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Frappes médiatiques au Liban

avion[1]Article du journal Le Plan B d’octobre – novembre 2006 sur les relais sionistes dans les médias français et sur le traitement de la débâcle israélienne au Liban.

Légende : « Souris mon fils sinon on pourrait t’accuser d’antisémitisme » .


Quand une guerre éclate entre une puce et un éléphant – ou entre un allié des États-Unis doté d’une aviation moderne et un allié de la Syrie et de l’Iran qui recourt à la guérilla –, les alliés médiatiques de l’éléphant connaissent la musique. Il leur faut, d’une part, humaniser le pachyderme, faire oublier le troupeau qui l’entoure. Et, d’autre part, diaboliser le plus faible, forcément plus fourbe, en particulier s’il est arabe.

Humaniser l’armée israélienne ? Rien de plus facile ; il suffira d’évoquer sans relâche le nom du moindre soldat prisonnier : qui ne connaît celui du caporal Gilad Shalit, « dix-neuf ans », enlevé par le Hamas le 25 juin dernier ? Et qui n’a pas entendu s’exprimer cent fois l’angoisse de sa famille ? En revanche, qui peut réciter le nom d’un seul des huit civils assassinés sur une plage de Gaza par un bateau de guerre israélien, ou celui d’un seul des centaines de Palestiniens – ministres et députés compris – enlevés par l’armée de Tel-Aviv ?

Israël « frappe », le Hezbollah « bombarde »

Vous voulez dire par Tsahal ? Justement, parlons-en ! En avril 2002, un auditeur de France Inter, « Frédéric », avait interrogé les journalistes de la station sur leur utilisation, qu’il jugeait partisane, de ce nom de « Tsahal ». Bertrand Vannier, directeur de l’information, avait expliqué : « Tsahal, c’est un acronyme. Cela veut dire “Tsiva Hagana Lei Israël”, l’armée de défense d’Israël. J’ai demandé aux journalistes de la rédaction de France Inter de ne plus prononcer le mot de “Tsahal”, car il y a risque de confusion à partir du moment où les Israéliens en ont fait une sorte de surnom, diminutif affectueux . » En juillet-août 2006, ce « diminutif affectueux » fut employé plusieurs fois par jour – et même par heure – sur France Inter pour évoquer une « armée de défense d’Israël » qui défendait Israël en envahissant le Liban. Le jour où le Hezbollah baptisera son armée « Mon chéri », l’appellation sera-t-elle aussi couramment reprise par France Inter ?

En temps de guerre, les mots tuent. Bernard-Henri Lévy le sait tellement bien qu’il s’offusqua, dans Le Monde naturellement, de l’emploi du mot « roquette » pour parler des projectiles tirés contre l’État hébreu. « Pourquoi ne pas dire “obus” ? ou “missile” ? Pourquoi ne pas rendre, en utilisant le juste mot, toute sa dimension de violence barbare à cette guerre voulue par les iranosaures du Hezbollah et par eux seuls ? »(1) Quelques jours avant que Le Monde publie l’interminable tartine béachélienne (deux pages !), la mort de dizaines de civils libanais et palestiniens avait pourtant inspiré au quotidien vespéral un titre qui n’avait pas indigné le philosophe préféré de « Tsahal » : « Les frappes israéliennes se multiplient sur le Liban, le Hezbollah bombarde Tibériade » (lemonde.fr, 15.7.06). Et pourquoi pas la formulation inverse, avec le Hezbollah qui « frappe » et les Israéliens qui « bombardent » ?

Le Plan B connaît la réponse. Pendant la guerre du Kosovo, les sondages – trafiqués, comme toujours – employaient plus volontiers le terme de « frappes » occidentales que celui de « bombardements » ou d’« intervention » de l’Otan. L’une de ces enquêtes, réalisée les 26 et 27 mars 1999 par l’institut CSA pour Le Parisien, avait révélé qu’une majorité relative de Français (46%, contre 40%) désapprouvait les « bombardements aériens des forces de l’Otan contre la Serbie ». Le « problème » était corrigé dès le lendemain : une nouvelle enquête d’opinion (Ipsos-Le Journal du dimanche) pouvait proclamer triomphalement qu’une majorité absolue de Français (57%, contre 30%) approuvait « l’intervention militaire de l’Otan en Yougoslavie ». Un sondeur expliqua ce renversement : « “Bombardement” donne un poids de chair et de sang à la question qui est posée. “Frappe”, c’est plus chirurgical et aseptisé que “bombardement” » (2).

On résume : de temps en temps, un membre de Tsahal, le jeune et sympathique Gilad par exemple, « frappe » avec ses camarades. De braves garçons tout juste un peu rugueux, mais c’est de leur âge.

Une « joyeuse bousculade »

Titré « Irresponsabilités », un lumineux éditorial du Monde (ils le sont tous) analysa dès le 16 juillet 2006 : « La crise de Gaza a conduit à celle du Liban, qui, elle-même, n’a été possible que parce que la Syrie et l’Iran ne sont pas opposés au coup de force de leur protégé libanais, le Hezbollah. » Relisons ce résumé : à aucun moment Israël n’est mis en cause. « La crise de Gaza », c’est pourtant dix Palestiniens tués par jour. Et quand BHL pleure sur « ces photos de quinze jeunes gens, parfois des enfants, qui sont morts… », à qui pense-t-il ? Eh oui, à ceux « qui sont morts sous le feu des artificiers palestiniens » (3) ! Les artificiers israéliens en revanche sont sympathiques et humanistes. « Le chef de guerre, roucoule Bernard-Henri, s’appelle Ephraïm Sneh. Il a ce physique de père tranquille, à la fois cordial et bourru. » Quant aux soldats d’Ephraïm, BHL admire « leurs moqueries de gamins », « l’allure décontractée ensuite, j’allais dire débraillée et même désœuvrée, d’une petite troupe qui me rappelle irrésistiblement la joyeuse bousculade des bataillons de jeunes républicains décrits, une fois encore, par Malraux » (4). Vite, un nouveau film !

« Oui mais c’est le Hezbollah qui a commencé ! » Une ânerie journalistique se consommant toujours en boucle, procédons à la revue (partielle) des troupes et des troupiers. Jean Daniel : « Les premières réactions d’Israël contre les agressions du Hezbollah relevaient de l’autodéfense » (Le Nouvel Observateur, 20 juillet). Philippe Val approuve Daniel : « Mets-toi deux minutes à la place des Israéliens : ils se sont retirés du Liban contre la paix. Ils ont eu des roquettes. Ils se sont retirés de Gaza contre la paix. Ils ont eu des roquettes… » (Charlie Hebdo, 26 juillet). Colombani s’inspire de Val : « La crise n’a de précédent que dans celle des missiles soviétiques installés à Cuba en 1962 : en laissant l’Iran et la Syrie installer, via le Hezbollah, de douze mille à dix-sept mille missiles, le Liban a placé Israël à la portée de l’Iran » (Le Monde, 1er août). Attali plagie Colombani : « En mars 1936, face à la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler, Halifax puis Blum ont laissé faire, et nous avons eu la guerre. En octobre 1962, face à l’arrivée de fusées soviétiques à Cuba, les frères Kennedy n’ont pas laissé faire, et nous avons eu la paix » (L’Express, 3 août).

Au vu de ce qui précède, on comprend qu’interpellé le 11 août par un lecteur du New York Times – « Pourquoi n’écrivez-vous votre histoire que du point de vue des Israéliens ? » – BHL ait aussitôt répliqué : « Parce que seul l’autre point de vue est considéré et je n’aime pas le conformisme, et encore moins l’injustice. » Dina Sorek, ministre-conseiller à l’information auprès de l’ambassade d’Israël à Paris, qui n’aime pas non plus le conformisme, spamma à ses milliers de correspondants les textes de BHL et de son chouchou Philippe Val.

Au demeurant, des penseurs-chansonniers-humoristes aussi subtils allaient-ils s’encombrer du rappel des dix-huit années d’occupation du Liban par Israël, des milliers de détenus – certes arabes – non encore libérés ? Eux que la fourniture d’armes iraniennes au Hezbollah incommodait tant, allaient-ils s’offusquer des livraisons de missiles américains, y compris à longue portée, y compris à tête nucléaire, à l’État hébreu ? Devaient-ils vraiment se souvenir que la veille du jour où le soldat Gilad Shalit fut capturé, les forces « d’autodéfense » israéliennes avaient kidnappé deux civils de Gaza – bien qu’il s’agisse d’Arabes, Le Plan B dévoile leur nom –, Osama et Mustafa Muamar ? Évidemment non.

« Fiefs du Hezbollah »

Il faut dire qu’Israël ne bombardait pas des villages chiites libanais, des villes comme Tyr, Saada, Baalbek, Beyrouth, mais frappait des « fiefs du Hezbollah ». Claude Angéli, qui nota ce langage « politiquement correct » de « certains confrères » (5), omit de désigner les coupables. Le Plan B les a aussitôt démasqués dans sa banque de données obèse. Palme d’or à Libération, qui, le 22 juillet, annonce : « Vendredi, les chasseurs bombardiers israéliens ont pilonné Baalbek, fief du Hezbollah ». Puis récidive le 9 août : « Raids sur la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. » Ex-æquo, Le Monde du 26 juillet : « Israël s’empare de Bint Jbeil [une ville, pas un hameau], fief du Hezbollah au Liban sud ». Même chose le 4 août : « L’aviation a bombardé la banlieue de Beyrouth, fief du Hezbollah chiite ».

Une guerre comporte toujours ses moments de détente. Le géographe Philippe Val nous les offrit dans son nouvel éditorial antiarabe « Garçon, un demi et un atlas ! » : « Si l’on regarde une carte du monde, en allant vers l’est : au-delà des frontières de l’Europe, c’est-à-dire de la Grèce, le monde démocratique s’arrête. On en trouve juste un petit confetti avancé au Moyen-Orient : c’est l’État d’Israël. Après, plus rien, jusqu’au Japon. […] Entre Tel-Aviv et Tokyo règnent des pouvoirs arbitraires dont la seule manière de se maintenir est d’entretenir, chez des populations illettrées à 80%, une haine farouche de l’Occident, en tant qu’il est constitué de démocraties » (6). Mais selon le Rapport des Nations unies sur le développement humain de 2003, seuls trois pays au monde avaient alors un taux d’illettrisme supérieur à 80%. Et aucun d’entre eux n’était situé entre Tel-Aviv et Tokyo, puisqu’il s’agissait du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Ailleurs, entre Tel-Aviv et Tokyo, le taux d’illettrisme était de 23% en Iran, de 9% en Chine, de 7% aux Philippines. Et… de 13% au Liban.

Mais c’était avant que les écoles y soient (à nouveau) « frappées » par les amis lettrés de Philippe Val et de Charlie Hebdo.

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LE CASSE-PIEDS DU TELEPHONE ET L’AMATEUR DE VINAIGRETTE
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Jeudi 3 août, vers 13 h 15, Claude Lanzmann a pensé tristement à feu Jean-François Revel. Lanzmann venait de publier une nouvelle ode affectueuse aux tankistes de l’armée israélienne. Il escomptait ainsi ne pas être distancé par BHL sur ce créneau qu’il juge lui appartenir en propre depuis la sortie en 1994 de son péplum d’amour sur Tsahal (7). Or, jusqu’au trépas de Revel, il y a quelques mois, sitôt que Lanzmann se débarrassait d’un de ses textes dans les pages du Monde (son vide-poche préféré), il appelait Revel pour en être complimenté…

Ce 3 août, Claude Lanzmann – d’une fatuité telle qu’elle excède parfois celle de Jean Daniel (!) – était plus fier de lui encore que d’habitude. Même s’il n’injuriait pas cette fois les pacifistes israéliens (des « fripouilles sans foi ni loi », avait-il estimé quelques semaines plus tôt [8]), son texte n’en demeurait pas moins un bijou lanzmannien. Il chantait la douce armée israélienne. Le prix qu’elle « attache à la vie de ses hommes ». Sa politesse envers les Libanais : « Israël avait averti, par tracts et par radio, la population d’avoir à quitter les lieux. » Toute cette « population », qui disposait assurément de jets privés et de résidences secondaires, n’avait qu’à s’envoler à destination d’un ryad aussi voluptueux que celui de BHL à Marrakech. Pour y attendre la fin de la guerre en dégustant des olives.

Lanzmann, en transe, ne cessait de relire à voix haute (devant un miroir) le début de son article. Il avait en effet réussi à juxtaposer à intervalles très rapprochés les mots de « clameur », « rues arabes », « voracité » et « hypocrite ». Mais, jurait-il, la vertu l’emporterait : en dépit des Arabes hypocrites qui avaient profité des accords d’Oslo pour « s’armer jusqu’aux dents », « Israël, n’en doutons pas, prendra le dessus ».

La guerre gagnée sur le papier, Lanzmann se demanda qui appeler pour s’entendre couvrir d’éloges. Revel était mort. Or, dans ses Mémoires de l’année 2000, l’ancien immortel raconte l’histoire d’un casse-pieds qui le harcèle au téléphone en plein été. Extrait :

« Samedi 1er juillet. Arrivé hier au soir en Bretagne, je me rends ce matin au marché de Pleubian, qui a lieu tous les samedis. […] Rentré à la maison vers midi, j’entends mon téléphone sonner. Tiens, me dis-je, même le premier jour de mes vacances et en plus un samedi, ils ne peuvent pas me laisser tranquille. Je décroche. C’est Claude Lanzmann.
– Tu n’es donc pas à Paris ? me dit-il.
Je sens une tristesse dans sa voix. Que mon éloignement l’afflige à ce point n’est pas loin de me bouleverser.
– Eh bien, non, lui dis-je, mais nous nous verrons en septembre.
Un silence.
– Dans le lieu écarté où tu te trouves, reprend-il, tu ne reçois pas les journaux ?
– Bien sûr que si. Je viens de les acheter au village.
Long silence.
– Est-ce que tu as lu mon article ?
– Écoute, je viens juste de poser ma pile sur mon bureau et ensuite je suis revenu dans la cuisine, où j’ai commencé à confectionner ma vinaigrette montée. Tu sais à quel point c’est difficile à réussir !
– J’ai un article qui commence à la une du Monde et qui, à la tourne, occupe une page entière.
– Excellente nouvelle !
– C’est un très bon article.
– J’en suis convaincu.
– Lis-le tout de suite.
– Je laisse tomber et retomber ma vinaigrette et je te rappelle dans vingt minutes
»(9).

En achevant sa vinaigrette, Revel sourit. Il se souvint que, moins de quatre mois plus tôt…

« Mercredi 15 mars. […] Lundi prochain, je suis invité à une émission de Thierry Ardisson, avec, m’a-t-on dit, et je m’en suis réjoui, Claude Lanzmann comme interlocuteur. C’est du moins ce que je croyais. Mais Claude Lanzmann me détrompe en me précisant, d’une voix sépulcrale, au téléphone : “C’est une émission sur moi. Toi, tu n’interviens qu’à la fin pour parler de moi” »(10).

Le 3 août 2006, faute de mieux, Lanzmann se résigna à appeler cet âne de Romain Goupil, que chacun laisse braire dans son étable depuis des années. Malheureusement pour Claude, Romain n’achète Le Monde que lorsqu’il y signe une nouvelle tribune à la gloire de W. Bush avec ses collègues du Club de la coupe au bol, Bruckner et Glucksmann. Pour se consoler, Lanzmann a revu Tsahal.

Notes

(1) Le Monde, 27.7.06. Acrimed, notre rutilante vitrine universitaire, a réfuté chacune des assertions conjointes de BHL et du Monde le 1er août 2006.
(2) Sondages et commentaire cités dans Serge Halimi, Dominique Vidal et Henri Maler, L’opinion, ça se travaille, Agone, Marseille, réédition poche, septembre 2006, p. 25.
(3) BHL, op. cit.
(4) Ibid.
(5) Le Canard enchaîné, 9.8.06.
(6) Charlie Hebdo, 26.7.06. Val fut ravi de lire deux jours plus tard l’édito de Denis Jeambar sur le site de L’Express : « Cette défaite d’Israël, si elle devait survenir, serait aussi la première défaite de la seule démocratie existant, à l’exception de la démocratie indienne, entre la Méditerranée et les rivages du Pacifique. » Toutefois, Jeambar se garda bien de répéter l’ânerie de Val sur les « populations illettrées à 80% ».
(7) Lire à ce sujet Amnon Kapeliouk, « “Tsahal”, ou les mésaventures de la vérité historique au cinéma », Le Monde diplomatique, novembre 1994.
(8) Les Temps modernes, mars-juin 2006.
(9) Jean-François Revel, Les Plats de saison, journal de l’année 2000, Le Seuil, 2001, p. 215-216.
(10) Id., Ibid, p. 83.

Dessin : Mantaq Ach Chaatine – La logique du diable : « Souris, mon fils, sinon on pourrait t’accuser d’antisémitisme ».




Avec une telle incarnation de la gauche, Israël a-t-il besoin d’une quelconque droite ? Une déconstruction de David Grossman

le 18/11/2006 8:50:00 (744 lectures)

A4-533Article de Gilad Atzmon publié le 9 novembre 2006 sur son site . L’auteur est musicien de jazz et écrivain. Radicalement anti-sioniste, il a quitté Israël après son service militaire pour s’installer en Grande-Bretagne

Gilad Atzmon déconstruit dans cet article le discours pseudo humaniste et universaliste de l’intellectuel israélien en vogue, David Grossman.

Derrière sa vitrine d’homme de gauche, David Grossman ne propose rien d’autre que la bonne vision sioniste caractéristique, mélange d’admiration grossière pour l’Etat d’Israël, de croyance au mythe de l’universalisme juif, de racisme «suprématiste» juif et de paternalisme colonialiste.

Le sionisme de la gauche laïque représenté par David Grossman n’a rien à envier à celui de droite au point de se demander si Israël a encore besoin d’une droite. Et notre intellectuel se trompe décidément toujours lorsqu’il envisage la solution à deux Etats car la Palestine est Une et ne sera jamais partagée.


Le monde, apparemment, est en train d’offrir une ovation debout au nouvel orateur israélien dans le vent, l’écrivain David Grossman. Les relations publiques israéliennes ont désespérément besoin d’un intellectuel honnête, d’un auteur qui « tienne un langage de paix », d’un homme qui prêche la « réconciliation ». Bref, d’un homme de shalom [et non d’un homme de paix, la nuance est loin d’être mince… NdT] Hier, le quotidien britannique The Guardian a publié le discours d’hommage prononcé par Grossman, la semaine dernière, lors de la cérémonie à la mémoire d’Yitzhak Rabin, à Tel Aviv.

Grossman est un « Israélien éclairé ayant de la bouteille », c’est un sioniste de la gauche light, qui aspire à un certain changement. J’ai lu son discours, et je dois dire que, bien que son auteur soit considéré par d’aucuns comme un intellectuel israélien de gauche, je ne vois rien d’autre, dans son speech, que la bonne suprématie juive pur sucre, et même le vieux programme sioniste raciste sans fard. Grossman, à l’instar de beaucoup de ses concitoyens israéliens, est totalement immergé dans un discours chauvin siono-centré, un discours de déni de la cause palestinienne, en particulier de ce qu’elle comporte de plus essentiel : le droit au retour .

J’ai rassemblé et souligné certains passages outranciers du discours de l’orateur ascensionnel de la gauche hébraïque.

Grossman et le mythe des « valeurs juives universelles »

Grossman, cet Israélien que certains parmi nous se plaisent à aimer, nous offre un aperçu magistral de la mentalité sioniste laïque . « Je suis », dit-il, parlant de lui-même, « un homme totalement dépourvu de croyance religieuse . » Mais Grossman ne s’en tient pas là. ; il affirme : « Pour moi, la création – et l’existence même – de l’État d’Israël tient d’un miracle, qui nous est advenu, à nous, en tant que peuple ; un miracle politique, un miracle national, un miracle humain… »

Alors, je me demande, comme ça :

« Mais… depuis quand un laïc croit-il aux miracles ? »

Il faut sans doute rappeler à notre « intellectuel israélien agnostique » qu’un miracle, c’est « un effet, ou un phénomène extraordinaire, dans le monde physique, surpassant toutes les puissances naturelles connues par la raison de l’homme, et attribuable, par conséquent, à une cause surnaturelle. »

De fait, Grossman, comme beaucoup d’Israéliens, a réussi à nous inventer une nouvelle forme d’agnosticisme : il s’agit de rien moins que d’un athéisme « référant à certaines causes surnaturelles » !

Très bizarrement, les laïcs sionistes sont quasiment des orthodoxes fondamentalistes de leur nouvelle religion pathétique. Puis-je filer un coup de main à Grossman et lui suggérer l’idée qu’Israël n’a strictement rien d’authentiquement héroïque, ni, encore moins, de miraculeux ?

Israël est un vulgaire État raciste ultra-nationaliste. Point barre. Si le relatif succès d’Israël semble miraculeux à d’aucuns, c’est simplement parce qu’il a fallu deux ou trois générations à ses voisins arabes pour parvenir à s’adapter au niveau atteint par le sionisme dans la barbarie.

D’après Grossman, Israël aurait dilapidé ce fameux « miracle », cette « immense et précieuse opportunité que l’Histoire lui aurait offerte – celle de créer un État démocratique et éclairé fonctionnant correctement et agissant conformément aux valeurs juives et universelles. »

À suivre la vision de l’esprit juif que nous propose Grossman, les Lumières et la démocratie sont étrangers aux juifs, et leur occurrence dans la sphère juive doivent donc être perçue comme un miracle. Sans doute sans en avoir conscience, Grossman avoue ici que les « Lumières » et la « démocratie » sont antithétiques de la mentalité juive.

En cela, ce courant intellectuel n’a rien de particulièrement nouveau, ni de particulièrement original. En effet, les premières générations d’idéologues sionistes pensaient qu’à Sion, un nouveau juif émergerait : un juif civilisé, laïc, démocrate et éclairé, qui se rebellerait contre son ancêtre diasporique moralement dégénéré…

Mais il y a plus préoccupant : Grossman cherche délibérément à embobiner ses lecteurs en faisant référence à des « valeurs juives universelles », comme si ces valeurs n’étaient rien d’autre qu’un lieu commun admis par tout un chacun. Aussi bizarre cela que cela puisse paraître à certains, il n’existe aucun ensemble universellement reconnu de « valeurs juives universelles. »

Existerait-t-il un seul ouvrage explicitant cette notion de « valeurs juives universelles » ? Je ne le pense pas.

S’il est un ensemble de valeurs qui peut être considéré incarner des « valeurs juives universelles », c’est bien celui qui est véhiculé par le consensus juif. Ainsi, les juifs de la Torah, qui soutiennent sincèrement la cause palestinienne, savent certainement, quant à eux, ce que sont des valeurs universelles.

Le hic, c’est que Grossman se revendique laïc. Ce n’est donc certainement pas à l’interprétation juive orthodoxe qu’il pense lorsqu’il se réfère à une universalité juive.

En fait, c’est le christianisme qui donne du judaïsme une traduction dans un système universel de valeurs.

C’est le christianisme, qui transforme le « voisin » en un « prochain universel ».

