sous-produits. Cette dernière est la conséquence directe de la guerre anglo-américaine en Irak avec la montée en puissance d’Abou Moussab el-Zarqaoui (responsable d’el-Qaëda en Irak) et la question qui reste en suspens : comment un petit délinquant comme Zarqaoui va-t-il rapidement avoir du pouvoir et parvenir à s’imposer comme le représentant d’el-Qaëda en Mésopotamie ? On le retrouvera au Kurdistan après la chute de Bagdad, alors que ce sont des zones contrôlées par les Américains et les services israéliens. La manière dont on l’a laissé prendre du pouvoir et opérer reste très curieuse.

Vous soulignez que la violence extrême est devenue un secteur de l’économie, créateur d’emplois, alors que dans le même temps l’agriculture industrialisée tue l’emploi. Pouvez-vous parler de cette évolution ?

Avec la révolution numérique et la robotisation, les filières industrielles des pays européens sont en déclin. Dans le secteur des services, la révolution informatique a créé un phénomène nouveau : ce sont les usagers qui font le tertiaire. Au moment où les secteurs traditionnels fonctionnent à la destruction de l’emploi, la riposte à la violence extrême, c’est-à-dire un terrorisme banalisé, est devenue un secteur à part entière, créateur d’emplois et de richesse. Ce nouveau secteur économique s’installe au cœur même du processus de la mondialisation et fonctionne sur la « casse » des États-nations, des armées nationales et des services publics. Ce processus s’incarne à la fois dans une privatisation de la violence et une privatisation de la sécurité. J’ai défini ce terrorisme comme le stade suprême de la mondialisation, mais je le qualifierais plutôt aujourd’hui de face cachée de la mondialisation, qui est un processus sans sujet, selon les termes du philosophe Louis Althusser. Tout cela ne relève pas d’une conspiration mais d’un développement consubstantiel à la mondialisation. Ce n’est pas un Conseil de sécurité du mal qui va décider que le terrorisme va s’installer au cœur de la mondialisation. Dès lors où il n’y a plus d’État ni de services publics, tout le monde est l’ennemi de tout le monde. La course à l’argent devient la seule règle, elle a nourri et justifié ce que Jean Ziegler appelle la disruption, c’est-à-dire un monde où on impose l’informatique dans tous les aspects de la vie professionnelle, sociale, amoureuse, etc. Cette disruption a permis aux idéologies jihadistes, notamment, de se diffuser sans aucun contrôle.

Dans la conclusion de votre ouvrage, vous expliquez que la grande erreur serait de se représenter le terrorisme comme un accident ou une crise, alors qu’il est un processus installé au cœur même des mécanismes de la mondialisation…
Après avoir déposé des brevets sur la biodiversité par exemple, le capitalisme est en train de produire des brevets sur nos affects et sur la violence, qui est l’énergie vitale du capitalisme. Le stade ultime du capitalisme se manifeste justement par la marchandisation de la violence. Celle-ci, que ce soit dans ses expressions terroristes ou dans ses ripostes de contre-terrorisme, devient une marchandise comme une autre.

Vous avancez dans ce livre des propositions pour tenter de sortir du terrorisme radical, qui est le produit du capitalisme radical…
Comme dirait le philosophe Alain Badiou, il n’y a pas de réponses programmatiques. On peut simplement indiquer des perspectives et des pistes. Dans ce livre, je consacre un chapitre au financement de l’islam radical depuis 30 ans, ce qui nous ramène toujours à l’Arabie saoudite. Ma première proposition est de commencer par s’attaquer au nerf de la guerre qu’est l’argent, aux dollars de la terreur, de plusieurs façons. On sait que l’argent du crime transite par les paradis fiscaux. Il faudrait, sans doute, commencer par fermer les places offshore et mettre sous contrôle les mouvements d’argent des grandes sociétés, opérateurs, ONG, etc., qui transitent par les banques nationales ou des banques d’échange internationales.
Dans un autre domaine, celui des services de sécurité, je fais une proposition qui concerne plus spécifiquement la France. Rien ne sert de refondre les services, et toujours recréer de nouvelles usines à gaz, car ils ne font, au final, que ce que leur demande le pouvoir politique. Les outils et les lois sont là, il est donc inutile d’en adopter de nouvelles. Depuis 2012, il y a eu 10 lois antiterroristes supplémentaires alors qu’il aurait fallu simplement appliquer les lois existantes et donner les moyens aux services de travailler efficacement. Mais encore faudrait-il que le pouvoir politique donne des ordres clairs et assume ses responsabilités. La seule chose efficace que la France aurait pu faire est de créer un parquet antiterroriste national avec des correspondants régionaux, et non pas faire remonter tous les dossiers au procureur de la République à Paris. Ensuite, d’autres propositions auraient pu faire l’objet d’un débat : un état des lieux de la diplomatie française, dont l’évolution est devenue incompréhensible, ou des opérations militaires qui ne doivent être que ponctuelles avec des objectifs précis, car le traitement du terrorisme n’est pas militaire mais politique.

http://www.lorientlejour.com/article/1007405/marchandisation-de-la-violence-stade-ultime-du-capitalisme.html