Il y a sans nul doute beaucoup d’humanistes universalistes qui se trouvent être d’origine juive. Mais il n’existe aucun ensemble reconnu de « valeurs juives universelles ». Grossman et les autres intellectuels juifs qui répandent le mythe de je ne sais trop quel « universalisme juif » ne font que se tromper eux-mêmes et tromper ceux qui les écoutent. De plus, le fait que le sécularisme juif soit exempt de support philosophique explique peut-être la banqueroute morale généralisée de l’État juif. Comme nous allons le lire sans tarder, Grossman tombe personnellement dans le même piège. Il a peut-être conscience de l’existence d’un concept tel la moralité, mais il est incapable de proposer une quelconque vision morale du monde qui ait une quelconque cohérence. Il a peut-être conscience des effets négatifs du racisme, mais il tombe lui-même, la tête la première, dans la bigoterie suprématiste, avec une facilité déconcertante…

Grossman, un raciste éhonté

Grossman est assez courageux pour ouvrir les yeux et reconnaître que « la violence et le racisme » se sont emparés de son chez-soi, Israël. Jusqu’ici, pas de problème. Pendant une seconde, je veux bien admettre que Grossman est véritablement un juif laïc éclairé anti-raciste.

Mais, dès la phrase suivante, il demande : « Comment se fait-il qu’un peuple ayant nos capacités de créativité et de régénérescence » a réussi à se trouver, de nos jours « dans un tel état de faiblesse et d’impuissance » ?

Tout lecteur critique est fondé à se demander à quoi Grossman fait en réalité allusion quand il évoque « un peuple ayant nos capacités de créativité et de régénérescence » ?

C’est très simple :

Grossman est authentiquement persuadé du caractère unique du peuple élu. Autrement dit, Grossman n’est rien d’autre qu’un déterministe biologique.

La question à poser, dès lors, est la suivante : comment se fait-il que le Guardian consacre trois pages à un suprématiste juif ?

Je pense que les juifs jouissent de certaines libertés qui sont déniées au reste de l’humanité. Ainsi, par exemple, il m’est difficile de croire que le Guardian ouvrirait ses colonnes à un philosophe allemand glorifiant « les capacités de créativité et de régénérescence » du peuple aryen.

Or, d’une manière ou d’une autre, un juif intellectuel peut faire ce qui revient exactement au même, en s’en tirant à bon compte.

Bien que Grossman ait l’honnêteté d’admettre que les Palestiniens aient choisi le Hamas pour les diriger, il appelle Olmert à « s’adresser aux Palestiniens en passant par-dessus la tête du Hamas ; à s’adresser aux modérés parmi eux… à ceux qui, comme vous et moi, sont contre le Hamas et son idéologie. »

Dites-moi, Monsieur Grossman… Si vous êtes vraiment un humaniste universaliste, ce dont je doute fortement, vous feriez bien mieux d’apprendre à écouter le Hamas, plutôt que vous adresser aux Palestiniens par-dessus la tête de leurs dirigeants élus…

Grossman, à l’évidence, est incapable de respecter ses voisins, dont il ne respecte pas les choix démocratiques. De manière générale, je suggère que nous nous départissions de la méthode exécrable et minable consistant à passer par-dessus la tête de qui que ce soit, pour nous adresser à Bush et à Blair. Les intellectuels ont le privilège d’écouter et d’agir de manière éthique ; ils doivent s’en montrer dignes.

Grossman-la-Victime

Mais la chutzpah juive grossmanienne va encore plus loin : « Regardez les Palestiniens, ne serait-ce qu’une seule fois », dit-il à Olmert. « Vous verrez un peuple non moins torturé que nous le sommes nous-mêmes. »

Non ; ça n’est pas une blague ! Grossman, ce juif colonialiste qui se pavane dans les territoires palestiniens occupés en pratiquant l’épuration ethnique d’une nation indigène, regarde ses victimes palestiniennes terrorisées tout en disant : « Les Palestiniens sont presque aussi torturés que je le suis moi-même » ! ? !…

Voilà probablement qui dit tout, et le reste. Cela résume le niveau atteint par la cécité de la siono-gauche. Vraiment : si ça, c’est la gauche israélienne, Israël a-t-il encore besoin d’une droite ?

Et, de fait, dans sa conclusion, Grossman le reconnaît : « Les différences entre la droite et la gauche ne sont plus tellement importantes, de nos jours. » Exact. A l’aune du discours politique européen, Grossman, cet icône intellectuel de la gauche israélienne, n’est rien d’autre qu’un banal néocon de droite. Grossman est un homme qui prêche le racisme, au nom de la bonne volonté. C’est un homme qui parle par-dessus la tête des autres.

Grossman et la « solution » à deux États

Grossman se trompe lui-même, ainsi que ses auditeurs, en disant que « la terre sera partagée, et il y aura un Etat palestinien. »

Vous avez en partie tort, Monsieur Grossman. Cette terre ne sera jamais partagée.

Je vais parler très simplement, afin que vous et vos rares semblables sionistes de gauche puissent ouvrir les yeux, une bonne fois pour toutes :

La Palestine, c’est une terre. Israël, c’est un État.

La Palestine sera toujours la Palestine, c’est-à-dire : une terre.

Israël, en revanche, est un État nationaliste raciste, qui disparaîtra.

Cette terre de Palestine ne sera pas divisée. Elle sera réunie en Une Unique Palestine. Plutôt que vouloir perpétuer un État nationaliste raciste, j’invite Grossman et ses amis à rejoindre le mouvement palestinien.

Un mouvement qui fait sienne l’égalité en terre de Palestine.

Cette Palestine, où les valeurs sont authentiquement universelles.

Gilad Atzmon

Traduction française originale de  M. Charbonnier, révisée par F. Giudice, membres de Tlaxcala (www.tlaxcala.es) réseau de traducteurs pour la diversité liguistique.




Les Juifs en Palestine

Ce texte est un extrait de Ma Non-Violence du Mahatma Gandhi écrit en 1938, édité par le Navajivan Publishing House en 1960 et traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier.

Nous n’adhérons pas à la philosophie de la non-violence de Gandhi mais sa critique de la colonisation juive de la Palestine nous parait pertinente.

Gandhi montre, à la veille de la seconde guerre mondiale, avec une clairvoyance particulière, que la solution à la question juive ne réside nullement dans l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. 

La raison essentielle, c’est que la Palestine est arabe et que toute implantation collective juive dans ce pays est un « crime contre l’humanité », une spoliation éhontée des palestiniens, une injustice inqualifiable. 

Une injustice que rien ne pourrait justifier, ni la répression antisémite dans l’Allemagne nazie, ni le mépris anti-juif généralement affiché en Occident, encore moins le recours à une interprétation abusive et infondée des textes sacrés sur la Palestine biblique. 

Bien qu’adepte de la non-violence, Gandhi estime que si les palestiniens choisissaient la voie de la résistance armée, la chose serait dans ce cas tout à fait compréhensible.

La solution à cette question juive se trouve dans le combat pour un traitement plus égalitaire des juifs dans leurs pays respectifs d’Occident et dans une posture de résistance non-violente et déterminée des juifs eux-mêmes face à l’ennemi nazi.


 

 

J’ai reçu plusieurs lettres dans lesquelles on me demande d’exposer mes vues sur la question arabo-juive en Palestine et la persécution anti-juive en Allemagne. Ce n’est pas sans quelque hésitation que je me risque à offrir mes opinions sur cette question très délicate.

Toute ma sympathie est acquise aux Juifs. J’ai connu certains d’entre eux, d’une manière très intime, en Afrique du Sud, et certains d’entre eux sont devenus des amis pour la vie. Grâce à ces amis, j’ai pu mieux connaître la persécution à laquelle ils ont été soumis depuis la lointaine histoire.

Ils ont été, en quelque sorte, les intouchables de la Chrétienté. La similarité entre le traitement que les Chrétiens leur ont infligé et celui que les Hindous infligent aux Intouchables est frappante. Un jugement de nature religieuse a été invoqué dans les deux cas pour justifier les traitements inhumains qui ont été infligés aux uns comme aux autres. A part les amitiés qu’il m’a été donné de nouer avec certains d’entre eux, ma sympathie pour les Juifs ressortit donc à des raisons de caractère universel.

Mais ma sympathie ne me rend pas sourd aux exigences de la justice. L’appel à un foyer national pour les Juifs ne me séduit guère. La légitimité en est recherchée dans la Bible et dans la ténacité dont les Juifs ont depuis tout temps fait preuve dans la formulation de leur attachement à un retour en Palestine. Pourquoi ne pourraient-ils pas, comme les autres peuples sur Terre, faire de cette contrée leur pays où naître et où gagner sa vie ?

La Palestine appartient aux Arabes de la manière dont l’Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français. Il serait injuste et inhumain d’imposer (une domination par) les Juifs aux Arabes. Ce qui se passe en Palestine, de nos jours, ne saurait être justifié au nom d’un quelconque code moral de conduite. Les mandats n’ont pas d’autre justification que la dernière guerre mondiale [la Première, NdT]. Ce serait à n’en pas douter un crime contre l’humanité de contraindre ces Arabes si justement fiers à ce que la Palestine soit restituée aux Juifs en tant que leur foyer national, que ce soit partiellement, ou en totalité.

Une alternative bien plus noble serait d’insister sur un traitement équitable des Juifs où qu’ils soient nés et où qu’ils aient été élevés. Les Juifs nés en France sont Français dans l’exact sens où les Chrétiens nés en France le sont. Si les Juifs n’ont pas d’autre foyer national que la Palestine, vont-ils accepter l’idée de devoir être contraints à quitter les autres parties du monde où ils sont installés ? Ou bien voudront-ils une double patrie, où ils puissent demeurer selon leur bon plaisir ?

La revendication d’un foyer national pour les Juifs ne fait qu’offrir sur un plateau une justification présentable à l’Allemagne qui expulse ses Juifs. Mais la persécution allemande des Juifs semble ne pas avoir de parallèle dans l’histoire. Les tyrans de jadis n’étaient jamais allés aussi loin dans leur folie que semble l’avoir fait Adolf Hitler. Et il continue à le faire avec un zèle religieux. N’est-il pas, en effet, en train de prôner une nouvelle religion faite d’un nationalisme militant et exclusif, au nom duquel toute inhumanité devient un acte d’humanité devant être récompensé, ici et maintenant.

Le crime d’un jeune leader certes intrépide, mais non moins complètement dément, est en train d’être imposé à l’ensemble de son ethnie avec une férocité absolument incroyable. Si jamais une guerre pouvait être justifiée, au nom de l’humanité, et pour elle, une guerre contre l’Allemagne, destinée à prévenir la persécution délibérée d’une race humaine toute entière serait totalement justifiée. Mais je ne crois en aucune guerre. Discuter le pour et le contre d’une telle guerre est, par conséquent, complètement hors de propos pour moi.

Mais s’il ne peut être question d’une guerre contre l’Allemagne, même avec l’énormité du crime commis contre les Juifs, il ne saurait être question, non plus, d’une alliance avec ce pays. Comment une alliance pourrait-elle être conclue entre une nation qui revendique la défense de la justice et de la démocratie et une nation qui est l’ennemi déclaré de l’une comme de l’autre ? Ou bien, alors, peut-être l’Angleterre est-elle en train de glisser vers une dictature armée avec tout ce que cela comporte ?

L’Allemagne est en train de démontrer au monde entier comment la violence peut être utilisée efficacement lorsqu’elle n’est entravée par aucune hypocrisie ni aucune faiblesse se faisant passer pour de l’humanisme. Elle montre aussi à quel point sa violence est hideuse et terrible dans son horrible nudité.

Les Juifs peuvent-ils résister à cette persécution planifiée et éhontée ? Ont-ils un moyen de préserver leur dignité, et de ne pas tomber dans le désespoir et l’abandon d’eux-mêmes ? Je fais le pari que c’est possible. Nul être humain croyant en un Dieu vivant ne doit se sentir impuissant ou abandonné. Jéhovah, le Dieu des Juifs, est un Dieu plus personnel que celui des Chrétiens, des Musulmans ou des Hindous, bien qu’il s’agisse, en fait, par essence, du Dieu commun à tous ces croyants, c’est leur Dieu unique, sans associé et échappant à toute description.

Mais comme les Juifs attribuent à Dieu une personnalité et croient qu’Il commande chacun de leurs actes, ils ne devraient pas se sentir impuissants. Si j’étais juif et né en Allemagne, si j’y gagnais ma vie, je proclamerais que l’Allemagne est mon pays, autant qu’elle peut être le pays de l’ aryen gentil le plus baraqué, et je le défierais de me tuer ou de m’enfermer dans sa forteresse ; je refuserais d’être expulsé ou soumis à un traitement discriminatoire. Et pour ce faire, je n’attendrais pas que mes coreligionnaires juifs viennent me rejoindre dans la résistance civile, mais j’aurais la certitude qu’à la fin du compte les autres seraient amenés à suivre mon exemple…

… Et maintenant, un mot aux Juifs de Palestine. Je suis absolument persuadé qu’ils se fourvoient. La Palestine biblique ne correspond à aucun territoire géographique. Elle est dans leurs coeurs. Mais s’ils doivent absolument considérer la Palestine de la géographie comme leur foyer national, c’est un péché inexpiable d’y pénétrer à l’ombre du canon britannique. Un acte de nature religieuse ne saurait être posé avec l’assistance des baïonnettes et des bombes. Ils ne peuvent s’installer en Palestine qu’en respect de la bonne volonté des Arabes. Ils devraient s’efforcer de se gagner le coeur des Arabes.

C’est le même Dieu qui commande aux coeurs des Arabes et à ceux des Juifs… Ils trouveront le monde à leurs côtés dans leur aspiration religieuse. Il y a des centaines de manières de s’entendre avec les Arabes, pour peu qu’ils écartent résolument l’aide que leur apporte la baïonnette britannique. Telles que les choses se déroulent actuellement, ils sont co-responsables avec les Britanniques de la spoliation d’un peuple qui ne leur a jamais porté un quelconque tort.

Je ne défends pas les excès des Arabes. J’eusse aimé qu’ils eussent adopté la non-violence dans leur résistance à ce qu’ils considèrent à juste titre comme une agression inqualifiable contre leur pays. Mais si l’on se réfère aux lois généralement admises du bien et du mal, rien ne peut être dit contre la résistance des Arabes à une injustice massive.

Laissons les Juifs qui prétendent être le peuple élu en apporter la preuve par choix qu’ils feront de la non-violence afin de revendiquer une place sur cette terre. Tout pays est le leur, Palestine y comprise, non pas en conséquence d’une agression, mais en vertu d’un service altruiste envers leur prochain. Un ami juif m’a envoyé un livre intitulé « La contribution juive à la civilisation », écrit par un Cecil Roth. Ce livre énumère tout ce que les Juifs ont apporté à la littérature, aux arts, à la musique, au théâtre, à la science, à la médecine, à l’agriculture etc… de part le monde. Avec un tel héritage, les Juifs sont fondés à refuser d’être traités comme les déchets de l’Occident, d’être méprisés ou traités avec condescendance. Ils peuvent obtenir le respect et l’attention du monde en se montrant dignes d’avoir été choisis par Dieu, au lieu de tomber dans la déchéance des brutes oubliées de Dieu. Ils peuvent ajouter à leurs contributions, innombrables et inestimables, (à l’Humanité) celle, suprême, de l’action non-violente.

Mahatma Gandhi

Extrait de « Ma Non-Violence  » par le Mahatma Gandhi, édité par Sailesh Kumar Bandopadhaya – Ahmedabad : Navajivan Publishing House – 1960]

Traduit de l’anglais par M. Charbonnier, membre de Tlaxcala, réseau de traducteurs pour la diversité liguistique.




Démocratie et ethnicité en Israël

le 15/11/2006 19:30:00 (759 lectures)

Article d’Alain Dieckoff paru à l’automne 1999 dans la revue Sociologie et Société vol XXXI, n°2. L’auteur est directeur
de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CNRS) et il est un spécialiste reconnu du système politique israélien.

Nos conceptions diffèrent de celles de Dieckoff dans la mesure où il n’appréhende pas d’emblée la situation des palestiniens comme une réalité coloniale et part de la notion de démocratie pour étudier le système politique israélien.

Cependant nous avons tenu à publier cet article car Dieckoff a le mérite de pousser à fond la réflexion dans le cadre de sa démarche pour étudier les limites consubstantielles de la « démocratie » israélienne.

L’idée démontrée par Dieckhoff de manière rigoureuse dans cet article, en s’appuyant sur un large éventail de dispositifs juridiques et de faits historiques, est que le caractère démocratique d’Israël est contrebalancé par la nature ethnique de cet Etat.

Si la nation israélienne peut se prévaloir de reposer sur des élections démocratiques, si elle peut prétendre avoir fait avancer l’égalité juridique en matière de droits civils, politiques et sociaux, en revanche, demeurent ancrés au cœur de l’Etat une discrimination institutionnalisée autorisant la suprématie juive ainsi qu’un traitement différentiel des juifs et des arabes dans l’application des lois.

Les lois d’expropriation terrienne corrélées à une stratégie de transfert des palestiniens et à une politique autoritaire vis-à-vis des non expulsés, l’accès différentiel à la citoyenneté pour les juifs (automatique) et pour les arabes (conditionnel), l’absence de ces derniers dans les instances de pouvoir de l’Etat, la discrimination dans l’accès à l’emploi, dans le bénéfice des droits sociaux, tout cela prouve clairement l’essence juive de l’Etat d’Israël, son caractère ethno-national et les contradictions inhérentes à la démocratie israélienne.

SOMMAIRE

1. Les arabes en Israël : citoyens et/ou étrangers ?
2. Les contradictions entre démocratie et ethnicité
3. Avancées démocratiques, permanence de l’ethnicité
Bibliographie


Au nombre des succès que les dirigeants israéliens portent volontiers à leur crédit figurent, en bonne place, le fait d’avoir établi au Proche-Orient la seule véritable démocratie qui ait fonctionné de façon ininterrompue depuis un demi-siècle. Ce sentiment, non dénué d’autosatisfaction, repose certainement sur d’incontestables réalités, et les spécialistes de la démocratie n’ont jamais manqué de ranger Israël parmi les pays démocratiques (Dahl, 1971, p.246 ; Lijphart, 1984, p. 34-45). Que la démocratie israélienne soit vigoureuse, la convocation en mai 1999, pour la quinzième fois depuis 1948, du corps électoral pour choisir 120 députés parmi une trentaine de listes suffit à le prouver. Parallèlement, et pour la seconde fois depuis 1996, les 4,285 millions d’électeurs étaient appelés à élire directement leur Premier ministre. Ces choix ont été effectués à l’issue d’une campagne électorale rythmée par d’intenses débats publics, relayés par une presse libre, sous le contrôle vigilant d’une Cour suprême particulièrement attentive depuis deux décennies au respect des libertés publiques. Le bilan apparaît comme d’autant plus flatteur si l’on tient compte de la situation géopolitique d’Israël dans la région. En effet, cette démocratie a fonctionné bien que le pays ait été entouré pendant des décennies par des États autoritaires avec lesquels il était engagé dans une confrontation totale pendant trente ans (jusqu’en 1979, date de la paix avec l’Égypte). Pourtant, peut-on s’arrêter à ce constat d’une compétition électorale ouverte pour considérer qu’en Israël la citoyenneté constitue à la fois un concept et une pratique « allant de soi »? Quelle place cette appartenance citoyenne a-t-elle dans l’ordonnancement politique d’un État qui se définit officiellement comme « État juif en Terre d’Israël »? Comment cette citoyenneté fonctionne-t-elle dans un État qui comporte une minorité arabe regroupant près du cinquième de la population?

1. LES ARABES EN ISRAËL : CITOYENS ET/OU ÉTRANGERS ?

route-apartheid240613La Loi sur la citoyenneté (souvent traduite de façon erronée comme « loi sur la nationalité ») n’a été adoptée qu’en 1952, quatre ans après la proclamation de l’indépendance de l’État. Elle entra en vigueur alors que deux scrutins législatifs avaient déjà eu lieu (en 1949 et 1951). Le corps politique s’était donc trouvé mobilisé à deux reprises sans que la définition légale du citoyen ait été spécifiée. Ce délai est sans doute largement imputable au fait que les dirigeants israéliens devaient affronter des problèmes autrement prioritaires que la définition du lien citoyen. Après avoir assuré l’indépendance de leur pays à la suite d’une guerre longue et meurtrière, ils durent, dans l’urgence, accueillir une masse impressionnante d’immigrants : entre 1948 et 1951 près de 700 000 Juifs s’installèrent en Israël, ce qui entraîna un doublement de la population et souleva quantité de problèmes d’intégration. Pourtant, il serait certainement erroné de considérer que la promulgation de la Loi sur la citoyenneté en 1952 était uniquement due à l’existence de priorités nationales impérieuses (renforcement de la sécurité de l’État, absorption des immigrants). Il reflétait également les propres incertitudes des dirigeants israéliens quant au contenu qu’il convenait de donner à la citoyenneté dans le nouvel État. Obnubilés, sous le mandat britannique, par leur projet de construction nationale, les leaders sionistes n’avaient guère accordé d’intérêt à cette question dans l’entre-deux-guerres. Pour eux, seule comptait l’édification d’un État juif, non le type de communauté politique qu’il devait organiser. La question ne commença à prendre un tour concret qu’après le vote en novembre 1947 du partage de la Palestine en deux États, l’un juif, l’autre arabe. Les dirigeants juifs qui accueillirent cette résolution avec enthousiasme s’engagèrent à respecter pleinement les droits civils et politiques des 405 000 Arabes qui auraient dû cotoyer les 558 000 Juifs à l’intérieur des frontières de l’État juif telles qu’elles avaient été dessinées par l’ONU. Comment cet État juif, de facto binational, aurait-il mis en oeuvre le droit à l’autodétermination du peuple juif tout en ménageant scrupuleusement les droits de citoyens arabes presque aussi nombreux que la courte majorité juive? Nous n’en saurons rien puisque le déclenchement des hostilités militaires conduisit à un bouleversement démographique majeur avec l’exode de plus de 750 000 Palestiniens arabes de la Palestine mandataire. Du coup, l’État d’Israël se retrouvait, après la signature des accords d’armistice en 1949, dans des frontières élargies, avec une population arabe désormais réduite à 160 000 âmes. Le premier président de l’État d’Israël, Chaïm Weizmann avait déclaré que « le monde jugerait l’État juif à la façon dont il traiterait les Arabes » (Rose, 1986, p.433). Nous pourrions ajouter qu’à travers l’examen des politiques menées par le pouvoir israélien envers la minorité arabe, il est possible de tirer d’utiles renseignements quant au contenu effectif de la citoyenneté, et de façon plus large, quant à la nature même de l’État d’Israël.

Les signataires de la déclaration d’indépendance ont proclamé avec force leur adhésion à une citoyenneté à fondement universaliste puisqu’on y lit : « l’État d’Israël assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe[…] nous demandons aux habitants arabes de l’État d’Israël de préserver la paix et de prendre leur part dans l’édification de l’État sur la base d’une égalité complète de droits et de devoirs et d’une juste représentation dans tous les organismes provisoires et permanents de l’État ». Voilà pour les principes. En réalité, les choses se passèrent de façon quelque peu différente.

Entre 1949 et 1952, date de l’adoption de La loi sur la citoyenneté, les débats furent vifs au sein du parti dominant au pouvoir, le Mapai (parti des travailleurs d’Eretz Israël), quant au sort qu’il convenait de réserver aux résidents arabes présents sur le territoire israélien. Deux courants nationalistes s’y affrontaient : les modérés et les intransigeants (Kafkafi, 1998). Si les deux « écoles » partageaient la même adhésion idéologique au sionisme et à ses objectifs (rassemblement des Juifs de diaspora en Israël, développement de la présence juive sur le terrain…), elles divergeaient quant à l’évaluation des conditions favorables à la réalisation du sionisme. Pour les premiers — représentés par le ministre des Affaires étrangères, Moshé Sharett, ou le secrétaire général du syndicat Histadrout, Pinhas Lavon –, il était dans l’intérêt d’Israël d’adopter une ligne politique conciliante tant vis-à-vis des États arabes voisins que des Arabes demeurant sur le territoire israélien. A l’inverse, les seconds — représentés par une pléiade « d’experts en affaires arabes » (Yehoshua Palmon, Uri Lubrani, etc.) et par des responsables de l’armée ayant l’oreille du Premier ministre, David Ben Gourion — penchaient pour une ligne dure, seule susceptible à leurs yeux d’imposer Israël comme fait politique incontournable dans la région. Le courant activiste donna, incontestablement, le la. À l’évidence, nombre d’Arabes qui se trouvaient désormais sous juridiction israélienne étaient hostiles au sionisme et avaient combattu, les armes à la main, le projet de création d’un État juif. En même temps, cette minorité arabe constituée d’une population largement rurale, privée d’élites (car elles avaient pour la plupart gagné les pays arabes voisins) se résigna assez vite à son nouveau statut et admit que son destin se jouait désormais à l’intérieur de l’État d’Israël. Pourtant, les Arabes furent considérés collectivement, dans une logique étroitement sécuritaire, comme une cinquième colonne. Traités en ennemis, et non comme de futurs concitoyens, ils furent soumis à toute une série de mesures coercitives. La plus violente fut l’expulsion par la force, après la fin de la guerre et jusqu’en 1951, de 20 à 30 000 Arabes habitant les zones frontalières vers la Syrie, la Jordanie ou la bande de Gaza. Ce nettoyage des frontières était officiellement motivé par des raisons de sécurité (éviter que les villages arabes ne deviennent des points d’appui éventuels en cas d’offensive arabe) mais la perspective de réduire le nombre d’Arabes au sein de l’État d’Israël était présente dans l’esprit de nombreux décideurs (Morris, 1987). Il ne pouvait d’ailleurs en être guère autrement puisque des responsables de haut rang tant civils (Ben Gourion) que militaires (Moshé Dayan) avaient prôné le transfert, si possible volontaire, mais éventuellement forcé, des Arabes hors des frontières de l’État (Morris, 1998). L’écho que rencontra cette idée du transfert dans le courant activiste est, nous semble-t-il, le reflet de l’aporie majeure du sionisme : son extrême difficulté à prendre en compte l’existence de l’Autre (arabe) qui préexistait à son projet de reconstruction nationale. Comme projet politique, le sionisme n’a guère laissé de place à l’altérité, il n’a su ni penser, ni intégrer dans sa pratique la différence ethno-nationale. Dans ce contexte, la tentation de se débarrasser de cet Autre en le transférant ailleurs ne pouvait qu’être forte. En déclarant « je ne suis pas disposé à accepter même un Arabe supplémentaire [car] je veux qu’Israël soit totalement juif » (Scheffer, 1996, p.484), le député Eliahu Carmeli ne faisait qu’exprimer en 1949, de façon extrême, l’impossibilité d’aménager une place à l’Autre. Ce fait découle logiquement d’une perception réductrice de l’État d’Israël comme grande communauté juive, et non comme un État coiffant une société où résident des Juifs (mais pas nécessairement qu’eux). Or, alors que les communautés juives de diaspora fonctionnent, dans un contexte minoritaire, comme des structures volontaires ne rassemblant, par définition, que des Juifs, l’État est une institution rationnelle fonctionnant sur une base territoriale et qui a juridiction sur l’ensemble de la population quelles que soient ses origines ethniques, religieuses… À l’évidence, les implications de ce passage de l’autonomie des communautés à la souveraineté étatique échappaient à certains dirigeants du jeune État, et non des moindres. Ben Gourion avouait ainsi qu’il ne voyait rien de moralement, ni de politiquement répréhensible à envisager le transfert de la minorité arabe puisque les « droits de l’État avaient préséance sur ceux des individus » comme la Hongrie et la Roumanie l’avaient montré en expulsant certains de leurs citoyens (Kafkafi, 1998, p. 353). La référence à deux pays d’Europe orientale qui étaient loin d’être des parangons de démocratie est hautement significative. Elle atteste que nombre de dirigeants sionistes qui venaient précisément de la zone russo-polonaise avaient une familiarité, d’ailleurs douloureuse, avec des États autoritaires, fondés sur un nationalisme ethnique souvent exclusiviste (Sternhell, 1996). De ce fait, ils étaient plus accoutumés aux logiques d’exclusion — dont les Juifs étaient d’ailleurs fréquemment les victimes toutes désignées — qu’aux pratiques d’inclusion, en particulier par le biais d’une citoyenneté de nature universaliste.

Si le recours à l’éviction pure et simple des Arabes hors du territoire israélien fut limité, comme nous l’avons dit, aux zones frontalières durant la période de fondation de l’État, deux autres méthodes furent employées, à l’instigation du cercle des activistes nationalistes, envers l’ensemble de la population arabe : l’imposition d’un gouvernement militaire et l’expropriation des terres (Dieckhoff, 1993). L’administration militaire fut imposée aux Arabes en octobre 1948 « pour raison de sécurité ». Elle instaurait un système de contrôle général qui limitait strictement l’exercice des libertés publiques de tous les Arabes, et non pas seulement de ceux soupçonnés d’activités hostiles. Restrictions sévères des déplacements, assignations à résidence, détentions administratives — soumises à un contrôle judiciaire minimal –, censure de la presse arabe furent fréquentes durant cette période tandis que la liberté d’association politique était soumise à d’innombrables contraintes. Les possibilités d’expression politique des Arabes étaient d’ailleurs d’autant plus limitées qu’à l’exception d’une petite formation de gauche (Mapam), les partis sionistes, y compris le Parti travailliste de Ben Gourion, étaient tout simplement fermés aux adhérents arabes. Pas étonnant dans ces conditions que beaucoup d’Arabes se soient reconnus dans le Parti communiste, seule formation ouvertement binationale, qui prônait la transformation de l’État d’Israël en une collectivité de citoyens (Greilsammer, 1978).

Si certaines mesures appliquées à la population arabe répondaient à de réels impératifs de sécurité comme la prévention de l’espionnage, la lutte contre le terrorisme, etc, leur application généralisée sur une longue période (le gouvernement militaire ne fut définitivement supprimé qu’en 1966), en faisaient autant d’éléments d’un véritable système de mise en subordination (Lustick,1980).

Dans le domaine foncier, les Arabes d’Israël furent soumis dès 1948 à toute une kyrielle de lois qui conduisirent à un transfert massif de la propriété (Kretzmer, 1990, p. 49-76). En tant qu’État successeur, Israël prit possession de toutes les terres publiques et de celles considérées comme sans maître, mais un tiers des terres restaient légalement la propriété privée d’Arabes. Une législation appropriée y mit rapidement un terme : non seulement toutes les terres et immeubles des Palestiniens réfugiés dans les pays arabes voisins furent progressivement transférés à l’État, mais il en alla de même pour la moitié des terres appartenant à des Arabes israéliens qui furent considérés, pour la moitié d’entre eux, comme « présents-absents »[1] en vertu de la Loi sur les absents de 1950. Cette fiction juridique proprement orwéllienne signifiait que bien que présents physiquement sur le territoire israélien ces Arabes étaient considérés comme « des propriétaires absents » parce qu’ils s’étaient trouvés à un moment ou à un autre, après le 29 novembre 1947 (date de la résolution de l’ONU sur le partage de la Palestine mandataire), dans une zone contrôlée par des forces hostiles à Israël. Cette législation d’exception en vigueur jusqu’à la fin des années 1950 conduisit à la réduction drastique de la propriété arabe qui ne couvre plus aujourd’hui que 3,5 % de la surface du pays tandis que l’État en contrôle désormais fermement 93 % (le reste appartient à des particuliers juifs). Dans le domaine foncier, il est clair que les Arabes d’Israël n’ont guère été mieux traités que leurs frères réfugiés au Liban ou en Syrie et leur citoyenneté ne leur fut, en l’occurence, d’aucun secours. L’État les considéra d’abord, non comme des citoyens israéliens dont il fallait avant tout respecter les droits, mais comme des Arabes palestiniens, membres d’un groupe ethno-national qu’il convenait de transformer en minorité dominée.

L’octroi de la citoyenneté aux Arabes demeurés sur le territoire israélien n’alla d’ailleurs pas sans mal. Ben Gourion, fidèle à son inflexibilité coutumière, était partisan de restreindre au maximum l’accès à la citoyenneté des Arabes qu’il soupçonnait de déloyauté générale envers l’État. Le projet de loi initial mentionnait des conditions très restrictives qui auraient exclu deux tiers des Arabes du droit d’obtenir automatiquement la citoyenneté israélienne et en auraient fait des étrangers permanents…dans le pays qui les avait vu naître. Sur ce dossier, le courant nationaliste modéré finit par l’emporter, et la loi de 1952 accorda la citoyenneté quasi-automatique aux Arabes d’Israël. Ce succès, non négligeable, doit être mis à l’actif des « libéraux », et en premier lieu de Moshé Sharett. Toutefois, ces derniers n’obtinrent ni l’abolition immédiate du gouvernement militaire, ni la restitution des propriétés aux personnes déplacées (« présents-absents »). À quoi attribuer ces échecs? Sans doute à l’opposition tenace de l’appareil militaire et de l’homme fort du pays, Ben Gourion, à toute « faiblesse » excessive envers les Arabes d’Israël. Plus profondément, l’insuccès des modérés était lié à leurs propres amiguïtés. Leur opposition se situait en effet à l’intérieur du consensus sioniste. Ils adhéraient totalement à l’idée de créer un État juif et, pour en consolider l’assise, ils n’étaient pas hostiles à certaines mesures qui furent adoptées dans l’immédiat après-guerre, comme le refus du rapatriement des réfugiés palestiniens ou la destruction des villages abandonnés afin d’empêcher leur retour. Leur divergence avec les tenants de la ligne activiste venait de leur volonté de favoriser au maximum l’intégration socio-politique des Arabes présents sur le territoire israélien (d’où leur souhait de supprimer le gouvernement militaire ou leur désir de voir les Arabes admis comme membres du syndicat Histadrout — ce sera chose faite en 1965). Cette aspiration à hâter l’insertion des Arabes dans la société israélienne n’était toutefois pas uniquement contrariée par l’intransigeance de Ben Gourion et de ses alliés, elle était aussi entravée par la nature bicéphale de l’État comme État juif et démocratique.

2. LES CONTRADICTIONS ENTRE DÉMOCRATIE ET ETHNICITÉ

téléchargement (18)La loi de 1952 qui fixe les conditions d’octroi de la citoyenneté israélienne établit une distinction majeure entre l’acquisition
de la citoyenneté par les Juifs et par les non-Juifs, essentiellement les Arabes (Klein, 1977). Les premiers bénéficient d’un droit automatique à la citoyenneté qui découle directement de La loi du retour de 1950 qui acccorde à tout Juif le droit d’immigrer en Israël. L’acquisition de la citoyenneté est dans ce cas inconditionnel, l’État ne pouvant s’y opposer que dans des cas très limités, lorsque le droit au retour — c’est-à-dire la liberté d’immigration absolue réservée aux Juifs — ne s’applique pas (danger pour la santé et la sécurité publiques, passé criminel). Cet automatisme dans l’attribution de la citoyenneté est la manifestation la plus éclatante du caractère juif de l’État d’Israël. Quant aux Arabes, ils ont obtenu la citoyenneté sur un fondement juridique différent : celui de leur résidence sur le territoire israélien. L’octroi de la citoyenneté était soumis à des conditions restrictives puisqu’on exigeait une présence ininterrompue sur le territoire devenu israélien, entre le 14 mai 1948 et l’entrée en vigueur de la loi. Ne pouvaient donc obtenir la citoyenneté israélienne ni les centaines de milliers de réfugiés palestiniens qui avaient fui dans les pays arabes voisins (mais qui bénéficiaient de la citoyenneté palestinienne sous le mandat britannique), ni plusieurs milliers d’Arabes qui s’étaient réfugiés provisoirement dans des pays limitrophes avant de revenir dans ce qui était devenu Israël [2]. Contrairement aux Juifs, les Arabes ont donc bénéficié, à l’origine, d’un droit conditionnel à la citoyenneté. Ces voies différentes dans l’attribution de la citoyenneté laissent d’emblée entrevoir que derrière la citoyenneté de nature universaliste une dynamique différente, de nature particulariste, est subrepticement à l’oeuvre : elle est d’ordre ethno-nationale[3]. L’ethnicité, entendue ici comme la reconnaissance d’identités collectives fondées sur une parenté commune (réelle ou imaginaire), une mémoire historique partagée et des référents culturels similaires, fait l’objet d’une véritable institutionnalisation de la part de l’État qui est obligé de recourir à une catégorisation ethnique afin de pouvoir opérer une distinction entre Juifs et non-Juifs, indispensable à leur gestion différenciée. Ce processus d’identification s’opère par le biais de la catégorie « leom » (nationalité, au sens d’affiliation ethnique) qui figure sur les registres d’état-civil et les cartes d’identité. Il n’y a donc pas, en Israël, de pure citoyenneté « abstraite » puisque chaque individu est tenu d’avoir parallèlement une nationalité. La population israélienne est ainsi répartie en trois nationalités principales : juive (80 %), arabe (17 %) et druze (groupe hétérodoxe de l’Islam, 1,5 %). Trois points méritent d’être précisés en ce qui concerne la catégorisation ethnique de la population. D’une part, cette ethnicité, prescrite et administrée par l’État, se veut « objective » c’est-à-dire que le choix de l’identité ethno-nationale n’est pas libre. Ainsi n’est reconnu comme juif par l’État que celui qui est né de mère juive ou qui s’est converti au judaïsme et n’appartient pas à une autre religion (Catane, 1972) [4]. Cette définition de la judéité correspond presque entièrement à la formulation de la loi religieuse, ce qui marque une réelle congruence entre ethnicité et appartenance religieuse. Par ailleurs, un individu juif ne saurait réclamer une autre identité ethnique que celle de Juif. Dans un arrêt célèbre de 1972, la Cour Suprême décida qu’un Juif ne pouvait se prévaloir de l’appartenance à un groupe ethnique israélien car une telle identité n’existe pas d’un point de vue légal (Klein, 1977). En second lieu, la logique du « leom » est bien de nature ethnique et non religieuse, et en cela elle ne saurait être ramenée à une simple actualisation du système du millet. Ce dernier avait fonctionné dans l’Empire ottoman et accordait une très large autonomie interne à trois minorités non-musulmanes (Grecs orthodoxes, Arméniens, Juifs). Le principe de tolérance ainsi mis en oeuvre reposait sur la reconnaissance de communautés religieuses qui obtenaient entre autres le monopole sur le statut personnel (en particulier le droit matrimonial). Dans l’ensemble du Moyen-Orient, en Israël comme ailleurs, la gestion de ce statut personnel continue de reposer sur les communautés religieuses — ce qui explique qu’il n’y ait pas de mariage civil. Toutefois, la classification en terme de « leom » n’est pas de même nature. Sans doute, l’adoption du critère religieux pour définir l’identité ethno-nationale juive entretient les confusions mais le fait que l’État ait retenu la catégorie « arabe » (regroupant les confessions musulmane et chrétienne) et créé celle de « druze » (alors que l’appartenance druze avait toujours été subsumée sous celle, générique, d’Arabe) montre bel et bien que la taxinomie retenue est fondée sur l’ethnicité. Enfin, troisième point : autant l’ethnicité est ouvertement revendiquée pour permettre d’isoler, dans l’ensemble des citoyens, les Juifs des autres groupes (Arabes, Druzes), autant elle est explicitement récusée par l’État dès lors qu’il s’agit d’introduire des distinctions à l’intérieur du groupe juif. Le postulat central du sionisme étant l’unité du peuple juif à travers le monde, l’État rejette comme non pertinents les clivages ethno-culturels au sein de la population juive (Ashkénazes/Sépharades ; Marocains/ Russes etc.). Bien que réfutée idéologiquement et dépourvue de portée légale, cette ethnicité intra-juive n’en produit pas moins de puissants effets sociaux comme l’atteste le succès croissant de partis ethniques juifs comme le Shas chez les Sépharades et Israël ba-Aliyah chez les « Russes » (Smooha, 1999).

Si l’assignation d’identité ethnique revêt une pareille importance, c’est parce qu’elle confère des droits non négligeables. Outre l’obtention automatique de la citoyenneté, le nouvel immigrant en vertu de la Loi du retour[5] bénéficie lors des premières années de son installation de larges exemptions fiscales et d’emprunts à taux préférentiel. Une partie de ces aides est versée, non par l’État, mais par l’Agence juive, organe dépendant d’une institution internationale, l’Organisation sioniste mondiale, dont la vocation est de faciliter l’immigration des Juifs de diaspora. De façon significative, l’Agence juive est désignée, avec deux autres organisations internationales (le Keren Hayessod qui collecte les fonds dans la diaspora juive et le Fonds national juif chargé de l’achat des terres), comme « institution nationale », cette expression désignant une institution ayant vocation à servir les seuls intérêts des Juifs en Israël. L’Agence juive ne se contente pas de fournir des aides multiformes aux nouveaux immigrants. Elle crée des villages pour les Juifs, paye le raccordement aux réseaux électrique et de l’eau, encourage le développement de l’agriculture et de l’industrie. Si on peut considérer comme normal que l’Agence juive, dont les fonds proviennent des contributions volontaires des Juifs de diaspora, s’emploie à améliorer le sort des seuls Juifs, il est clair toutefois que cette intervention unilatérale, effectuée dans le cadre d’une convention avec de l’État, accroît les disparités avec les 850 000 citoyens arabes. De plus, par l’entremise de ces institutions nationales — organisations volontaires financées par la diaspora –, l’État bénéficie d’un moyen idéal de privilégier les Juifs tout en ne violant pas officiellement l’égalité entre les citoyens puisqu’il n’intervient pas directement. Ainsi en est-il avec le Fonds national juif qui gère 19 % des terres en Israël, en particulier, fait significatif, les « terres abandonnées » — appartenant aux Arabes ayant fui la Palestine ou déclarés « absents ». Ces terres sont régies par un rigoureux principe d’incessibilité : non seulement ces terres, « propriété perpétuelle du peuple juif » ne sauraient être vendues à un particulier, mais elles ne peuvent même pas être louées à un non-Juif, fût-il citoyen de l’État d’Israël (Dieckhoff, 1995).

Le fonctionnement des « institutions nationales » donne une bonne indication de la façon dont s’opère une discrimination insidieuse. Rarement explicite, la discrimination structurelle dont sont victimes les Arabes est la plupart du temps indirecte et voilée (Kretzmer, 1990). Ainsi, jusqu’en 1997, les familles juives percevaient des allocations familiales proportionnellement plus élevées par enfant que les familles arabes. Le critère choisi n’était pas explicitement ethnique, il était simplement précisé que les « familles de soldats » obtenaient des compléments d’allocations. Or, étant donné que les Arabes ne sont pas appelés sous les drapeaux, ils se voyaient ipso facto exclus du bénéfice de ces aides. Sans doute, la logique ethnique n’est pas totale : les Druzes et les Circassiens, les deux seules communautés non-juives à devoir envoyer leurs enfants à l’armée, ainsi que les volontaires bédouins, obtenaient aussi ces allocations supplémentaires. Mais le référent ethnique est bien sous-jacent. La preuve en est fournie par le sort réservé aux Juifs ultra-orthodoxes. N’effectuant pas leur service militaire, ils auraient dû théoriquement être privés de cette manne. En fait, ils la reçurent. D’abord, parce qu’ils furent traités de facto par l’État comme d’anciens conscrits puis, par la suite, parce que les étudiants des institutions religieuses obtinrent les mêmes avantages que les anciens militaires.

Cette discrimination dissimulée se retrouve dans les pratiques d’aménagement du territoire, de distribution des aides
publiques. Les zones défavorisées auxquelles l’État verse des subventions spécifiques pour encourager le développement économique ont ainsi été dessinées de telle sorte qu’elles n’incluent aucun village arabe. Quant aux fonds gouvernementaux alloués aux municipalités, ils sont proportionnellement plus importants pour les villes juives que pour leurs homologues arabes. Même les quotas d’eau pour l’irrigation sont plus élevés pour les kibboutzim que pour les villages arabes voisins.

images (17)Ce florilège qui pourrait être rallongé montre que l’existence d’une citoyenneté partagée ne constitue pas une garantie quant au traitement égalitaire des citoyens. En cela, la « citoyenneté à l’israélienne » rompt clairement avec le principe majeur de la citoyenneté démocratique qui consiste à octroyer « un statut juridique conférant des droits et des obligations vis-à-vis de la collectivité politique » (Leca, 1983) aux citoyens sans tenir compte de leurs appartenances particulières. En l’occurence, la logique ethnique permet d’accorder, dans certains domaines, un traitement préférentiel au groupe majoritaire, « propriétaire » de l’État, et de contourner ainsi la logique citoyenne à fondement égalitaire. Ce favoritisme institutionnalisé ne doit pas être confondu avec les politiques d’affirmative action. Alors que ces dernières ont pour objectif de permettre à des groupes ethniques minoritaires et défavorisés d’accéder à une réelle égalité en leur octroyant des facilités diverses et en leur permettant de se prévaloir de droits spécifiques, les avantages dont bénéficient la majorité juive en Israël ont pour objectif de maintenir sa suprématie, non de la résorber.

En aménageant une place privilégiée au groupe ethno-national juif tout en octroyant la citoyenneté sur une base inclusive, Israël apparaît comme une démocratie d’un genre spécifique que Sammy Smooha a proposé d’appeler « démocratie ethnique » (Smooha, 1990). Cette qualification correspond bien à la nature duelle de l’État d’Israël où la souveraineté politique appartient à l’ensemble des citoyens (Juifs et Arabes) mais où l’État appartient, non à une nation israélienne — qui regrouperait tous les citoyens israéliens –, mais à la nation juive. Un tel alliage fait des démocraties ethniques des ensembles politiques traversés par des contradictions récurrentes entre égalité citoyenne formelle et prépondérance du groupe ethno-national associé à l’État [6]. En fait, si l’asymétrie entre la majorité et les minorités peut se réduire, la persistance du référent ethnique maintient une différenciation structurelle entre citoyens qui empêche la pleine égalité de se réaliser.

Ce constat se vérifie bien dans le cas israélien où l’égalisation juridique des conditions entre individus juifs et arabes a progressé au cours des dernières décennies sans pour autant que le système asymétrique n’ait été fondamentalement remis en cause dans sa structure profonde.

3. AVANCÉES DÉMOCRATIQUES, PERMANENCE DE L’ETHNICITÉ

Cette oscillation est repérable dans les trois champs de la citoyenneté isolés par T.H. Marshall (1977) en ce qui concerne la minorité arabe en Israël. Dans le domaine des droits civils, la tendance globale a été à une égalisation des conditions entre Juifs et Arabes depuis l’abolition définitive du gouvernement militaire en 1966. Les libertés publiques (de déplacement, d’expression, d’organisation etc.) sont respectées et garanties par les tribunaux. Les Arabes sont désormais membres à part entière du syndicat Histadrout dont le département arabe a été supprimé en 1992. À la même date, le poste de conseiller aux affaires arabes, rattaché au Premier ministre, qui fleurait un peu trop le paternalisme colonial, a été supprimé [7]. La pratique religieuse est libre, l’État versant même des salaires aux ministres des cultes et distribuant des fonds publics pour l’entretien des églises et mosquées. Les différentes communautés religieuses bénéficient d’une très large autonomie et d’une compétence de juridiction exclusive en matière de statut personnel (mariage, divorce). Remarquons que la reconnaissance de droits de nature communautaire est parfaitement en consonnance avec la nature sioniste de l’État : si l’État d’Israël est celui d’un groupe national particulier (celui des Juifs), il est naturel que les minorités ethno-nationales qui, par définition, ne pourront jamais s’y identifier totalement bénéficient de droits religieux et culturels collectifs qui leur permettront de préserver leur identité spécifique. Une différence notable subsiste néanmoins dans le maintien de l’ordre public : la répression policière a tendance à être plus vigoureuse lorsqu’il s’agit de mettre un terme aux manifestations dans le secteur arabe. Le 30 mars 1976, une protestation contre la confiscation des terres en Galilée s’acheva tragiquement par la mort de six Arabes lors d’échauffourées avec les forces de l’ordre. De telles extrémités ne se sont plus de mise aujourd’hui. Néanmoins, en tirant, fin septembre 1998, des balles en caoutchouc pour disperser une marche de protestation arabe, alors que ce type de projectile n’a jamais été utilisé à ma connaissance contre des manifestants juifs mais a été par contre abondamment employé contre les Palestiniens pendant l’Intifada, la police soulignait, fût-ce involontairement, que les Arabes n’étaient pas traités avec le même égard que leurs concitoyens juifs [8].

Dans le domaine de la citoyenneté politique, si le droit de vote a été accordé dès le départ aux Arabes, l’expression politique a été, elle, fortement bridée durant les deux premières décennies puisque, sous couvert d’impératifs de sécurité, des formations politiques ont été interdites tandis que des publications voyaient leur parution suspendue. Dans les années 1970, ces restrictions avaient disparu tandis que l’intégration politique des Arabes avait progressé : à compter de 1973 les citoyens arabes purent ainsi adhérer au Parti travailliste qui, jusqu’alors, n’accueillait que des Juifs. Une citoyenneté authentique ne se limite toutefois pas au droit de participer aux processus électifs et aux organisations politiques, elle passe aussi par des possibilités réelles de prendre part à l’exercice du pouvoir politique. Or, sur ce plan, il reste un chemin considérable à parcourir. Si, dans le cadre municipal, maires et conseillers sont nombreux dans les localités arabes, au niveau de l’État, la présence arabe est extrêmement modeste. Le constat amer du romancier David Grossman est sans appel : « il n’y jamais eu un ministre arabe dans le cabinet israélien […] en 1989, sur les 1 310 postes de hauts fonctionnaires au gouvernement et dans ses organismes associés, seulement 17 étaient occupés par des Arabes […] parmi les médecins employés par la caisse de maladie, 2 % étaient arabes » (Grossman, 1993, p. 140). Si des représentants de partis arabes siègent à la Knesset, ils ne furent inclus qu’une seule fois, entre 1992 et 1996, dans une majorité parlementaire, celle qui soutint le gouvernement Rabin. Ce fut d’ailleurs une raison suffisante pour que la droite nationaliste représentée par le Likoud dénonce sans relâche un gouvernement « privé de majorité juive » (puisque sa survie parlementaire dépendait de l’appui de cinq députés « arabes [9] »). La règle démocratique qui veut que tous les parlementaires soient des représentants égaux de la nation se trouve ici contestée par l’ethnicité et une distinction est, de fait, introduite entre la communauté politique légale (regroupant tous les citoyens) et la communauté politique légitime (restreinte aux Juifs). Cette différenciation est la conséquence de la dualité structurelle de l’État d’Israël comme État juif et démocratique qui instaure deux espaces référentiels concurrents, celui de l’appartenance ethno-nationale et celui de la citoyenneté. La judéité de l’État qui a une véritable valeur constitutionnelle [10] pourrait d’ailleurs, en principe, entraver la liberté politique en milieu arabe. En effet, si un parti se présentait au suffrage des électeurs en exigeant explicitement la désionisation de l’État (ce qui passerait, par exemple, par l’abrogation de la Loi du retour), il serait disqualifié. Il en serait de même s’il réclamait la transformation d’Israël en État binational, judéo-arabe. Pour l’heure, les « ambiguïtés constructives » des partis arabes comme l’interprétation souple des dispositions légales par la Cour suprême ont évité les disqualifications intempestives, mais le risque de voir le jeu démocratique contrecarré en invoquant l’atteinte au caractère juif de l’État demeure.

Restent les droits sociaux (à la santé, à l’éducation etc.). Là aussi la tendance est allée au fil du temps vers un rapprochement des droits entre citoyens juifs et arabes. Ainsi, comme nous l’avons dit, les allocations sociales complémentaires ne sont plus réservées, depuis 1997, aux familles de soldats. Le gouvernement a aussi renoncé il y a quelques années à utiliser le critère du service militaire pour instaurer des droits universitaires différents. Toutefois, ces avancées réelles ne doivent pas masquer la persistance d’inégalités réelles. Ainsi, dans le domaine éducatif, le système scolaire juif continue de bénéficier de ressources budgétaires bien plus importantes que les écoles arabes, ce qui maintient une différence qualitative persistante (Al-Haj, 1995). En ce qui concerne les aides sociales, elles ne sont pas distribuées de façon égale parmi la population, les autorités publiques ayant la fâcheuse habitude de mettre en oeuvre de façon imparfaite les dispositions sociales dans le secteur arabe (Haidar, 1991). Autrement dit, elles ne mettent pas systématiquement en oeuvre une autorité « légale-rationnelle » pour traiter de façon impersonnelle les administrés en fonction de règles de nature universelle ; leur action est souvent guidée par des motivations affectives qui les amènent à agir prioritairement au profit du groupe juif. Enfin, pour l’accès à l’emploi, les citoyens arabes sont clairement défavorisés dans les domaines réputés « sensibles » comme l’aéronautique et l’électronique. Ces secteurs d’activité, très liés à l’industrie d’armement, leur sont très largement fermés, les emplois étant réservés aux citoyens ayant rempli leurs obligations militaires.

L’existence d’une discrimination institutionnelle est rarement niée frontalement, mais elle est souvent rationnalisée par le recours à un argument qui en dit long sur l’aporie de la citoyenneté en Israël. Ainsi, il est incontestable que, globalement, le niveau éducatif des Arabes se soit amélioré depuis un demi-siècle permettant la formation d’une intelligentsia dynamique et active. Il est vrai aussi que le taux de scolarisation des Arabes en Israël est bien meilleur que celui de leurs « frères » en Jordanie ou en Égypte. Certains jugent dès lors que les Arabes ont largement bénéficié de la modernisation socio-économique (Landau, 1993) qui a accompagné leur insertion dans la société israélienne comparativement à ceux qui ont vécu au sein des États arabes voisins, et que les pratiques discriminatoires actuelles ne sont que des phénomènes marginaux.

Un tel constat est irrecevable dans la mesure où, dans la logique de la citoyenneté démocratique, les seules comparaisons pertinentes sont celles qui sont effectuées entre membres du même corps politique : il convient donc d’évaluer la situation des Arabes israéliens par rapport à leurs concitoyens juifs, non par rapport à leur « parentèle ethnique » au-delà des frontières. Que ce type de comparaison soit pourtant ainsi fait spontanément, dans l’opinion publique juive en Israël, montre la prégnance du référent ethno-culturel et les déficiences dans l’appréhension de la citoyenneté.

Que cette idée de citoyenneté demeure dans le fond incertaine et, partant relativisée, tient encore une fois à la nature même de l’État d’Israël comme État du peuple juif. Cette définition implique en effet que l’État est celui d’une collectivité transnationale dont seulement un tiers des membres sont des citoyens israéliens, les deux autres tiers demeurant en diaspora. Autrement dit, Israël est l’État des Juifs qui y ont immigré (citoyens effectifs) et, virtuellement, celui des Juifs de diaspora qui, bien que possédant déjà la citoyenneté des pays où ils résident, sont autant de citoyens potentiels de l’État. A contrario, l’État d’Israël n’est pas juridiquement l’État de ses citoyens arabes. Lors des débats sur l’amendement à la Loi fondamentale en 1985, la proposition de définir Israël « comme l’État du peuple juif et de ses citoyens arabes » a été clairement rejetée par le Parlement. Dans un tel contexte où l’État « appartient » tout à la fois à certains qui n’en sont pas citoyens tandis que d’autres qui bénéficient des droits de citoyenneté demeurent irrémédiablement extérieurs à cet État (dont ils doivent pourtant reconnaître la légitimité et scrupuleusement respecter les lois), la notion de citoyenneté, comme statut juridique uniforme conférant des droits et des devoirs et instituant une communauté politique d’égaux sur une base territoriale, devient nécessairement floue.

Cette citoyenneté insaisissable découle de la dualité structurelle de l’État d’Israël, laquelle n’est pas, contrairement à l’affirmation du président de la Cour Suprême, exempte de tensions. Meir Shamgar, qui était alors à la tête de la plus haute institution judiciaire israélienne, avait dans un arrêt fameux affirmé que « l’existence de l’État d’Israël comme État du peuple juif ne met pas en cause sa nature démocratique, de même que la francité de la France ne remet pas en question sa nature démocratique » (Neiman, 1988, p. 189). L’analogie est malencontreuse dans la mesure où judéité et francité n’ont pas du tout le même statut : la première a une véritable force légale qui influe profondément sur l’organisation de l’État et entraîne toute une série de conséquences juridiques dans la distribution des droits ; la seconde constitue simplement une réalité sociologique (langue partagée, legs historique commun etc.) qui n’a aucune implication quant à la place des individus à l’intérieur de la société. Alors que dans une démocratie républicaine comme la France, la francité est purement descriptive, dans une démocratie ethnique, la judéité est éminemment normative (Dieckhoff, 1999). Par conséquent, alors que dans le cas français la démocratie fonctionne en étant aveugle aux appartenances ethno-culturelles particulières (du moins d’un point de vue légal), dans le cas israélien, les principes démocratiques butent constamment sur la logique ethnique. Ces tensions ne sont pas près de disparaître dans la mesure où la « dé-ethnicisation » de l’État d’Israël, c’est-à-dire sa transformation en État de ses citoyens, n’est pas pour demain. Cette demande avancée par certains hommes politiques arabes et l’extrême-gauche juive n’a, à l’heure actuelle, aucune chance d’être honorée parce que l’écrasante majorité de la population juive est attachée à la spécificité juive de l’État. Même l’évolution d’Israël vers une démocratie consociationnelle où l’État central gèrerait, de façon impartiale, un authentique pluralisme culturel tout en aménageant une place plus grande aux droits individuels, paraît fort problématique. Une récente enquête a montré que seuls 8,1 % des Juifs souhaitent la mise en place d’une démocratie consociationnelle où un État neutre traiterait les Arabes comme un groupe national, à parité avec les Juifs. Par contre, 71,5 % des personnes interrogées sont favorables à une démocratie ethnique améliorée, l’État conservant sa spécificité juive tandis que les Arabes bénéficieraient, en plus d’une meilleure protection de leurs droits individuels, d’une autonomie plus large (éducative, religieuse, culturelle). Cette option est celle qui correspond aux évolutions perceptibles au cours de la dernière décennie. D’un côté, l’État a procédé à des ajustements pour que les droits (civils, politiques, sociaux) des Arabes soient davantage alignés sur ceux des Juifs et pour que les discriminations les plus criantes soient révoquées. D’un autre côté, le système de traitement préférentiel n’a pas été été remis en cause dans son économie générale. Rééquilibrage de la citoyenneté donc, avec maintien de l’asymétrie structurelle : ce double mouvement continuera de rythmer l’État d’Israël dans les années à venir.

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Notes 

1. Nokhehim nifkadim (Présents-absents), tel est d’ailleurs le titre original du livre du romancier israélien David GROSSMAN dans lequel il a rassemblé les témoignages de ses rencontres avec les Palestiniens d’Israël. Traduit en anglais dans GROSSMAN (1993).

2. Le sort de ces résidents privés de la citoyenneté israélienne ne sera définitivement réglé qu’en 1980, date à laquelle ils devinrent des nationaux israéliens.

3. Deux autres modes d’acquisition de la citoyenneté méritent d’être évoqués brièvement. Le premier qui a gagné en importance au fur et à mesure que l’État d’Israël se consolidait est l’acquisition par la naissance : tout enfant né d’un père ou d’une mère israélien sera Israélien. Cette règle s’applique pour les naissances en Israël mais aussi à l’étranger : le jus sanguinis joue ici à plein. À l’inverse, le jus soli n’intervient que de façon très marginale à travers l’autre modalité d’octroi de la citoyenneté, la naturalisation. Cette procédure complexe, qui concerne un nombre limité de non-Juifs soucieux d’obtenir la citoyenneté, suppose une période de résidence minimale mais comporte surtout deux conditions extrêmement révélatrices : la connaissance de la langue hébraïque et la renonciation à la nationalité antérieure. En outre, le requérant est tenu de signer une déclaration de loyauté envers l’État d’Israël. Ces dispositions précises et strictes contrastent fortement avec la libéralité avec laquelle la citoyenneté est accordée par la voie du retour. Dans ce cas, la double nationalité est parfaitement tolérée et l’ignorance totale de l’hébreu ne constitue pas un obstacle à l’acquisition de la citoyenneté. Quant à la fidélité à l’État, elle est comme contenue implicitement dans l’acte d’immigration lui-même.

4. Dans les cas, de plus en plus fréquents, de personnes dont seul le père est juif, elles sont enregistrées sous leur « nationalité de passeport » : russe, française, canadienne etc. La nationalité, au sens de l’appartenance officielle à un État donné, se transforme donc pour eux en nationalité au sens ethnique. Les intéressés ont également la possibilité de laisser cette rubrique en blanc, ce qui signifie que leur nationalité est indéterminée.

5. En 1970, le droit au retour a été élargi à certains proches non-juifs d’un Juif : le conjoint, les enfants et leurs conjoints, les petits-enfants et leurs conjoints. Cette disposition introduite pour préserver l’unité de familles « mixtes », confère à leurs bénéficiaires les mêmes droits que les Juifs (y compris l’octroi de la citoyenneté). Cet amendement, incontestablement libéral, ne fait pourtant que souligner davantage la dimension ethnique puisque le critère retenu est celui de la parenté avec un Juif (jusqu’à la seconde génération), non celui de l’appartenance religieuse. Est à l’oeuvre ici un principe d’ethnicité « étendue ».

6. Nombre d’États d’Europe de l’Est sont des « démocraties ethniques » où l’État est fondé sur une nation principale. Ainsi, la Macédoine se définit-elle constitutionnellement comme « État national du peuple macédonien », lequel entend assurer la cohabitation avec « les Albanais, Turcs, Roms et autres nationalités qui y vivent ». La Croatie a adopté une définition plus généreuse en se présentant à la fois comme « État national du peuple croate » et « État des membres des autres nationalités et minorités qui en sont les citoyens ».

7. On peut néanmoins se demander si la Section des minorités qui a pris le relais du Bureau des affaires arabes ne s’inscrit pas dans la même logique de monitoring de la population arabe.

8. Cette manifestation à Umm el-Fahm, deuxième ville arabe d’Israël, avait pour origine l’expropriation de plusieurs dizaines d’hectares au profit de l’armée. Cet épisode montre que la question de la terre demeure, pour les Arabes d’Israël, extrêmement sensible, et cela d’autant plus qu’ils ne disposent plus, en pleine propriété privée, que de 3,5 % de la surface du pays (contre un tiers en 1948).

9. Les députés dont les voix sont ainsi récusées ne sont pas nécessairement tous ethniquement arabes (bien que quatre d’entre eux le soient) mais ils doivent leurs suffrages à l’électorat arabe.

10. Un amendement introduit en 1985 dans la Loi fondamentale sur la Knesset précise que ne peuvent participer aux élections les partis qui nient l’existence de l’État d’Israël comme État du peuple juif, rejettent la nature démocratique de l’État ou encouragent le racisme.

 




Une humanité relative

le 11/11/2006 11:40:00 (1219 lectures)

 

Omar-BarghoutiArticle de Omar Barghouti qui fut publié entre Décembre 2003 et Janvier 2004 sous des formes très proches dans The Palestine ChronicleCounterpunch Znet, et Electronic Intifada.

L’auteur montre que la façon la plus juste de parvenir à une paix durable dans l’ancienne terre de Palestine passe par l’établissement d’un État unique .

Israël a justifié et continue de justifier la colonisation par l’humanité relative des arabes : ceux-ci ne seraient pas humains au même sens que les juifs, et n’auraient donc « droit qu’à une partie de ce qui serait en d’autres circonstances des droits inaliénables dus aux humains «réels» ».

L’auteur montre comment cette humanité relative permet de renier le droit au retour des réfugiés palestiniens et justifie les crimes de guerres petits et grands d’Israël ainsi que son régime d’apartheid .


 SOMMAIRE

1. Introduction

2. L ‘humanité relative et le conflit

3. Les voies pour sortir du conflit

4. Maintenir le statu quo

4.1. Le déni des droits des réfugiés

4.2. Occupation militaire : les crimes de guerre, grands et petits

4.2.1 Le mur d’apartheid israelien

4.2.2 Les plus petits crimes

4.2.3 Est-ce que les israéliens savent ?

4.3. Le système israélien de discrimination raciale : intelligent, nuancé, mais toujours de l’apartheid

5. Le nettoyage ethnique : la solution finale d’Israël face au problème démographique palestinien

6. Israël : les contradictions essentielles indéfendables

7. Un État laïque et démocratique : de nouveaux horizons

 


1. Introduction

Bon débarras! La solution à deux États au conflit israélo-palestinien est finalement morte. Cependant, il faut que quelqu’un émette un certificat de décès officiel avant que le corps en décomposition ait droit à un enterrement adéquat et que l’on puisse continuer et examiner l’alternative plus juste, morale et donc plus durable, pour une coexistence pacifique entre les Juifs et les Arabes dans la Palestine mandataire : la solution à un État .

Aveuglé par l’arrogance du pouvoir et le confort éphémère de l’impunité, Israël, à l’encontre de ses intérêts stratégiques sionistes, n’a pas réussi à contrôler son appétit expansionniste insatiable et est allé de l’avant en dévorant la toute dernière parcelle de terre qui devait former la fondation matérielle d’un État palestinien indépendant.

Depuis l’émergence de la seconde Intifada palestinienne, Israël est entré dans une nouvelle phase critique, dans laquelle sa répression militaire contre les Palestiniens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza occupés a atteint de nouveaux fonds et son mépris pour les résolutions de l’ONU atteint de nouveaux sommets, où ses incessantes confiscations de terres l’ont mené à ériger un mur entourant les centres de population palestiniens, séparant les Palestiniens de leurs terres – les dépossédant ainsi de nouveau – et où la corruption morale et la discrimination raciale ont plus clairement effrité la cohésion interne de la société israélienne, tout comme son image fabriquée de «démocratie». Par conséquent, la perception d’Israël dans l’opinion publique mondiale a plongé, l’amenant plus près du statut d’État paria.

Cette phase comporte toutes les caractéristiques symboliques de ce qui peut être considéré comme le chapitre final du projet sioniste. Nous assistons à la mort rapide du sionisme et rien ne peut être fait pour le sauver, puisque le sionisme est condamné à s’autodétruire. Pour ma part, je favorise l’euthanasie. Pour revenir à la solution à deux États, elle n’a jamais constitué en soi une solution morale, sans compter que la date d’expiration est passée. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire par l’application méticuleuse de la résolution 242, elle aurait répondu à la plupart des droits légitimes de moins d’un tiers du peuple palestinien sur moins d’un cinquième de leur terre ancestrale. Plus de deux tiers des Palestiniens, les réfugiés et les citoyens palestiniens en Israël, ont été, de façon douteuse et bornée, effacés de la définition de l’appartenance palestinienne. Une telle exclusion ne peut que garantir la perpétuation du conflit.

Qui donc offre ce « meilleur des cas »? Personne à vrai dire. La meilleure offre à date n’approche même pas de la 242 – sans parler des principes élémentaires de la moralité. Après avoir essayé pendant des décennies de convaincre les Palestiniens d’abandonner leur droit aux propriétés qu’ils ont perdues lors de la Naqba (catastrophe de 1948, la dépossession et l’exil) en échange d’un État souverain et entièrement indépendant sur l’ensemble des terres occupées en 1967, y compris Jérusalem-Est, Israël a prouvé qu’il n’a jamais réellement eu l’intention de retourner toutes ces terres acquises illégalement. De Camp David II à Genève en passant par Taba, l’offre israélienne la plus «généreuse» a toujours été bien en deçà des exigences minimales des diverses résolutions des Nations unies et des principes élémentaires de la justice. Reconnaissant que la justice n’était pas complètement servie par l’offre de son gouvernement à Camp David, le ministre israélien des Affaires étrangères, Shlomo Ben-Ami, a donné aux Palestiniens le choix entre «la justice ou la paix».

Toutefois, séparer la paix de la justice est non seulement moralement condamnable, mais aussi maladroit du point de vue du pragmatisme. Cela peut subsister pendant un certain temps, mais seulement après avoir été vidé de son sens, devenant ainsi une simple stabilisation d’une oppression, ou ce que j’appelle la paix «maître-esclave», où l’esclave n’a pas de pouvoir et/ou de volonté de résistance et se soumet aux diktats du maître, passivement, docilement, sans un semblant de dignité humaine. Comme l’a déjà écrit Jean-Jacques Rousseau :

«L’homme le plus fort n’est jamais assez fort pour être constamment le maître, à moins qu’il transforme la force en droit et l’obéissance en devoir. (…) La force est un pouvoir physique ; je ne conçois pas comment ses effets pourraient engendrer la moralité. Céder à la force est un acte de nécessité, non pas de volonté ; c’est au mieux un acte de prudence. Comment cela pourrait-il être un devoir moral? »

Eh bien, la «prudence» des Palestiniens s’épuise. Les concessions de leur direction officielle devant la force ont simplement entraîné plus de colonisation et la promesse d’une continuation.

2. L ‘humanité relative et le conflit

Dès le départ, les deux principales prétentions données par les sionistes pour justifier leur colonisation de la Palestine étaient :

– la Palestine était une terre sans peuple, un terrain vague non civilisé;
– les Juifs ont un droit divin pour concrétiser la «rédemption» de la Palestine, en accord avec une promesse venant d’une autorité non moindre que Dieu, et parce que, selon la Bible, les Israélites avaient érigé leur royaume sur toute la terre de Canaan il y a deux mille ans, leur donnant le droit historique sur cette terre. Ainsi, toute dépossession des indigènes de la Palestine, s’ils existaient, était un dommage collatéral acceptable pour la réalisation de la volonté de Dieu. Si cela ressemble trop au jargon de Bush, ce n’est que pure coïncidence.

À ce jour, il a été démontré que tant les arguments politiques que religieux ne sont rien de plus que des mythes sans fondement, et ce en grande partie grâce au travail minutieux d’historiens et d’archéologues israéliens. [1 ]

Supprimant la fabrication politique et la mythologie biblique, Joseph Weitz, dirigeant du département de la Colonisation à l’Agence juive en 1940, expliquait comment cette «rédemption» devait être réellement mise en œuvre:

«Il doit être clair entre nous qu’il n’y a pas de place pour les deux peuples dans ce pays. Nous ne pourrons pas atteindre notre but si les Arabes sont dans ce petit pays. Il n’y a pas d’autre solution que de transférer les Arabes vers les pays voisins, chacun d’entre eux. Pas un village, pas une tribu ne doit rester.»

Au cœur même de la rationalisation d’une telle expulsion repose une croyance coloniale bien établie dans l’impertinence, ou l’absence de valeur comparée, des droits, des besoins et aspirations des indigènes palestiniens. Par exemple, l’auteur de la Déclaration Balfour écrivait :

«Les quatre grandes puissances soutiennent le sionisme. Et le sionisme, qu’il soit bien ou mal, est enraciné dans des traditions anciennes, dans des besoins présents et des espoirs futurs ayant bien plus d’importance que les désirs et les préjudices des 700.000 Arabes qui habitent présentement cette terre ancestrale. »

C’est là un cas classique de ce que j’appelle une humanisation relative.

Je définis l’Humanité relative comme la croyance, et l’humanisation relative comme la pratique basée sur cette croyance, voulant que certains être humains, partageant divers attributs importants d’identité tels que la religion, l’ethnicité ou la culture, sont dépourvus d’un ou de plusieurs des attributs nécessaires pour être humains et ne sont donc en conséquence humains que dans un sens relatif et non pas absolu et sans équivoque. Par conséquent, de tels humains relatifs n’ont droit qu’à une partie de ce qui serait en d’autres circonstances des droits inaliénables dus aux humains «réels».

La perception des Palestiniens comme des humains relatifs peut expliquer pourquoi Israël – soutenu par les États-Unis et en maintes occasions par l’Europe également – a pu s’en tirer avec une attitude allant de soi envers les Palestiniens, qui présume qu’ils ne peuvent pas, en fait ne doivent pas, avoir des besoins, des aspirations ou des droits égaux à ceux des Juifs israéliens. Ce facteur a joué un rôle fondamental dans l’inhibition d’une évolution vers une solution à un État unitaire, comme il sera démontré plus loin.

À côté de l’humanisation relative, il y a plusieurs obstacles sur le chemin de cette solution moralement supérieure. Compte tenu du niveau actuel de violence, de méfiance mutuelle et de haine entre les deux côtés, par exemple, comment une telle solution pourrait-elle se réaliser? D’autre part, avec l’écart de puissance si vaste entre Israël et les Palestiniens, pourquoi les Juifs israéliens accepteraient-ils cet État unitaire où, par définition, les Juifs seront minoritaires? Est-ce que le consentement israélien est vraiment nécessaire en premier lieu ou peut-il être éventuellement obtenu par l’entremise d’une combinaison de pression intense et d’absence de solutions alternatives viables, comme cela a été le cas en Afrique du Sud?

Ces questions sont effectivement valides et cruciales, mais au lieu de les approfondir toutes, je me limiterai àdémontrer pourquoi les alternatives à la solution à un État sont moins susceptibles de résoudre le conflit , en partie à cause que le principe de l’égale valeur humaine, qui constitue l’ingrédient fondamental de toute paix juste et durable, est manifestement ignoré, violé ou réprimé dans chacune d’entre elles. En soi, cela ne prouve pas logiquement qu’une solution à un État soit la seule voie de sortie de la présente abysse, mais cela peut au moins démontrer qu’elle mérite certainement d’être sérieusement considérée comme une solution réelle.

3. Les voies pour sortir du conflit

À l’heure actuelle, compte tenu de l’impossibilité de parvenir à une solution négociée impliquant la création de deux États qui comblerait le minimum des droits inaliénables des Palestiniens, il y a trois voies logiques qui peuvent être suivies :

1. Maintenir le statu quo, préserver une quelconque solution à deux États ne serait-ce que sur le papier.

2. «Finir le travail», ou atteindre le but logique du sionisme, en mettant en œuvre le nettoyage ethnique de tous les Palestiniens de la Palestine mandataire. Puisqu’un génocide de l’ampleur de ceux commis pour vider l’Amérique ou l’Australie de leurs indigènes n’est pas politiquement viable aujourd’hui, le nettoyage ethnique est ce qui s’en approche le plus.

3. Lancer un nouveau processus, visionnaire et pratique, qui mènerait à l’établissement d’un État unitaire et démocratique entre le Jourdain et la Méditerranée.

Examinons chacune de ces trois options.

4. Maintenir le statu quo

En premier lieu, le statu quo comporte trois attributs : le déni des droits des réfugiés, l’occupation militaire et la répression en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza et finalement la version sioniste de l’apartheid en Israël même.

4.1. Le déni des droits des réfugiés

Loin d’avoir reconnu sa culpabilité dans la création du plus vieux et large problème de réfugié dans le monde et malgré des preuves incriminantes accablantes, Israël a systématiquement fuit toute responsabilité. La dimension la plus étrange du discours populaire israélien au sujet de la «naissance» de l’État est le déni presque total de tout méfait. La vaste majorité des Israéliens considèrent l’impitoyable destruction de la société palestinienne et la dépossession du peuple palestinien comme leur «indépendance». Même les «gauchistes» engagés se lamentent souvent sur la perte de la «supériorité morale» d’Israël après l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967, comme si avant cela Israël était aussi civil, légitime et respectueux de la loi que la Finlande!

Telle une classique prédiction qui se réalise d’elle-même, les Israéliens ont toujours aspiré à être un État normal, au point qu’ils ont commencé à croire que c’était le cas. [2 ] C’est comme si la plupart de ces Israéliens qui ont activement participé ou assisté à la Naqba étaient collectivement infectés par une amnésie sélective chronique.

Les racines de ce déni proviennent de l’Holocauste et des circonstances uniques qui en ont résulté, qui ont permis à Israël de prétendre que, contrairement à tout autre État, il était obligé de dénier aux réfugiés palestiniens leur droit sans équivoque de retourner dans leurs maisons et sur leurs terres. Préserver le caractère juif de l’État, selon l’argumentation, était le seul moyen de maintenir un lieu sûr pour les Juifs du monde, les «super-victimes», qui sont en danger parmi les Gentils, et cela était évidemment bien plus important que les simples droits des Palestiniens. Même si nous ignorons la comparaison impérieuse entre la sécurité des Juifs en Israël par rapport à la France, au Maroc, à l’Espagne, aux États-Unis et même à l’Allemagne, nous ne pouvons ignorer le fait qu’aucun autre pays dans le monde d’aujourd’hui ne pourrait s’en tirer avec une attitude similairement manifeste et raciste au sujet de son droit à la pureté ethnique.

En plus d’être moralement indéfendable, le déni du droit au retour par Israël révèle aussi un degré d’inconstance morale qui est unique à bien des points de vue.

Par exemple, la loi du retour pour les Juifs est basée sur le principe que, puisqu’ils ont été expulsés de la Palestine il y a plus de 2.000 ans, ils ont le droit d’y retourner. Ainsi, en niant les droits des réfugiés palestiniens, dont l’exil de 55 ans est une injustice bien plus jeune, Israël affirme essentiellement que les Palestiniens ne peuvent avoir le même droit parce qu’ils ne sont pas également humains.

Voici quelques autres exemples de cette inconstance morale:

Des milliers d’Israéliens dont les grands-parents étaient citoyens allemands ont demandé avec succès le droit au retour en Allemagne, la citoyenneté allemande, et ont reçu pleine compensation pour la propriété pillée. Le résultat étant que la population juive de l’Allemagne est passée de 27.000 au début des années quatre-vingt-dix à plus de 100.000 l’année dernière.

La Belgique a aussi passé une loi «permettant le retour à leurs propriétaires des biens qui appartenaient à des familles juives». Elle a aussi accepté de payer à la communauté juive locale une restitution de 55 millions d’euros pour les propriétés volées qui «ne peuvent être restituées» et pour «les polices d’assurances non réclamées appartenant à des victimes de l’Holocauste».

Mais la quintessence de l’hypocrisie morale est révélée par l’exemple suivant rapporté par le Ha’aretz :

«Plus de cinq siècles après que leurs ancêtres ont été expulsés d’Espagne, les Juifs d’origine espagnole… ont demandé au gouvernement et au parlement espagnols de leur accorder la nationalité espagnole… L’Espagne devrait passer une loi «pour reconnaître que les descendants des Juifs expulsés font partie de l’Espagne et pour les réhabiliter», affirme Nessim Gaon, président de la Fédération séfarade mondiale. (…) Certains Juifs séfarades ont même préservé la clé de la résidence de leur ancêtre en Espagne… »

Puisque soutenir le droit au retour des réfugiés palestiniens est, selon moi, le test décisif de moralité pour quiconque suggère une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien, plusieurs, y compris Bill Clinton, et tout le spectre de la gauche officielle en Israël, ont échoué à ce test.

La gauche et la droite sont partout des termes relatifs, mais en Israël, la distinction peut être complètement floue par moments. Quand vient le temps de parler de la pureté ethnique, de la démographie et du chauvinisme, les politiciens israéliens et les intellectuels de gauche, même ceux qui se sont autoproclamés comme «la gauche»[3 ], ont fait en sorte que les partis de l’extrême-droite européenne sonnent aussi humains que Mère Teresa. Toutefois, la différence cruciale est que dans le cas d’Israël, l’immoralité est aggravée par le fait que, contrairement aux immigrants étrangers en Europe, l’autre est en fait l’indigène.

Malgré ce qui vient d’être mentionné, on ne peut nier que le droit au retour des réfugiés palestiniens contredit les exigences d’une solution négociée à deux États. Israël ne l’acceptera tout simplement jamais, en faisant le talon d’Achille de toute solution négociée à deux États, comme le démontre l’histoire. Cela n’a rien à voir avec les mérites ou les compétences des négociateurs palestiniens, aussi maigres qu’ils aient pu être, mais plutôt avec un stupéfiant déséquilibre de pouvoir qui permet à un État ethnocentrique et colonial de préserver sa nature exclusiviste en dictant les conditions à un interlocuteur pathétiquement plus faible. C’est précisément pourquoi le droit au retour ne peut être réellement accompli, sauf dans une solution à un État. Cela permettrait à la faiblesse palestinienne de devenir une force, s’ils décident d’adopter une voie non violente afin d’établir un État laïque et démocratique, acquérant par le fait même un soutien international crucial et transformant le conflit en une lutte non dichotomique pour la liberté, la démocratie, l’égalité et la justice non mitigée. De nouveau, le modèle sud-africain doit être une inspiration à ce niveau.

4.2 Occupation militaire: les crimes de guerre [4 ], grands et petits

Suite à une visite dans la Bande de Gaza entièrement clôturée, Oona King, une parlementaire britannique juive, a commenté l’ironie à laquelle font actuellement face les Juifs israéliens, affirmant: «… en fuyant les cendres de l’Holocauste, ils ont incarcéré un autre peuple dans un enfer similaire en sa nature – mais pas dans son étendue – au ghetto de Varsovie».

Tout être humain ayant une conscience et qui a récemment visité les Territoires occupés ne peut faire autrement qu’être d’accord avec King. Faisant face à l’aspiration apparemment inextinguible des Palestiniens pour la justice et l’émancipation, Israël a repris depuis trois ans une campagne de destruction gratuite, d’atrocités systématiques et de sièges à caractère médiéval, avec la claire intention de punir collectivement les Palestiniens, les forçant potentiellement à abandonner leur terre en masse. Le reste n’est que simples détails, aussi pénibles et affligeant qu’ils puissent être.

4.2.1 Le mur d’apartheid israélien [5 ], les droits humains des Palestiniens vs les droits des animaux et des plantes israéliens 

Bien qu’Israël essaie actuellement de présenter le Mur comme une barrière de sécurité pour «arrêter les kamikazes», la vérité est que le présent tracé du Mur est tout sauf nouveau. Il a été recommandé à Ariel Sharon par le tristement célèbre «prophète de la menace démographique arabe», le démographe israélien Arnon Sofer, qui soutient que la carte mise en œuvre est la sienne. Et contrairement aux doucereux politiciens israéliens, Sofer confesse sans la moindre honte que le tracé du Mur a été dessiné avec un but spécifique à l’esprit : maximiser la terre devant être annexée par Israël tout en minimisant le nombre d’«Arabes» qui viendraient avec.

Mais Sofer s’accorde peut-être trop de crédit. Ron Nahman, le maire de la colonie d’Ariel en Cisjordanie, a révélé au journal à grand tirage Yedioth Aharonot que : «la carte de la clôture, dont on voit ici l’ébauche, est la même carte que j’ai vue lors de toutes les visites que [Ariel Sharon] a faites ici depuis 1978. Il m’a dit qu’il y pensait depuis 1973.» Il n’y avait pas beaucoup d’«attentats suicides» à cette époque!

Il y a quatre ans, bien avant le début de l’Intifada, Ariel Sharon lui-même avait, dans un style évocateur, nommé le projet du mur le «plan Bantoustan», selon Ha’aretz.

Malgré les graves transgressions envers l’habitat, l’environnement et les droits politiques des Palestiniens, un «consensus presque total» existe parmi les Juifs israéliens en sa faveur. Cependant, plusieurs groupes officiels ou non gouvernementaux en Israël sont préoccupés par les effets adverses que le Mur pourrait avoir sur les animaux et les plantes.

Le ministre israélien de l’Environnement, Yehudit Naot, protestait contre le Mur, affirmant :

«La clôture de séparation coupe la continuité d’aires ouvertes et est dommageable pour le paysage, la flore et la faune, les corridors écologiques et le drainage des ruisseaux. Le système de protection affectera de manière irréversible les ressources de la terre et créera des enclaves de communautés [d’animaux évidemment] qui seront coupées de leur environnement. Je ne souhaite surtout pas arrêter ou retarder la construction de la clôture, parce qu’elle est essentielle et sauvera des vies… D’un autre côté, je suis perturbée par les dommages environnementaux qui en découlent. »

Son ministère et l’Autorité de protection des Parcs nationaux ont organisé un effort de sauvetage afin de préserver une réserve d’iris affectée en la déplaçant vers une autre réserve. Ils ont aussi créé de petits passages pour les animaux et permis la circulation de l’eau dans les ruisseaux.

Pourtant, le porte-parole de l’autorité des parcs n’était pas satisfait. Il s’est plaint :

«Les animaux ne savent pas qu’il y a maintenant une frontière. Ils sont habitués à un certain habitat et ce qui nous préoccupe est de voir leur diversité génétique affectée parce que différents groupes de population ne seront plus capables de se rejoindre et de se reproduire. Isoler les populations des deux côtés d’une clôture va créer définitivement un problème génétique. »

Même Thomas Friedman a prédit – assez correctement, selon moi – dans le New York Times que le Mur «achèvera» éventuellement la solution à deux États, devenant ainsi «la mère de toutes les conséquences involontaires».

4.2.2 Les plus petits crimes de l’occupation

Ce ne sont pas tous les crimes de l’occupation militaire israélienne qui sont aussi écrasants que le Mur. Je ne citerai plus bas que quatre exemples de crimes de guerre de moindre importance quoiqu’endémiques :

i) Naissance et mort à un barrage de l’armée israélienne

Rula, une Palestinienne, était au dernier stade de sa grossesse. Son époux, Daoud, ne réussissait pas à convaincre les soldats à un barrage militaire typique de les laisser passer pour rejoindre l’ambulance qui était retenue par les mêmes soldats de l’autre côté. Après une longue attente, Rula ne pouvait plus retarder l’accouchement. Elle a commencé à hurler de douleur, devant la plus totale apathie des soldats. Daoud a décrit cette expérience traumatisante au journaliste exceptionnellement consciencieux du Ha’aretz, Gideon Levy, affirmant :

«Près du barrage, il y avait une roche… Ma femme a rampé jusqu’à la roche et s’y est étendue. Pendant ce temps, je continuais de parler avec les soldats. Un seul d’entre eux faisait attention, les autres ne regardaient même pas. Elle a essayé de se cacher derrière la roche. Elle n’aimait pas qu’ils la voient dans cette condition. Elle a commencé à hurler, hurler. Les soldats ont dit: «Tire-la dans notre direction, ne la laisse pas s’éloigner.» Et elle criait de plus en plus. Cela ne l’a pas ému. Soudainement, elle s’est mise crier: «J’ai accouché, Daoud, j’ai accouché!» J’ai alors répété ce qu’elle venait de dire pour que les soldats l’entendent. En hébreu et en arabe. Ils ont entendu. »

Peu après, Rula a crié: «La fillette est morte! La fillette est morte!» Daoud, affolé et craignant pour la vie de sa femme, a dû couper le cordon ombilical avec une pierre. Plus tard, le docteur qui a examiné le corps à l’hôpital a révélé que la fillette était morte «d’une blessure sérieuse infligée lorsqu’elle est sortie du conduit utérin».

Commentant la mort similaire d’un autre nouveau-né palestinien à un autre barrage israélien, une porte-parole de Médecins israéliens pour les droits de l’Homme a dit :

«Nous ne savons pas combien sont mort ainsi parce que plusieurs personnes ne prennent même pas la peine d’aller à l’hôpital, sachant que les soldats les en empêcheraient. (…) Ces personnes ne représentent pas une menace pour Israël. Ceux qui le sont, tels les kamikazes, ne passent évidemment pas par les barrages, qui existent uniquement pour contrôler, subjuguer et humilier les gens ordinaires. C’est comme un terrorisme routinier. »

ii) Chasser les enfants comme sport

Le journaliste vétéran états-unien Chris Hedges décrit dans Harper’s comment les soldats israéliens dans la Bande de Gaza maudissent et provoquent systématiquement les enfants qui jouent dans les dunes au sud de Gaza. Puis, lorsque les enfants deviennent finalement excédés et commencent à lancer des pierres, les soldats répondent avec préméditation à balles réelles à l’aide de fusils mitrailleurs munis de silencieux. «Plus tard», écrit Hedges, «à l’hôpital, je vois les ravages: les estomacs arrachés, les trous béants dans les côtes et les torses». Il conclut ensuite : «Des enfants ont été tués dans d’autres conflits auxquels j’ai assisté,… mais je n’avais encore jamais vu des soldats attirer des enfants comme des souris dans une trappe et les tuer comme un sport.»

iii) Les patients et le siège

Rapportant un incident particulièrement horrible, Gideon Levy écrit dans Ha’aretz :

«Les soldats ont obligé Bassam Jarar, un double amputé ayant des problèmes aux reins, et Mohammed Asasa, complètement aveugle, à sortir de l’ambulance. Les deux hommes revenaient d’une dialyse. Environ une demi-heure s’est écoulée, et le sang a commencé à couler du tube qui est inséré en permanence dans l’abdomen de Jarar. «J’ai dit aux soldats dans le blindé que je saignais. Il m’a dit de m’asseoir et qu’ils me conduiraient vers un médecin. Nous nous sommes assis là au soleil pendant près d’une heure.» (…) Le saignement s’est aggravé. Après environ une heure, deux soldats sont arrivés et ont soulevé Jarar et l’ont placé sur le plancher de leur jeep. «Je leur ai dit que je ne pouvais pas voyager dans une jeep. Ils ont dit que c’est tout ce qu’il y avait et qu’ils me conduisaient chez un docteur. Il a conduit comme un maniaque, j’étais secoué de tous bords et j’avais mal partout. Je leur ai dit que je souffrais. Ils ont dit: «N’aie pas peur, tu ne mourras pas.» Il y avait quatre soldats dans la jeep et j’étais sur le plancher. Il ne ralentissait pas. Et les soldats riaient et ne me regardaient pas du tout. »

iv) Violences sexuelles

Lors d’un autre crime, deux officiers de la police frontalière israélienne ont contraint un berger palestinien à porter sur son dos la selle de son âne et à marcher d’avant en arrière devant eux ; ensuite, sous la menace de son arme, un des deux l’a forcé à avoir une relation sexuelle avec son âne pendant une demi-heure, tel que documenté par B’Tselem.

Influencé par cette culture d’humanisation relative de «l’autre», Nathan Lewin, candidat potentiel à un poste de juge fédéral à Washington et ancien président de l’Association internationale des avocats et juristes juifs, écrit :

«Si l’exécution de la famille de quelques kamikazes sauve la vie ne serait-ce que d’un nombre égal de victimes potentielles civiles, l’échange est, je crois, éthiquement acceptable. (…) C’est une politique issue de la nécessité – le besoin de trouver un véritable dissuasif lorsque la peine capitale est apparemment sans effet. »

Mettant de côté la diplomatie, «civil» ne s’applique ici qu’aux «Juifs», évidemment.

Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard, a conseillé similairement à Israël de raser complètement tout village palestinien qui abrite un kamikaze.

Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, qu’une personne aussi moralement constante que Shulamit Aloni, ancienne membre de la Knesset, trouve nécessaire de dire : «Nous n’avons pas de chambres à gaz ni de fours crématoires, mais il n’y a pas qu’une seule façon de perpétrer un génocide.»

4.2.3 Est-ce que les Israéliens savent? 

Selon moi, le journaliste britannique Jonathan Cook dit vrai lorsqu’il écrit :

«[Les Israéliens] savent précisément ce qui arrive: leur conditionnement sioniste les empêche simplement de voir la signification. Tant que l’ennemi est Arabe, tant que l’excuse fourre-tout de la sécurité peut être invoquée et tant qu’ils croient que l’antisémitisme persiste partout, alors le public israélien peut dormir paisiblement quand un autre enfant [palestinien] est tué en roulant sur sa bicyclette, quand la maison d’une autre famille est rasée, quand une autre femme fait une fausse couche à un barrage. (…) Il semble qu’un peuple qui a été éduqué à croire que tout peut être fait en son nom – tant et aussi longtemps que cela sert les intérêts des Juifs et de leur État – n’a pas besoin d’ignorance. Il peut commettre des atrocités en ayant les yeux grands ouverts. »

Cela n’est pas nouveau. Le penseur sioniste Ahad Ha’am a décrit ainsi l’attitude anti-arabe des colons juifs qui venaient en Palestine pour échapper à la répression en Europe, bien avant qu’Israël soit créé :

«Ils étaient serfs en terres de diaspora, et ils se sont soudainement trouvés en liberté [en Palestine]; ce changement a réveillé en eux une inclination au despotisme. Ils traitent les Arabes avec hostilité et cruauté, les privent de leurs droits, les offensent sans raison et se vantent même de ces actions. Et personne parmi nous ne s’oppose à cette inclination ignoble et dangereuse. »

Mais si c’est vrai, on peut alors apporter deux explications – qui ne s’excluent pas nécessairement l’une l’autre – pour expliquer l’acceptation des Israéliens, et parfois leur soutien fervent, à cette violation systématique des droits fondamentaux de l’Homme :

1. Une croyance répandue voulant que leur guerre démographique contre les Palestiniens puisse être gagnée en mettant en œuvre la suggestion du ministre Benny Elon, qui a appelé à l’intensification du siège et de la répression afin de «rendre leur vie si pénible qu’ils se transféreront eux-mêmes volontairement».

2. Laïque ou non, la racine de la perception bien arrêtée des Israéliens selon laquelle les Palestiniens sont moins humains, est nourrie par une tradition coloniale raciste et un fondamentalisme juif en croissance.

Je vais m’attarder un peu sur ce dernier point.

Il est banal de lire quelque chose au sujet du fondamentalisme islamiste et de son activisme, de son anachronisme et de sa haine intrinsèque de «l’autre». Toutefois, le fondamentalisme juif est un tabou qui n’est pratiquement jamais évoqué en Occident pour des raisons qui dépassent la portée de cet essai. Mais le fondamentalisme juif gagne constamment du terrain en Israël, faisant de l’État, tel que le journaliste vétéran britannique David Hirst le décrit, un État «non seulement extrémiste par le tempérament, raciste par la pratique, [mais aussi] de plus en plus fondamentaliste par l’idéologie qui le conduit».

Par exemple, se référant à la loi juive, ou Halacha, le rabbin Ginsburg, rabbin d’une puissante secte hassidique, a défendu le massacre de Musulmans dans la mosquée d’Hébron en 1994, en disant :

«Légalement, si un Juif tue un non Juif, il n’est pas considéré comme un meurtrier. Il n’a pas transgressé le sixième commandement… Il y a quelque chose de bien plus sacré et unique dans une vie juive que dans une vie non juive. »

Le rabbin Shaoul Israeli, une des plus hautes autorités rabbiniques du Parti religieux national et du sionisme religieux en général, a justifié le massacre de Qibya de 1953, perpétré par une unité de l’armée israélienne dirigée par Ariel Sharon, en citant lui aussi la loi juive. Il a écrit :

«Nous avons établi qu’existe le terme spécial de «guerre de revanche» et que c’est une guerre contre ceux qui haïssent les Juifs et [il y a] des lois spéciales qui s’appliquent à une telle guerre… Lors d’une telle guerre, rien n’oblige à prendre des précautions au cours des actes de guerre afin que les non combattants ne soient pas blessés, puisque lors d’une guerre, les bons et les mauvais sont tués. (…) La guerre de revanche est basée sur l’exemple de la guerre contre les Mèdes au cours de laquelle les petits enfants ont aussi été exécutés, et nous pouvons nous interroger sur cela, à savoir comment ils avaient péché. Mais nous avons déjà trouvé dans les paroles de nos sages – que leur mémoire soit sacrée – que les petits enfants doivent mourir à cause des péchés de leurs parents. »

4.3 Le système israélien de discrimination raciale: intelligent, nuancé, mais toujours de l’apartheid

L’universitaire états-unien Edward Herman a écrit :

«Si les Juifs de France devaient avoir en leur possession des cartes d’identité les désignant comme Juifs (bien que citoyens français), ne pouvaient acheter une terre ou se porter acquéreur ou locataire d’une résidence dans la majeure partie du pays, n’étaient pas admis au service militaire et si la loi française bannissait tout parti politique ou législation demandant les droits égaux pour les Juifs, est-ce que la France serait largement louée aux États-Unis en tant que «symbole de la décence humaine» (New York Times) et un modèle de démocratie? Y aurait-il de vastes protestations si la France, en conséquences de telles lois et pratiques, était qualifiée, par une majorité de membres de l’ONU, d’État raciste? »

Défendre une égalité complète et sans équivoque entre les Arabes et les Juifs en Israël est devenu synonyme de sédition, voire de trahison. Un juge de la Cour suprême israélienne a récemment déclaré qu’il «est nécessaire d’empêcher un Juif ou un Arabe qui appelle à l’égalité des droits pour les Arabes de siéger à la Knesset ou d’y être élu».

Un sondage récent, réalisé par l’Institut israélien de démocratie, révèle que 53% des Juifs israéliens s’opposent à ce que des droits égaux soient accordés aux citoyens palestiniens d’Israël, et qu’un stupéfiant 57% croient qu’ils devraient être «encouragés à émigrer». Une des principales conclusions est que lorsque les Juifs israéliens disent «nous», ils y incluent bien peu souvent les citoyens palestiniens de l’État.

En ce qui concerne les droits à la propriété immobilière, l’inégalité est catégorique. «En terre d’Israël, il est interdit de vendre un appartement à un Gentil», affirmait le Grand rabbin d’Israël en 1986, commentant la tentative d’un Palestinien pour acheter un logement appartenant au Fond National Juif à Jérusalem-Est.

Dans les autres aspects vitaux de la vie, y compris les lois sur le mariage, le développement urbain et l’éducation, Israël a perfectionné un système complet de discrimination raciale envers ses citoyens palestiniens, qui n’a aucun parallèle dans le monde d’aujourd’hui.

Du fait de toutes les dimensions de l’occupation militaire décrite ci-avant, le statu quo est intenable , que ce soit à cause de la résistance palestinienne ou de la condamnation internationale croissante.

5. Le nettoyage ethnique : la solution finale d’Israël face au problème démographique palestinien

Les politiciens, intellectuels et médias de masse israéliens débattent souvent passionnément pour trouver la meilleure façon de faire face à la «guerre» démographique avec les Palestiniens. Peu d’Israéliens se dissocient de la croyance voulant qu’une telle guerre existe ou devrait exister. L’appel populaire en faveur de la subordination de la démocratie à la démographie a cependant entraîné l’adoption de mécanismes de contrôle de la population, visant à contrôler le nombre de Palestiniens, qui ne sont pas sans rappeler quelque chose.

Donnant un pur exemple d’un tel mécanisme, le Conseil démographique israélien a été reconvoqué l’année dernière pour «encourager les femmes juives israéliennes – et elles seules – à augmenter le nombre de leurs enfants ; un projet qui, si on en juge par les activités du précédent conseil, essayera aussi de limiter les avortements», tel que rapporté par Ha’aretz. Ce groupe prestigieux, qui est formé des plus importants gynécologues, figures publiques, avocats, scientifiques et médecins israéliens, se concentre sur l’augmentation du ratio de Juifs par rapport aux Palestiniens en Israël, en employant «des méthodes pour augmenter le taux de fertilité israélien et pour empêcher l’avortement».

À côté de cette ingénierie démographique, cette «guerre» ouverte contre la croissance de la population palestinienne a toujours impliqué l’incitation à l’immigration en Israël pour les non Arabes, juifs ou non, d’un peu partout dans le monde – de préférence, mais pas nécessairement, la partie blanche – pour être éventuellement israélisés [6 ]. L’universitaire israélien Boaz Evron a écrit :

«La crainte de la «menace démographique» a hanté le sionisme depuis ses tous débuts. En son nom, des Éthiopiens ont été faits juifs malgré l’objection de rabbins. En son nom, des centaines de milliers de Slaves sont venus ici en portant la Loi du Retour comme feuille de figuier. En son nom, des émissaires ont été envoyés de par le monde pour trouver de plus en plus de Juifs. »

Avec le soutien du gouvernement, par exemple, une organisation sioniste, Amatzia, a organisé l’adoption d’enfants étrangers par des familles juives ayant des problèmes de fertilité, insistant seulement sur la condition que les enfants doivent être convertis au judaïsme à leur arrivée en Israël. La Roumanie, la Russie, le Guatemala, l’Ukraine et les Philippines étaient les principaux pays d’origine des enfants ; mais maintenant, après qu’ils se soient «taris», l’Inde est devenue la source de choix, principalement pour la relative facilité d’y acquérir les «biens». La directrice d’Amatzia, Shulamit Wallfish, recherche particulièrement les enfants du nord de l’Inde, «où la peau des enfants est plus pâle, ce qui convient mieux aux familles israéliennes», selon elle.

Plus préoccupé par l’imminente augmentation de la majorité arabe entre le Jourdain et la Méditerranée que par la «pureté juive» souvent invoquée et sanctifiée, Ariel Sharon a en effet demandé aux dirigeants religieux d’accélérer la progression de l’immigration et de l’absorption des non Arabes, même s’ils ne sont pas juifs, afin de fournir à Israël un «régulateur à la population arabe en plein essor», rapporte le Guardian. La vision du gouvernement israélien est que «tandis que la première génération de chaque vague d’immigration peut avoir de la difficulté à embrasser Israël et la judéité, leurs fils et filles deviennent fréquemment de fervents sionistes. Dans le climat actuel, ils sont souvent très à droite.»

Quoique très populaire, une telle politique n’est pas endossée par tous. Par exemple, Eli Yishai, le dirigeant du plus important parti juif séfarade, le Shas, qui est particulièrement préoccupé par l’influx de Gentils, prévient hystériquement :

«D’ici la fin de l’année 2010, l’État israélien perdra son identité juive. Un État laïque amènera… des centaines de milliers de goy qui construiront des centaines d’églises et ouvriront plus de magasins pour vendre du porc. Dans toutes les villes, nous verrons des sapins de Noël. »

Le ministre israélien d’extrême-droite Effie Eitam prédit une autre alternative: «Si vous ne donnez pas le droit de vote aux Arabes, le problème démographique se résoudra de lui-même.»

Le Dr Amnon Raz-Krakotzkin de l’Université Ben Gourion est un des Israéliens consciencieux qui est révolté par ce langage de contrôle démographique qui n’est pas sans rappeler quelque chose. Il a écrit: «C’est effrayant, lorsque les Juifs parlent de démographie.»

Se dissociant également de la principale vision israélienne, Boaz Evron écrit :

«Lorsque nous arrêterons de définir notre essence nationale par des critères religieux, de forcer la conversion de ceux qui sont de bons citoyens israéliens, et que nous abandonnerons les préférences effectivement illégales accordées aux Juifs, il deviendra subitement évident qu’il n’y a aucune raison de se préoccuper de la «menace démographique. »

Cependant, le mécanisme favori a toujours été le nettoyage ethnique. Sans cesse pratiqué, toujours populaire, mais continuellement nié par les sionistes, le nettoyage ethnique a été ressorti des cartons du sionisme au cours des dernières années pour occuper son propre trône.

Le célèbre historien Benny Morris a récemment affirmé que si la Palestine avait été complètement vidée de sa population indigène arabe en 1948, cela aurait conduit à la paix au Proche-Orient.

En réponse, Baruch Kimmerling, professeur à l’Université hébraïque, a écrit :

«Laissez-moi compléter la logique de Benny Morris… Si le programme de la solution finale nazie au problème juif avait été mené à son terme, il y aurait assurément la paix en Palestine aujourd’hui. »

Alors, pourquoi Israël n’agit-il pas maintenant en fonction de ses désirs? Le professeur Ilan Pappé de l’Université de Haïfa a une réponse convaincante :

«Les contraintes qui pèsent sur le comportement d’Israël ne sont pas de nature morale ou éthique, mais plutôt techniques. Jusqu’où pouvons-nous aller sans transformer Israël en un État paria? Sans susciter des sanctions européennes, ou sans rendre la vie trop difficile aux États-Unis? »

Offrant une explication diamétralement opposée, Martin Van Creveld, le plus important historien militaire israélien, qui soutient le nettoyage ethnique, écarte avec arrogance toute préoccupation face à l’opinion internationale, émettant le formidable avertissement suivant :

«Nous possédons plusieurs centaines d’ogives nucléaires et de missiles et pouvons les lancer sur des cibles dans toutes les directions, peut-être même sur Rome. La plupart des capitales européennes sont des cibles pour notre aviation. (…) Laissez-moi citer le général Moshe Dayan: «Israël doit être comme un chien fou, trop dangereux pour l’ennuyer.» (…) Notre armée n’est pas la trentième plus puissante au monde, mais plutôt la deuxième ou la troisième. Nous avons la capacité d’entraîner le monde avec nous dans une chute. Et je peux vous assurer que cela se produira avant qu’Israël coule. »

Cela devrait amplement expliquer pourquoi les Européens ont récemment rangé Israël au premier rang des pays qu’ils considèrent comme une menace à la paix.

Pourtant, une troisième explication, qui converge avec celle de Pappé, est qu’Israël jouit présentement du meilleur des deux mondes : il met en œuvre – sur le terrain – un réseau élaboré de politiques qui rendent la vie des Palestiniens progressivement plus intolérable, et crée ainsi un environnement favorable à un nettoyage ethnique graduel, tout en ne créant pas de scène dramatique – du style Kosovo – qui alarmerait le monde, suscitant la condamnation et de possibles sanctions. [7 ]

6. Israël : les contradictions essentielles indéfendables

L’exclusivité raciale inhérente d’Israël, telle que démontrée plus haut, a convaincu plusieurs citoyens palestiniens de l’État qu’ils ne sont pas seulement dans les marges, mais somme toute non désirés. Ameer Makhoul, le directeur général d’Ittijah, l’organisation qui regroupe les ONG palestiniennes en Israël, a écrit :

«L’État d’Israël est devenu la principale source de danger pour le million de Palestiniens qui sont citoyens de l’État qui leur a été imposé en 1948; un État qui a été érigé sur les ruines du peuple palestinien… Les citoyens palestiniens d’Israël ne peuvent se défendre en se basant sur le système juridique et la Knesset. Ce public n’a pas confiance dans l’État et ses institutions, puisque les règles du jeu israélien ne permettent que la discrimination, le racisme et la répression des aspirations collectives. »

À côté de ce que les Palestiniens pensent ou veulent, la question devrait être posée : est-ce qu’un État qui insiste sur la pureté ethnique peut être qualifié de démocratie, sans priver ce concept de son essence ? Même les loyaux amis d’Israël ont commencé à perdre foi en sa capacité à réconcilier ce qui est fondamentalement irréconciliable : la démocratie libérale moderne et l’ethnocentrisme anachronique. Écrivant dans le New York Review of Books, le professeur de l’Université de New York Tony Judt affirme que :

«Dans un monde où les nations et les peuples s’entremêlent et se marient entre eux, où les obstacles culturels et nationaux à la communication se sont effondrés, où de plus en plus de gens parmi nous ont des identités multiples et se sentiraient contraints s’ils devaient ne se rattacher qu’à une seule, dans un tel monde, Israël est vraiment un anachronisme. Et pas simplement un anachronisme, un anachronisme dysfonctionnel. Dans le «choc des cultures» d’aujourd’hui entre les démocraties ouvertes et pluralistes et les États ethniques agressivement intolérants et conduits par la foi, Israël risque bel et bien de finir dans le mauvais camp. »

Avraham Burg, un dirigeant sioniste engagé, est parvenu à une conclusion similaire. Attaquant la direction israélienne comme une «clique amorale», Burg soutient qu’Israël, qui «repose sur un échafaudage de corruption et sur des fondations d’oppression et d’injustice», doit «abandonner ses illusions et choisir entre l’oppression raciste et la démocratie».

7. Un État laïque et démocratique : de nouveaux horizons

Peu importe ce qu’en disent nos hypocrites, nos vendus ou nos «faux prophètes», Israël, en tant qu’État exclusiviste et colonial [8 ], n’a aucune chance d’être accepté ou pardonné par ses victimes – et comme il devrait le savoir, ce sont les seuls dont le pardon est important.

Malgré la peine, la perte et la colère que l’humanisation relative engendre inévitablement en eux, les Palestiniens ont l’obligation de différencier la justice de la revanche, la première impliquant une décolonisation essentiellement morale, tandis que la deuxième descend dans un cycle vicieux d’immoralité et de désespoir. Comme l’a écrit l’éducateur brésilien feu Paulo Freire :

«La déshumanisation, qui ne marque pas seulement ceux dont l’humanité a été volée, mais aussi (quoique de façon différente) ceux qui l’ont volée, est une distorsion de la vocation à devenir plus humain. (…) [La] lutte [pour l’humanisation] est possible uniquement parce que la déshumanisation, tout en étant un fait historique concret, n’est pas un destin, mais le résultat d’un ordre injuste qui engendre la violence chez l’oppresseur qui, à son tour, déshumanise l’opprimé. (…) Afin que cette lutte ait un sens, l’opprimé ne doit pas, en cherchant à recouvrer son humanité (qui est une voie pour la créer), devenir l’oppresseur des oppresseurs, mais plutôt restaurateur de l’humanité des deux. »

Rejetant la relative humanité de tout bord, et insistant sur la cohérence ethnique, je crois que la façon la plus morale de parvenir à une paix juste et durable dans l’ancienne terre de Palestine passe par l’établissement d’un État laïque et démocratique entre le Jourdain et la Méditerranée, ancré dans une égale humanité et, en conséquence, dans les droits égaux. La solution à un État, qu’il soit binational – une notion qui est largement basée sur la fausse prémisse voulant que la seconde nation en question soit définie [9 ] – ou laïque et démocratique, offre une véritable chance à la décolonisation de la Palestine sans transformer les Palestiniens en oppresseurs de leurs anciens oppresseurs. Le cycle vicieux qui a commencé avec l’Holocauste doit prendre fin une fois pour toutes.

Cette nouvelle Palestine devrait :

1. Avant toute autre chose permettre et faciliter le retour et la compensation à tous les réfugiés palestiniens , seule restitution éthique acceptable à l’injustice qu’ils ont vécue depuis des décennies. Toutefois, un tel processus devra continuellement maintenir un impératif moral, c’est-à-dire éviter d’infliger une souffrance inutile ou injuste à la communauté juive en Palestine;

2. Accorder une citoyenneté pleine, égale et sans équivoque à tous les citoyens, Juifs ou Arabes;

3. Reconnaître, légitimer et même nourrir les particularités culturelles, religieuses et ethniques et les traditions de chacune des communautés. Comme règle générale, je souscris à ce que le professeur Marcelo Dascal de l’Université de Tel-Aviv a proposé avec perspicacité: «La majorité a l’obligation d’éviter autant que possible l’identification de la structure de l’État avec des traits qui empêchent la minorité de s’y engager.»

Les Israéliens devraient reconnaître ce défi moral palestinien posé devant leur existence coloniale non pas comme une menace existentielle, mais plutôt comme une invitation magnanime à démanteler le caractère colonial de l’État, à permettre aux Juifs de Palestine de jouir finalement de la normalité, en tant qu’humains égaux et citoyens égaux d’un État laïque et démocratique – une terre réellement prometteuse en lieu et place d’une fausse Terre Promise.

Cela confirmerait certainement que Roosevelt n’est pas seulement mort, mais qu’il était aussi dans l’erreur.

Omar Barghouti
Traduit de l’anglais par Olivier Roy
(Montréal, Québec)

Notes 

[Note du traducteur :L’article anglais comporte 61 notes. La majorité d’entre elles fournissent les références des nombreuses citations qui émaillent le texte. Nous avons choisi de ne traduire que les notes qui ajoutent un contenu au texte. ]

[1 ] Plusieurs études archéologiques ont démontré que la plupart des histoires contenues dans la Bible et utilisées par les sionistes pour étayer leur revendication de la Palestine ne sont pas soutenues par l’histoire de la région, qui «est basée sur des évidences directes provenant de l’archéologie et de la géographie historique et est soutenue par des analogies qui sont principalement issues de l’anthropologie, de la sociologie et de la linguistique», comme l’a écrit l’archéologue Thomas L. Thompson. Ses découvertes sont soutenues par les recherches étendues, méticuleuses et faisant autorité de distingués archéologues israéliens tels que Ze’ev Herzog et Israël Finkelstein.

[2 ] Henry Kissinger a défini l’objectif israélien ultime comme «une normalité qui met un terme à toutes les revendications [palestiniennes] et détermine un statut légal permanent». En conséquence, il a continuellement conseillé à Israël, en retour de la reconnaissance de l’État palestinien, d’insister sur une contrepartie qui inclurait «une renonciation formelle à toute revendication [palestinienne] future». Cela, affirme-t-il, était «l’essence d’un caractère raisonnable pour les États-uniens et les Israéliens».

[3 ] Les célèbres écrivains israéliens A.B. Yehoshua et Amos Oz ont écrit: «Nous ne pourrons jamais accepter le retour des réfugiés à l’intérieur des frontières israéliennes, puisqu’un tel retour signifierait l’élimination de l’État d’Israël.»

[4 ] L’examen par Amnistie Internationale de la conduite israélienne au cours de l’actuelle Intifada l’a amené à conclure que: «Il y a un modèle de violations grossières des droits de l’Homme qui pourraient très bien constituer des crimes de guerres.»

[5 ] Plusieurs chercheurs ont démontré que l’ainsi nommée «clôture de séparation» sépare effectivement les Palestiniens de leurs terres et les isole dans des bantoustans restreints, pleinement sous contrôle de l’armée israélienne. Ainsi, le seul nom correct et adéquat pouvant être appliqué à cette clôture gargantuesque est: Mur de l’Apartheid, comme plusieurs ont commencé à l’appeler.

[6 ] «L’assimilation israélienne» d’étrangers non Juifs dissout la majorité juive selon de récentes études démographiques. Selon les statistiques les plus conservatrices – et à mon avis trompeuses – environ 10% de la supposée population juive d’Israël est réellement non juive.

[7 ] Les militants pacifistes Gadi Algazi et Azmi Bdeir expliquent: «Le transfert n’est pas nécessairement un moment dramatique, un moment où les gens sont expulsés et fuient leurs villes et villages. Ce n’est pas nécessairement un mouvement planifié et bien organisé avec des autobus et des camions emplis de gens… Le transfert est un processus plus profond, un processus rampant caché à la vue. (…) La principale composante du processus et le sapement graduel de l’infrastructure de vie de la population palestinienne dans les Territoires: son étranglement continu au milieu des bouclages et des sièges qui empêchent les gens d’aller au travail ou à l’école, de recevoir les services médicaux et de permettre le passage des citernes d’eau et des ambulances, ce qui repousse les Palestiniens à l’âge de l’âne et de la charrette. Prises ensemble, ces mesures minent l’emprise de la population palestinienne sur sa terre.»

[8 ] Même l’ancien adjoint au maire de Jérusalem, Meron Benvenisti, a dit: «…au cours des deux dernières années, je suis arrivé à la conclusion que nous avons affaire à un conflit entre une société d’immigrants et une société indigène. En un tel cas, nous parlons d’un conflit entièrement différent. (…) Parce que l’élément fondamental ici ne consiste pas en deux mouvements nationaux qui se font face; l’élément fondamental en est un d’indigènes et de colons. C’est l’histoire d’indigènes qui sentent que des gens venant de la mer ont infiltré leur habitat naturel et les ont dépossédés.»

[9 ] Le binationalisme est basé sur deux suppositions problématiques: que les Juifs forment une nation, et qu’une telle nation a le droit d’exister en tant que telle en Palestine. Clairement, le binationalisme ne peut fonctionner entre les Palestiniens d’un côté et les Juifs du monde de l’autre. Mais est-ce que les Juifs israéliens se définiraient comme une nation? Probablement que non, puisque cela contredirait la prémisse fondamentale du sionisme. Alors, est-ce que les Israéliens se voient comme une nation? Certainement pas, puisqu’en plus de se séparer du sionisme, cela impliquerait aussi la minorité de 20% de Palestiniens.

 




Que veulent les réfugiés palestiniens au Liban ?

le 10/11/2006 17:50:00 (1402 lectures)

Contribution d’Ali Huwaydi à l’occasion de la Rencontre élargie palestinienne. A. Huwaydi est le représentant du centre palestinien al-Awda, au Liban. La rencontre a été organisée par l’organisation palestinienne des droits de l’homme « Huquq », en collaboration avec l’institution palestinienne des droits de l’homme « Shahed », et l’Union générale des Juristes palestiniens au Liban, à Beirut, du 30 septembre au 3 octobre 2005.

Cet contribution a pour objectif central de démontrer que la question du retour des réfugiés palestiniens est une question politique centrale et que le droit au retour est un droit collectif inaliénable pour le peuple palestinien. Ali Huwaydi montre en effet que l’autodétermination palestinienne n’aurait aucun sens si l’on privait le peuple palestinien de son droit le plus élémentaire a savoir de recouvrer ses terres et de vivre uni sur son territoire.

L’auteur insiste aussi sur le fait que le droit international reconnaît pleinement que le droit au retour d’une population sur son territoire est un droit fondamental en détaillant les différentes conventions internationales et résolutions de l’ONU. Il montre enfin que ce droit est sans cesse bafoué par Israël dans les différents « plans de paix » proposés par la volonté d’implantation des palestiniens à l’extérieur de la palestine.

Ainsi, les dirigeants palestiniens seront responsables devant leur peuple et devant l’histoire s’ils transigent avec ce principe du retour de tous les palestiniens sur la terre de Palestine.

SOMMAIRE

1. Les Nations-Unies et le double standard
2. Le droit au retour et l’autodétermination
3. Droit au retour, sa nature, sa place et son ayant-droit
4. Les compensations
5. Implantation et transfert
6. La crainte de la naturalisation
7. La participation à l’autodétermination


La question des réfugiés palestiniens et celle du droit au retour sont les questions politiques les plus importantes posées en vue d’un règlement , car elles reflètent le fondement et l’avenir du conflit dans la région, depuis et avant même la Nakba de 1948, dans leurs deux dimensions, démographique et géographique. L’occupant israélien a commencé à mesurer la réalité du droit au retour en tant qu’élément essentiel dans l’équation du conflit, c’est pourquoi il n’a pas cessé de vider ce droit de son contenu en proposant divers projets et plans politiques, depuis la création de l’entité israélienne jusqu’à présent.

Le premier ministre des affaires étrangères Moshe Sharett avait décrit l’expulsion des Arabes de Palestine comme étant « l’événement le plus important dans l’histoire contemporaine de la Palestine et beaucoup plus excitant que la création de l’Etat Juif  » (lettre de M. Sharett à Nahum Goldman juin 1948).

Les gouvernements successifs israéliens essaient de tourner la page des réfugiés à tout jamais. Le gouvernement Sharon a même publiquement appelé à exécuter des politiques d’implantation des réfugiés dans les lieux où ils se trouvent, avec des aides internationales et arabes. Le 5ème congrès d’Herzelia, qui s’est tenu entre le 14 et le 16 décembre 2004, fut le point culminant de l’attaque israélienne contre le droit au retour, demandant clairement l’implantation des réfugiés avant le règlement de la question palestinienne, la posant comme condition pour parvenir à un règlement avec l’Autorité palestinienne. Silvan Shalom a même déclaré devant le congrès : « le fondement essentiel pour instaurer la confiance a été et reste la revendication des Palestiniens du droit au retour et l’utilisation du terrorisme. C’est pourquoi nous devons agir pour supprimer ce fondement représenté par les prétentions palestiniennes au retour. Pour ce faire, il faut agir par le biais des paroles et actions palestiniennes, que les Palestiniens disent qu’ils ont l’intention de remettre en état les camps de réfugiés dans les lieux où ils se trouvent actuellement, et le monde entier doit participer à cela. Les efforts pour réhabiliter les camps de réfugiés palestiniens ont une grande utilité, pour les Palestiniens, pour nous et pour le monde « . Il a ainsi confirmé le vrai objectif d’Israël concernant le règlement voulu, en tournant la page des réfugiés, en disant : « Il est nécessaire que les Palestiniens disent clairement que leurs ambitions nationales n’incluent pas le retour des réfugiés aux alentours d’Israël « .

Mais ce n’est pas tout. Sharon a montré sa satisfaction vis-à-vis de son accord avec les Etats-Unis concernant l’annulation du droit au retour des réfugiés palestiniens aux frontières de 48, et a affirmé, après le retrait de la bande de Gaza « il n’y aura pas d’autres désengagements unilatéraux, ni négociations sur Jérusalem ni sur le retour des réfugiés  » au moment où Netanyahu demandait que se déploie « l’effort pour démanteler les camps de réfugiés et éloigner la violence de cette société « . Pour Netanyahu, l’attachement des Palestiniens au droit au retour et leur insistance à le faire appliquer est considéré terrorisme et violence.

Aux côtés de ces positions publiques de l’entité israélienne en vue de mettre en avant l’idée d’implantation des Palestiniens, nous avons également les déclarations du directeur général du ministère israélien des affaires étrangères, Ron B., à la radio de l’armée israélienne le 15 décembre 2004, disant que son ministère prépare un plan pour implanter les réfugiés palestiniens en Cisjordanie, la bande de Gaza, la Syrie et le Liban. La communauté internationale financerait l’amélioration de la situation des réfugiés palestiniens, dans la bande de Gaza, au début, et ensuite en Cisjordanie, puis en Syrie et au Liban. Le ministère israélien des affaires étrangères, Silvan Shalom, s’est dirigé récemment vers les pays donateurs et la Banque Mondiale pour réclamer le financement du plan israélien. Ce plan exigerait que des Etats dans le monde intègrent sur leurs sols des réfugiés palestiniens !

1. Les Nations-Unies et le double standard

Si le droit international est constitué d’un ensemble de principes et de valeurs que la plupart des Etats du monde ont reconnu et signé, voyant dans ces principes un moyen de préserver les droits et de les remettre aux principaux concernés, et d’organiser les relations entre Etats, la communauté internationale a, malheureusement, agi avec ces lois en se soumettant aux rapports de force, à la domination et aux intérêts, en ce qui concerne la question palestinienne.

Si nous entendons par légalité internationale la manière d’appliquer le droit international par les appareils des Nations-Unies, celles-ci ont appliqué les lois internationales relatives à la question palestinienne en s’alignant totalement du côté de l’occupant israélien agresseur. Après que les Etats-Unis aient dominé unilatéralement l’institution internationale, les Nations-Unies ont utilisé, sous couvert de légalité internationale, des moyens qui furent des violations flagrantes du droit international. C’est pourquoi il est nécessaire de s’entendre sur le fait que le droit international est une chose et l’application de ce droit une autre, totalement différente, c’est ce qui est clair et évident pour la question palestinienne de manière générale et la question des réfugiés et du droit au retour plus particulièrement.

C’est pourquoi il est nécessaire pour le monde qui traite les questions internationales selon différents critères, d’avoir une attitude ferme en ce qui concerne le droit au retour des réfugiés palestiniens. L’accord de paix de Dayton pour l’ancienne Yougoslavie a reconnu le droit au retour des victimes du nettoyage ethnique, et il en est de même pour le Timor-oriental, le Guatémala, le Mozambique et d’autres. Le Haut-Commissariat aux affaires des réfugiés a déclaré au début de 1996 que « près de neuf millions de réfugiés ont pu retourner à leurs pays au cours des cinq dernières années, et que 1,2 millions de réfugiés sont retournés chez eux entre 1985 et 1995, soit au cours de dix ans, plus de 10,2 millions de réfugiés sont retournés dans leurs pays ».

Par conséquent, le peuple palestinien a le droit d’accepter ou de refuser toute résolution ou loi, en fonction des principes et des critères qui servent ses intérêts, ce qui veut dire que le peuple palestinien n’est pas obligé d’accepter une décision qui ne prend pas en compte tous ses droits à sa patrie. Nous comprenons et savons parfaitement que la résolution historique de la question palestinienne réside dans tous ces lieux épars de réfugiés. Ce qui est en cause, c’est l’application de la justice, qui exige le retour de tous les Palestiniens à leurs propriétés et leurs maisons en Palestine, et non ailleurs.

2. Le droit au retour et l’autodétermination

« Le droit au retour a évolué par les contributions des Nations-Unies, et notamment de son assemblée générale, dans deux orientations principales. L’une affirmant dès la fin des années 60 qu’il s’agit d’un droit inaliénable, et une autre orientation s’est développée lorsque ce droit a été rattaché au droit à l’autodétermination. C’est la résolution 194 émise en 1948 qui a transformé ce droit, qui insiste sur son aspect individuel, en un droit collectif, ce qui veut dire que le peuple palestinien a le droit au retour (et) aux compensations et non (ou) aux compensations. C’est un droit collectif, ce droit du peuple palestinien a été adopté par les Nations-Unies dès la fin des années 60, affirmant qu’il ne peut être modifié et affirmant aussi son rattachement au droit à l’autodétermination, étant donné qu’il est une condition essentielle à la pratique du droit à l’autodétermination  » (Sh. Masri, conférence à l’Université américaine, décembre 2003).

Les nombreuses contributions aux jugements de la Cour Internationale de justice considèrent que le droit à l’autodétermination fait partie des règles régissant le droit international, de telle sorte qu’il n’est pas autorisé à mettre des freins à ce droit ou de refuser sa confirmation, ou d’agir de façon à empêcher son exécution.

Ainsi, le droit du peuple palestinien au retour n’est pas seulement devenu un droit ne pouvant pas être modifié mais un droit fondamental conditionnant le droit à l’autodétermination. Ce qui signifie que tout pouvoir palestinien, qu’il soit nommé ou élu, n’a pas le droit de modifier ce droit, en tant que droit collectif du peuple palestinien et en tant que nécessaire pour l’autodétermination. Car toute modification de ce droit peut priver les deux tiers du peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination, mais aussi le priver du retour, essentiellement.

Pour cela, le droit au retour est confirmé par le droit international en tant que droit individuel à la base, comme l’indiquent l’article 13 de la déclaration internationale des droits de l’homme et l’article 12 de la déclaration internationale pour les droits politiques et civiques, et l’article 5 de l’accord contre la discrimination raciale. Tous ces articles affirment que « l’individu a le droit de partir vers un quelconque pays et de retourner à son pays, et il est interdit de priver, par la force, quiconque de retourner à son pays « . Le droit au retour est garanti par le droit à l’autodétermination, et c’est ce qu’ont reconnu les Nations-Unies en 1946 en tant que « principe » et « droit ». Ce n’est pas une décision politique ou un accord de bonne entente ou de règlement (Mahmoud Abbas, Conseil Palestinien aux relations extérieures, Gaza, 1998).

3. Droit au retour, sa nature, sa place et son ayant-droit

« Il y a une réalité que connaissent les Palestiniens et les Arabes, mais aussi tous ceux qui connaissent la réalité du droit au retour dans le droit international, c’est que le droit au retour à un lieu et à un moment dépend du conflit entre deux éléments principaux qui sont les êtres humains et la terre  » (Salman Abu Sitta, 1999). Le droit au retour est un droit juridique, c’est un droit dépendant du droit à la propriété, de son utilisation et de la vie sur la terre possédée. Le droit au retour n’est pas annulé par la suppression de l’occupation, cette question est refusée sur le plan international. Après le foisonnement des explications et commentaires, nous trouvons important de centrer sur la nature du droit au retour, son ayant-droit et le lieu concerné.

Le droit au retour du peuple palestinien est un droit fondamentalement individuel, mais il a acquis une dimension collective parce qu’il est rattaché à la question d’un peuple dans son ensemble. Il est de nature civile et humaine, ce qui signifie qu’il inclut la réappropriation des propriétés, et il en est même temps de nature politique, ce qui signifie la réappropriation de la citoyenneté ou de la nationalité.

Quant au lieu du retour, il n’y a aucune ambiguité ou doute à ce propos, ce qui signifie que le retour est en direction de la Palestine historique, ce qui signifie que le fils de Haïfa revient à Haïfa, le fils de Akka à Akka et le fils de Safad à Safad…

Quant aux ayant-droits, Géraud de la Pradelle dit que le droit au retour fait de tout Palestinien un ayant-droit, et tout individu de ce groupe jouit de ce droit, individuellement, ce caractère individuel et civil inhérent à l’être humain lui permet en principe de résoudre une question importante qui est l’aptitude à hériter par suite de décès (R. Babadaji, Institut des Etudes Palestiniennes, Beirut, août 1996).

L’entité israélienne a inventé en 1951 une loi mensongère de retour pour les juifs, apportant ensuite des non-juifs en Palestine. Le juif et le non-juif viennent de différents pays et s’installent dans nos maisons. Mais le retour auquel nous devons restés attachés, nous, les Palestiniens, est un droit que la légalité internationale a adopté et reconnu, et il n’est pas une invention.

4. Les compensations

Le slogan « retour ou compensations » doit être absolument refusé et supprimé du dictionnaire palestinien. Les Palestiniens revendiquent le retour et les compensations. La compensation n’est pas le prix de la maison, la terre ou le champ, la compensation signifie toute la perte subie par le peuple palestinien n’ayant pas pu mettre à profit les ressources et les moyens de vie tout au long des années de l’exil.

Le droit des Palestiniens au retour dans leur patrie, d’y vivre et d’y exercer leur souveraineté est le fondement. La recherche sur le droit à la compensation ne signifie pas une alternative au droit principal, mais il s’agit de montrer les aspects juridiques de ce droit. Le droit du peuple palestinien au retour à sa patrie ne s’évalue pas en monnaie, c’est une question qui n’est pas soumise au troc ou à l’échange, car la patrie et la souveraineté ne se vendent ni ne s’échangent. Rien que de penser à une solution uniquement monétaire pour résoudre la question des réfugiés, comme cela a été proposé un jour « que chaque réfugié palestinien reçoive 20.000 dollars en contrepartie de la reconnaissance par l’entité israélienne de sa reconnaissance morale  » est en soi une insulte à la cause et à toutes les valeurs humaines.

Sur cette base, il est impossible de chercher à résoudre la question des réfugiés sans rechercher la résolution de la question politique elle-même, qui fut la cause de ce problème. Le maintien et l’accentuation du problème des réfugiés sont le principal indicateur de la permanence et de l’accentuation du problème principal, ce qui pose les Nations-Unies, la communauté internationale, le monde arabe devant leurs responsabilités historiques pour remettre les choses à leur place, ce qui est le seul moyen pour trouver une solution radicale à la question des réfugiés palestiniens. « Ce droit (retour et compensations) a été cité et confirmé plusieurs fois, dans plusieurs résolutions internationales : 4ème convention de Genève, résolution 194 des Nations-Unies (11 décembre 1948), décision de partage 181 (29 novembre 1947), le droit de récupérer les biens et les fortunes garanti par les lois internationales  » (S. Abd Rabboh, Centre d’informations alternatives, juin 1996).

Mais « il convient de porter l’attention sur certains termes parus dans la résolution 194 du 11 décembre 1948 où il est mentionné « la nécessité de payer des compensations pour les propriétés pour ceux qui décident de ne pas revenir à leurs maisons, pour les pertes ou les dégâts des propriétés « . Concernant ce passage, le peuple palestinien doit refuser la compensation pour ceux qui décident de ne pas revenir, car ces propriétés sont un héritage, et l’individu n’a pas le droit de toucher le prix de ce qui a un caractère collectif (Sh. Abdel Aziz Badir, Politique Internationale, le Caire, octobre 1999).

Par conséquent, le droit au retour et aux compensations ne doit pas être laissé comme une question pouvant être réglée entre l’individu palestinien et l’entité occupante, mais il est nécessaire qu’il soit assumé sur le plan international, tout comme les Palestiniens, en tant qu’entité politique, sont dans l’obligation d’adopter cette question, et après eux, les Arabes et tous ceux qui sont concernés. Si l’Autorité ou le gouvernement palestiniens négligent ou renoncent à cette charge, ils perdent immédiatement leur aptitude à représenter (le peuple palestinien).

5. Implantation et transfert

Les projets d’implantation ne sont pas nouveaux pour le peuple palestinien. Les gouvernements successifs israéliens ont proposé au moins une douzaine de projets pour régler la question des réfugiés. Ces propositions étaient centrées sur l’implantation à nouveau des réfugiés palestiniens hors de leur patrie, et actuellement, il y a des projets en cours de la part de centres d’études et de recherches, dirigés par des Juifs américains, comme Donna Arezt, d’origine russe, qui a préparé en 1999 un plan pour implanter les réfugiés, à la demande du gouvernement américain, qui propose le transfert et la répartition à nouveau de 5 millions et 257.000 réfugiés dans les Etats de l’Orient arabe et quelques Etats occidentaux, en tant que solution finale du conflit arabo-israélien. Une autre analyste de la CIA, Kathreen Kistison dit, en 2000, que « l’implantation des réfugiés dans les pays arabes est une solution plus appropriée pour les Etats-Unis car elle ne porte pas de discussions avec Israël « .

Le projet Arezt demande de la Jordanie l’intégration (implantation) de 168.000 réfugiés d’ici 2005, en plus de la naturalisation des 1.182.000 réfugiés présents actuellement en Jordanie, à la Syrie 75.000 et le même chiffre au Liban, et 519.000 à l’Arabie Saoudite, au Kuweit, à l’Iraq et l’Egypte, auxquels s’ajoutent les 446.000 réfugiés présents dans les quatre derniers pays arabes.

Le même projet demande l’implantation de 90.000 réfugiés dans les pays européens, les Etats-Unis et le Canada, en plus de ceux qui y sont déjà, tout comme il propose le retour de 75.000 réfugiés des pays arabes vers la Palestine occupée en 48 à condition « de prouver qu’ils ont habité la Palestine avant la Nakba ou qu’ils ont des proches qui y vivent et à ceux-là, il leur sera versé des compensations des caisses des Etats arabes en contrepartie des compensations réclamées par les Juifs ayant quitté les pays arabes après l’occupation israélienne de la Palestine « . Tout cela correspond entièrement à la position israélienne qui demande l’implantation et l’assimilation d’un nombre symbolique limité de réfugiés palestiniens à l’intérieur de l’entité israélienne, le refus de participer à tout financement de ce plan qui sollicite le financement des Etats occidentaux et des pays du Golfe. Pour les Palestiniens, un tel plan signifie encore plus de transfert et d’exil.

L’appel le plus récent à l’implantation des réfugiés palestiniens a été émis par Sharon au début de l’année 2005 dans ses propositions à l’Union européenne. Il s’agit d’un plan semblable à celui d’Arezt, dans ses grandes lignes, pour « en finir avec le problème des réfugiés palestiniens de 48 « , par la construction de bâtiments durables dans les camps, en répartissant les réfugiés des camps dans des lieux divers à l’intérieur des pays où ils se trouvent actuellement, afin qu’ils soient assimilés dans les sociétés arabes. Le ministère israélien des affaires étrangères prépare une large offensive diplomatique pour amener les pays arabes et européens à exercer leurs pressions pour soutenir ce plan, qui exige une augmentation du budget de l’UNRWA pour 2005, en vue de la construction de bâtiments fixes et durables.

6. La crainte de la naturalisation

Le monde a reconnu le droit à tout être humain d’obtenir la nationalité de son pays, et la nationalité de tout autre Etat qui le lui accorde, et de ce point de vue, le peuple palestinien a le droit, comme tous les peuples, à exercer ce droit et à être traité selon les mêmes critères, ce qui signifie que l’obtention par un Palestinien d’une autre nationalité, arabe ou européenne, n’annule pas son droit au retour à sa patrie ni à être naturalisé palestinien. C’est d’ailleurs ce que montrent les espaces européens et occidentaux, où vivent des personnalités palestiniennes ayant obtenu la nationalité des divers pays et qui continuent à exercer leur rôle national dans la préservation, la protection et la défense du droit au retour. Mais les discussions qui se déroulent concernant la naturalisation des Palestiniens installés dans des Etats n’ont pas la même signification, puisque leurs appels à la naturalisation vont de pair avec la suppression du droit au retour, considérant que l’appel à la naturalisation collective des réfugiés annule la responsabilité internationale à leur égard, et de ce fait, les prive de leurs droits légaux. C’est également un alignement total avec les projets israéliens.

En conséquence, toute tentative d’installer les Palestiniens peut réussir dans l’avenir, pour différentes raisons, que ce soit individuellement ou collectivement, mais cela n’annule pas pour autant le droit historique du Palestinien à retourner à sa maison, à son pays d’origine, et l’obtention de sa nationalité en Palestine.

Tout comme le fait d’installer ou de naturaliser tout réfugié palestinien, ou ses enfants, dans n’importe quel bout de terre n’annule pas son droit au retour dans sa maison et sur sa terre en Palestine. Il doit y avoir unanimité palestinienne sur le fait que tout palestinien habitant dans tout lieu, quel que soit sa proximité de la Palestine, n’annule pas son droit au retour à son village et sa maison qu’il habitait avant 1948.

Pour cela, dans le cas de la création d’un Etat palestinien, si le réfugié palestinien se déplace de tout pays arabe ou étranger vers cet Etat, et se met en place ce dont on parle ces temps-ci, l’installation des milliers de Palestiniens du Liban à Gaza… Selon la loi internationale, ce déplacement n’annule pas son droit au retour au pays d’où il a été expulsé en 1948 ou après, ni aux compensations.

7. La participation à l’autodétermination

En conséquence des multiples justifications avancées par le négociateur palestinien, à chaque période, que ce soit des accords intérimaires, ou momentanés, ou à cause de la situation arabe, ou les conséquences de la guerre du Golfe, ou la domination unilatérale américaine sur le monde, et d’autres justifications… Des déclarations sont faites, des positions sont précisées, puis nous assistons à nouveau à des reculs avec de nouvelles justifications, pour finalement arriver à une situation grave, qui exige de nous une attitude ferme…

Il est important que le peuple palestinien dise clairement et ouvertement sa position :

1 – le peuple palestinien est un, et indivisible, avec près de 9 millions d’individus il comprend également ceux qui vivent en exil et dans les terres de 48. La question palestinienne est une question de peuple et de terre, qui sont indissociables.

2 – Aucun Palestinien ne peut prétendre pouvoir, au nom du peuple palestinien, revenir sur les droits palestiniens. Personne ne peut ignorer l’opinion de deux tiers du peuple palestinien qui vit en exil.

3 – Tout négociateur, toute autorité ou tout gouvernement, et même toute génération, n’a pas le droit de modifier ni de remplacer les droits des réfugiés à leur patrie, et la création d’un Etat palestinien ne peut se faire au dépens du droit au retour, car la création d’un Etat est une chose, et le droit au retour une autre, et le principe de l’échange est refusé.

4 – Tout signataire d’un quelconque accord mettant en cause les droits du peuple palestinien au retour à sa patrie et à ses propriétés, dans le cadre de règlements politiques ou sécuritaires, quelle que soient les tentatives de lui donner un caractère collectif palestinien ou d’accord arabe, ou de pressions internationales, s’expose au jugement de l’histoire.

5 – Les institutions populaires palestiniennes et les institutions de la société civile palestinienne et arabe doivent surveiller, avec exactitude, toute mesure prise par l’Autorité palestinienne et adopter une position claire et nette vis-à-vis de cette mesure et agir au moment approprié.

6 – Le peuple palestinien a fait échouer des dizaines de projets d’implantation et cela n’est plus à prouver. Il a gardé ses spécificités en tant que partie de la patrie arabe, conservant sa cohésion sociale et ses liens familiaux.

Ali Huwaydi
www.prc.org.uk
Traduit par Centre d’Information sur la Résistance en Palestine




Hezbollah et Israël : aux sources du conflit

Article de Georges Corm paru sur le site du Réseau Voltaire en octobre 2006.

L’auteur est consultant économique et historien, ancien ministre des Finances du Liban (1998-2000). Il enseigne la coopération économique internationale et les finances publiques à l’université Saint-Joseph de Beyrouth.

Pour G. Corm, l’offensive israélienne de l’été 2006 n’a rien à voir avec la défense d’un État, mais correspond à une expansion coloniale. Selon lui, « il apparaît de plus en plus que les États-Unis et Israël servent de polarisateurs à un regain de visées hégémoniques et autoritaires dans le monde, voir même de type fasciste ».


La crise actuelle qui a entraîné le Liban à nouveau dans un cycle de violences et de destructions peu communes ne peut se comprendre que si son analyse est élargie au double contexte historique et régional. Se contenter de l’analyse faite par les États-Unis, Israël et le Royaume-Uni ou d’autres pays européens qui sympathisent avec leurs thèses ne permet pas de comprendre les enjeux complexes, ni d’appréhender une solution qui participerait à l’apaisement des tensions régionales majeures qui déchirent le Proche-Orient depuis des décades.

Bien au contraire, la simplification, voir la caricature binaire du conflit comme un affrontement entre des « terroristes » (le Hezbollah) manipulés par « un Axe du Mal » (la Syrie et l’Iran) qui s’oppose aux aspirations démocratiques des peuples de la région que les États-Unis s’efforcent de réaliser, est une recette qui ne peut que mener à la catastrophe dans le futur, même si une stabilisation est trouvée dans le court terme.

Cette caricature pourtant constitue le cœur de la doctrine israélo-américaine et anglaise sur la crise libanaise et toutes les autres crises et tensions de la région. C’est elle qui structure tous les commentaires et les analyses et les présentations des nouvelles dans les grands médias occidentaux ; elle peut se résumer de la façon suivante en sept points :

1. Le Hezbollah est une organisation terroriste, tout comme le Hamas en Palestine,

2. Il attaque de façon injustifiée et inadmissible l’État d’Israël,

3. Israël est donc dans son bon droit en voulant éradiquer le Hezbollah du Liban, c’est un État qui protège légitimement sa population civile des agressions commises par ce groupe terroriste

4. Les victimes civiles libanaises ne sont dues qu’à la lâcheté du Hezbollah qui prend en otage la population civile libanaise et en fait un bouclier humain,

5. Sans la Syrie et l’Iran qui lui fournissent armes et financement, le Hezbollah ne pourrait pas exister,

6. L’idéologie du Hezbollah est la même que celle du Hamas ou de la nébuleuse des groupes jihadistes que Ben Laden animerait, c’est-à-dire un fascisme islamique redoutable anti-occidental et anti-sémite qui refuse toutes les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme,

7. C’est donc une partie d’un ennemi global de l’Occident et de la civilisation qu’il faut extirper du Moyen-Orient pour assurer la paix du monde.

Le plus consternant dans cette approche est la confusion générale qu’elle sème et les tensions qu’elle fait monter au Proche-Orient alimentées par l’ampleur et la cruauté des actions de l’armée israélienne qui à le monopole de la violence aérienne qui est exercée sans aucune retenue contre les immeubles d’habitations et les infrastructures civiles et administratives au Liban, comme à Gaza ou en Cisjordanie. Ces images de souffrances indicibles des populations civiles palestiniennes et libanaises, s’ajoutent aux images de souffrances de la population irakienne sous occupation américaine et britannique essentiellement.

La contradiction principale de cette approche réside dans le fait que si la Syrie et l’Iran sont les deux puissances régionales qui manipulent les groupes dits « terroristes », pourquoi martyriser inutilement des populations civiles libanaise et palestiniennes au lieu de s’en prendre directement à ces deux États ? Cette contradiction s’est déjà révélée dans la catastrophe de l’invasion américaine de l’Irak sous prétexte de lutte contre le terrorisme de Ben Laden, alors qu’aucun lien n’a jamais existé entre Ben Laden et le régime irakien.

Après avoir fait supporter à la population civile irakienne 13 ans d’un embargo implacable qui a fait mourir, aux dires des organisations internationales telles que la l’UNICEF ou la FAO ou la Croix Rouge, plusieurs dizaines de milliers d’Irakiens pauvres, et particulièrement d’enfants, les États-Unis et le Royaume-Uni ont cru bon d’abreuver la population irakienne en 2003 de milliers de tonnes de bombes.

En réalité, le problème se situe au niveau de l’analyse du terrorisme « proche-oriental » par les États-Unis et des conséquences qui en sont tirées sur le plan international. La conception et la doctrine états-uniennes sur le sujet sont claires : le terrorisme est une forme de mal qui n’a de cause ou d’explication que dans l’existence d’une « force du Mal » qui cherche à dominer la « force du Bien » incarnée par les démocraties occidentales. Ces forces terroristes sont une et même force, qu’il s’agisse du Hezbollah au Liban, du Hamas en Palestine occupée ou des groupes Ben Ladenistes qui opèrent désormais en Irak pour combattre « la force du Bien » , les États-Unis qui y établissent la démocratie.

L’analyse est ici d’une telle pauvreté intellectuelle qu’elle mène directement à des politiques catastrophiques. Pourtant, cette analyse est désormais la doctrine officielle des Nations-Unies qui, dans le document majeur destiné à proposer les lignes d’une réforme de l’institution à l’occasion du sommet des chefs d’État tenu en septembre 2005, considère qu’un seul danger guette l’humanité, celui du terrorisme dit « transnational » (c’est-à-dire « islamique ») qui cherche à mettre la main sur des armes de destruction massives [1].

Aucun des conflits et des situations qui ont entraîné le terrorisme moyen-oriental n’est évoqué ; aucune distinction n’est faite entre la résistance légitime à des occupations et le terrorisme de type classique qui émane de groupes ayant des idéologies de type messianique et nihiliste et qui ont, par ailleurs jalonné l’histoire moderne, notamment le terrorisme russe de la seconde partie du XIXè siècle ou, plus près de nous le terrorisme de groupes marxisants dans les années 60 et 70 du siècle dernier et qui ont affecte l’Italie, l’Allemagne, la France, l’Amérique latine.

Bien plus, aucune évocation n’est faite de l’instrumentalisation que les États-Unis eux-mêmes ont pratiqué des groupes de jeunes djihadistes arabes anti-soviétiques qu’ils ont soutenu et armés pour lutter contre l’influence grandissante de l’URSS dans le tiers-monde et le développement spectaculaire des partis marxistes et qui sont partis se battre en Afghanistan, puis en Bosnie et qui sont aujourd’hui en Tchétchénie ; ceci, sans parler des religieux en Iran pour contrer la révolution bourgeoises et nationaliste du Premier ministre, Mossadegh, qui avait nationalisé l’industrie du pétrole iranien en 1952, puis pour se substituer au pouvoir défaillant du shah d’Iran en 1979 face au risque d’une prise de pouvoir du parti communiste iranien et des marxisto-islamiques des Moujahidin Khalq.

Plus grave encore, la doctrine états-uno-israélienne et britannique sur le terrorisme ignore de façon absolue et drastique le fait que l’État d’Israël est en infraction permanente à tous les principes du droit international, des résolutions des Nations Unies qui la concernent et des Conventions de Genève sur les responsabilités de l’occupant, notamment la protection de la population civile, ainsi que l’interdiction de changer la structure démographique d’un territoire occupé, l’interdiction de châtiments collectifs sur la population civile).

Aujourd’hui, lorsqu’Israël, les États-Unis, la France et d’autres pays insistent sur la nécessaire application de la résolution 1559 qui enjoint, entre autres, le gouvernement libanais de désarmer le Hezbollah et les groupes palestiniens encore présents au Liban et de déployer son armée, qui n’a plus guère d’équipement que la FINUL présente au sud du Liban depuis 1978, ils oublient toutes les autres résolutions des Nations Unies concernant l’évacuation par Israël des territoires occupés en 1967 (Gaza et la Cisjordanie, le Golan Syrien, la zone des Fermes de Chébaa à la lisère de la frontière entre Israël, la Syrie et le Liban) et le droit des Palestiniens expulsés ou ayant fui les combats en 148, puis en 1967 à revenir dans leur foyer ou à être indemnisés par l’Etat d’Israël.

Pour ce qui est du Liban, Israël prétend avoir respecté la résolution 425 de 1978 qui lui demandait d’évacuer inconditionnellement le Sud du Liban envahi en mars de cette année là, sous prétexte de la présence de guérilla palestinienne opérant contre le territoire israélien à partir du Liban. Mais Israël oublie de dire que c’est la résistance tenace des militants du Hezbollah qui sont tous jeunes villageois du Sud du Liban qui l’ont obligé après 22 ans d’occupation à se retirer unilatéralement en mai 2000 à quitter ce territoire.

Israël et les États-Unis oublient aussi de dire que c’est l’État d’Israël qui a empêché en 1978 la FINUL de se déployer jusqu’à la frontière de façon à ce que l’occupation de 1000 km2 dans cette région du Liban puisse perdurer.

On peut évidemment être étonné que le Hezbollah après l’évacuation des Israéliens du sud du Liban ait conservé ses armes et n’ait pas immédiatement été intégré à l’armée libanaise. En réalité, plusieurs facteurs ont contribué à convaincre l’armée libanaise et une majeure partie des forces politiques du pays que cette intégration était prématurée.

Parmi ces facteurs :

1. l’absence de garanties pour le Liban que son territoire serait désormais à l’abri d’une nouvelle occupation ou de nouvelles agressions de l’armée israélienne contre le Liban, agressions quasi-quotidiennes depuis 1968, en sus des deux invasions du Liban en 1978 et en 1982 ;

2.de plus, après l’évacuation de 2000, les violations de l’espace aérien et maritime libanais ont été permanentes ;

3. de plus, l’État d’Israël a maintenu de très nombreux prisonniers libanais en Israël.

4. Enfin, ce dernier a refusé de reconnaître que le territoire des fermes de Chébaa était libanais, avait été occupé après l’invasion du Golan syrien durant le guerre de 1967 et ne relevait donc pas de la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, mais bien de la résolution 478 concernant l’évacuation des territoires occupés.
Face à l’armée israélienne, et comme l’ont montré les évènements récents, seule une guérilla bien entraînée et bien aguerrie peut empêcher une nouvelle occupation et non point une armée régulière qui ne dispose d’aucune aviation et d’aucun système de défense antiaérienne. La question des armes du Hezbollah était d’ailleurs en discussion, sous la pression des États-Unis et de la France pour l’application de la résolution 1559, dans un dialogue national officiel qui tenait des séances régulières, lorsque les évènements dramatiques récents sont arrivés.

Par ailleurs, on peut désapprouver l’étiquette religieuse sous laquelle se bat le Hezbollah, son « extrémisme » ou sa « radicalité », sa rhétorique anti-israélienne ; la réalité est que ce mouvement, tout comme le Hamas, est le successeur des mouvements de libération nationale et de décolonisation. Le Hezbollah, à coloration chiite, le Hamas à coloration sunnite, se battent d’abord pour libérer des territoires occupés ; ils sont les héritiers des Fellaga algériens, du Vietcong vietnamen et de tant d’autres mouvements de libération du tiers monde anti-impérialiste.

La coloration religieuse de ces deux mouvements provient de la nature même de l’État d’Israël qui se définit lui-même comme État des Juifs et qui occupe et colonise des territoires en infraction aux résolutions des Nations Unies et aux conventions de Genève. L’État d’Israël est soutenu sans réserve par les États-Unis qui se définissent eux aussi comme une « nation de croyants » et, de façon plus générale, par les pays occidentaux qui depuis quelques années se définissent à leur tour comme défendant des valeurs judéo-chrétiennes ; l’ancienne définition de l’Occident comme héritier de la civilisation gréco-romaine a disparu des vocabulaires. On peut donc difficilement critiquer l’étendard idéologique de ces deux mouvements, lorsque l’on constate la disparition mondiale des espaces laïques et la non application du droit international d’inspiration laïque et humaniste par l’Occident lui-même, dès qu’il s’agit du Proche-Orient.

Il est oiseux de discuter sur la responsabilité respective du Hezbollah et d’Israël dans la nouvelle destruction du Liban. La provocation du Hezbollah capturant deux soldats israéliens dans l’espoir de reprendre les négociations sur la libération des prisonniers libanais restant dans les prisons israéliennes ne permet en aucun cas aux yeux du droit international, en particulier du droit de représailles qui doit être mesuré et proportionnel à l’acte commis, de mettre ainsi le Liban à feu et à sang et sous blocus maritime, aérien et terrestre.

Si l’IRA irlandaise avait enlevée deux soldats britanniques en Irlande du Nord aurait-on accepté que l’Angleterre abreuve l’Irlande du Sud d’un déluge de fer et de feu ? Ou si l’ETA basque avait enlevé ou tué des gendarmes français ou espagnols auraient-on vu l’armée française ou espagnole pilonner de bombes la province basque et y faire des milliers de victimes civiles sous prétexte que les terroristes de l’ETA s’abritent derrière cette population ?

Il est important ici de rappeler qu’un échange de 400 prisonniers libanais dans les prisons israéliennes avait eu lieu en janvier 2004 par l’intermédiaire du gouvernement allemand, suite à l’enlèvement par le Hezbollah d’un homme d’affaires israélien, vraisemblablement membre des services secrets israéliens ; cet échange avait été suspendu par Israël. Le Hezbollah a-t-il cru qu’en capturant deux soldats, il pourrait continuer cet échange ou bien a-t-il voulu soulager la pression sur le gouvernement de l’Autorité Palestinienne dirigée par le Hamas et qui avait fait de même, enlevant un soldat israélien pour obtenir la libération de prisonniers palestiniens en Israël dont le nombre s’élève à 10 000, ou bien encore a-t-il senti que l’étau se refermait sur lui ? Nul ne le saura avec certitude.

L’autre hypothèse, favorisée par les dirigeants occidentaux, est celle d’une opération télécommandée par l’axe Damas-Téhéran ; c’est sûrement la moins plausible. On ne voit pas le Hezbollah qui s’est profondément libanisé depuis une quinzaine d’années, inséré dans le jeu politique libanais, gagné une popularité sans précédent au Liban, mettre en danger son existence même pour les beaux yeux de ces deux puissances régionales. Les combattants de ce parti, on ne le répètera jamais assez, sont des jeunes libanais du sud du Liban qui ont d’abord dédié leur combat à la libération de leur terre. Le fait que ce combat soit soutenu par l’Iran et la Syrie, voir que l’idéologie du « martyr » soit présente dans le discours du parti, n’enlève rien à cette réalité.

Rappelons-nous ici que les luttes anti-coloniales et anti-impérialistes du tiers monde dans les années 50 et 60 étaient soutenues par l’URSS ou la Chine ou l’Égypte nassérienne ; cela n’enlevait rien à la réalité de l’insertion de ces mouvements dans leur société et la légitimité de leur lutte. La France, au lieu de mettre en cause son propre colonialisme, accusait l’Égypte d’être à l’origine de la rébellion algérienne et a même attaquée l’Égypte en 1956 aux côtés d’Israël et du Royaume-Uni. Les États-Unis ont fait de même au Vietnam, accusant l’URSS de financer et soutenir les combattants du Vietcong. Tous ces mouvements de libération se sentaient d’ailleurs solidaires entre eux et avec les mouvements de guérilla d’Amérique Latine, tout comme aujourd’hui, le Hamas et le Hezbollah ne peuvent que se sentir solidaires de la lutte similaire qu’ils mènent contre un même État qui occupe et colonise. L’opinion dans tous les pays arabes se sent, elle aussi, solidaire du combat anti-israélien mené par ces deux mouvements.

La virulence des réactions israéliennes au « refus » des Arabes de prendre en compte leurs exigences de sécurité et leur « droit à la colonisation », en particulier l’obstination des groupes combattants palestiniens et libanais, les plus directement concernés, a été depuis longtemps analysée par des spécialistes des effets produits par l’Holocauste dans la psychologie des dirigeants israéliens.

Le plus célèbre d’entre eux Raul Hilberg explique comment s’est opéré ce qu’il appelle le « transfert d’hostilité » des Juifs dans leur malheur sur la Grande-Bretagne, alors encore puissance mandataire en Palestine et sur les Arabes. C’est ainsi que les communautés juives survivantes de l’Holocauste en Europe et celle des États-Unis, ainsi que les émigrants en Palestine, ne pouvant exprimer leur hostilité à l’encontre de tous ceux qui avaient fait et laissé faire le génocide, l’ont transféré un moment sur les Britanniques, puis de plus en plus sur les Palestiniens et les autres peuples arabes environnants [2]

En réalité, aujourd’hui, les pays occidentaux parviennent d’autant plus facilement à se défausser sur le monde arabe et musulman de toute culpabilité dans l’antisémitisme européen et son paroxysme, l’Holocauste, que la théorie de la guerre de civilisation a pris consistance en s’incarnant dans la doctrine de l’ennemi unique de l’Occident que serait le terrorisme islamique. A l’ancien ennemi disparu qui était la subversion communiste alimentée par l’URSS et la Chine, l’Occident s’est trouvé un ennemi nouveau et Israël, dans cette vision, se trouve à la pointe de ce combat de par sa position géographique même.

De plus, cela permet aussi aux pays européens qui ont colonisé l’ensemble du monde musulman dans un passé récent d’effacer toute trace de culpabilité sur les atrocités commises lors de la colonisation.

Face au chaos proche-oriental, l’Europe se félicite d’être enfin en paix et de réaliser progressivement son unité, après des siècles de guerres féroces entre ses nations, qui ont entraîné deux conflits successifs d’envergure mondiale et causé des dizaines de millions de morts. Elle ne réalise pas, cependant, que le vent de folie meurtrière qui va de l’Afghanistan à la Palestine et au Liban, en passant par l’Irak et que son allié américain appelle « guerre de civilisation » n’est, en grande partie, que le sous produit de sa propre histoire.

C’est en effet au Proche-Orient que se manifeste incontestablement la convulsion la plus spectaculaire de cette histoire tragique, due à l’horreur causée par le génocide des communautés juives d’Europe sous le Troisième Reich. Ce génocide est un point culminant d’un antisémitisme de nature raciste qui a sévi durant tout le XIXè siècle, prenant le relais de l’antijudaïsme de nature théologique prêché durant des siècles par les catholiques et protestants. La Révolution française et le rationalisme déiste de la Philosophie des lumières avaient largement réussi à ouvrir aux juifs une citoyenneté à part entière, notamment en Europe de l’Ouest. Toutefois, le développement en Allemagne des théories linguistiques et racistes opérant une division binaire du monde entre sémites et aryens, avait contribué à réduire cette avancée majeure de la démocratie naissante en Europe.

Ce sont toutes ces données qui expliquent l’anesthésie des consciences européennes, là où ces consciences se sont révoltées comme dans le cas de l’Afrique du Sud, du Timor Oriental et de bien d’autres situations de violation permanente des principes d’humanité [3] Sortir de ce guêpier ne sera guère aisé. Même après la fin du mandat de Georges Bush, il n’est pas sûr que nous ayons un apaisement, car le « nationalisme », voir le fanatisme « civilisationnel » lancé par la politique américaine et repris par beaucoup d’Européens sera d’autant moins facile à apaiser que la rhétorique « islamique » inverse est alimentée par l’expédition malheureuse contre l’Irak, les violences et souffrances sans fin des deux peuples libanais et palestinien, sans parler de la dégradation rapide de la situation en Afghanistan et du déploiement de troupes américaines dans un très grand nombre de pays musulmans, au plus grand mécontentement des sentiments populaires.

L’Union Européenne pourrait certes être plus active et plus dynamique, comme l’y invite son Parlement qui a préconisé à juste titre une application de l’ensemble des résolutions des Nations Unies sur le conflit Israélo-Arabe. Si la « communauté internationale » s’obstine à vouloir faire appliquer ces résolutions, uniquement lorsqu’elles imposent des obligations aux Etats arabes, mais jamais lorsqu’elles en imposent à l’État d’Israël, comme c’est le cas pour la furie avec laquelle on veut imposer au Liban la mise en œuvre de la résolution 1559, il y a peu de chances de voir une la stabilité et la paix régner dans la région.

On peut d’ailleurs être étonné du contraste entre l’activisme du Conseil de sécurité à l’égard du Liban, et notamment toute la série de résolutions les plus contraignantes prises à la suite de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri, et son incapacité à faire cesser la mise sous blocus de tout le Liban et le bombardement de ses populations civiles et de son infrastructure. Il est vrai que M. Hariri était « un ami » de l’Occident, alors que le Hezbollah est considéré comme un ennemi, mais est-ce une raison, suffisante pour avoir ainsi deux poids deux mesures dans le traitement de la violence qui frappe aujourd’hui tous les Libanais.

Comme on le voit, le règlement du conflit israélo-arabe exige de renoncer aux simplifications abusives et à la vision binaire et manichéenne du monde qui domine les médias et les cercles dirigeants dans beaucoup de pays occidentaux.
Certes, pour justifier le bain de sang en Palestine et au Liban, on pourra toujours invoquer la nature fanatique de l’Islam, l’absence de traditions démocratiques, la persistance des traditions tribales et communautaires violentes et autres clichés anthropologiques faciles sur l’Orient musulman. On pourra invoquer aussi à loisir la nature machiavélique et éminemment nocive des deux régimes syrien et iranien.

Il n’en reste pas moins, cependant, qu’admettre qu’au nom de la lutte contre le terrorisme on envahisse des pays, les mette sous blocus maritime, aérien et terrestre, terrorise leurs populations civiles par des bombardements aériens massifs, c’est accepter que le « monde civilisé » s’engouffre à nouveau dans une forme de barbarie que l’on croyait disparue.

Plus grave, en faisant de l’État d’Israël, un État hors norme du droit international, ne s’agit-il pas de la résurgence d’une nouvelle forme de racisme inversé, particulièrement subtile, perverse et dangereuse pour l’avenir ?

Le Proche-Orient continue aujourd’hui de payer les dettes morales des guerres et des violences survenues au sein de l’Europe. Celle-ci peut-elle encore réagir pour arrêter ce nouveau bain de sang, accepter la responsabilité qui est la sienne, dépasser ses traumatismes, retrouver sa culture humaniste et anti-raciste, ouvrant ainsi, enfin, la voie à la paix et la réconciliation avec son Orient proche ?

La Méditerranée pourrait-elle enfin redevenir « notre » mer commune, sans ingérence d’Outre-Atlantique ? Il ne semble pas malheureusement que c’est le cas, dans la mesure où la plupart des gouvernements européens, non seulement se sont alignés sur la politique états-unienne au Proche-Orient, mais certains n’ont pas hésité à déclarer ouvertement, tel le gouvernement allemand, qu’ils envoyaient leurs troupes au Liban, dans le cadre du renforcement de la FINUL prévue par la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, pour protéger l’État d’Israël.

De plus, certains dirigeants européens, tel M. Sarkozy, président du principal parti de la majorité parlementaire en France, n’ont pas hésité non plus à faire étalage de leur absence de sympathie pour le Liban dans l’épreuve qu’il a subie au cours de l’été 2006 du fait de l’ampleur de l’agression israélienne et de leur solidarité totale vis-à-vis d’Israël.

En réalité, il apparaît de plus en plus que les États-Unis et Israël servent de polarisateurs à un regain de visées hégémoniques et autoritaires dans le monde, voir même de type fasciste, dont le Proche-Orient fait directement les frais. La tentation pour l’Europe de se joindre à la croisade états-uno-israélienne dans cette région du monde est très forte. Les pays européens, y compris l’Allemagne, ont désormais des contingents armés déployés de l’Afghanistan au Liban, en passant par les Balkans, l’Irak et les pays de la péninsule Arabique pour des missions dont la nature reste à définir. Au Liban, en tous cas, si ces bataillons s’impliquent dans une chasse au Hezbollah au profit d’Israël, cela ne pourra qu’entraîner de très graves conséquences et achever de déstabiliser le Moyen-Orient.

Georges Corm

[1] Voir Dans une liberté plus grande. Développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous Document A/59/2005 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, New York.

[2] « La réserve qu’observait la communauté juive à l’égard de l’Allemagne fut remplacée au moins chez les juifs du monde occidental, par des actes de militantisme en faveur d’Israël », écrit cet auteur. « Le déplacement de l’hostilité ne constitue pas une réaction isolée dans les annales du comportement individuel et de masse. C’est une vaste entreprise de « neutralisation » réussie, l’une des plus grandes de l’histoire ». Extrait de l’ouvrage capital de Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, vol. II, pp.905-906, Gallimard, Folio/histoire, Paris, 1991.

[3] C’est cette anesthésie qu’illustre parfaitement bien l’article de Joschka Fischer, « Le mauvais calcul iranien » dans le quotidien français Le Monde du 8 août 2006 où il pratique l’analyse caricaturale de la crise que nous avons exposée dans notre analyse et fait preuve d’une insensibilité totale aux souffrances que l’armée israélienne impose aux civils, Libanais et Palestiniens.




Face aux crimes et aux mensonges d’Israël soutenons la résistance du peuple palestinien

le 5/11/2006 18:10:00 (590 lectures)

Tract de Novembre 2006 qui fait le point sur la situation en Palestine et qui envisage l’ensemble des luttes contre l’impérialisme américain : Liban, Irak, Afganisthan, Amérique Latine et peut-être bientôt l’Iran.

flags« Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » : voilà dès l’origine ce qui fut le leitmotiv du sionisme. D’emblée, ce mouvement colonial se fondait sur la négation du peuple palestinien. La naissance en 1948 de l’État juif, soutenu par les puissances occidentales, reconnu par l’ONU, allait permettre d’accélérer les objectifs du sionisme : vider la Palestine de ses habitants arabes pour les remplacer par des juifs, au moyen d’expulsions et de nombreux massacres.

Aujourd’hui, cette politique sioniste se poursuit puisque l’État-colonie d’Israël ne reconnaît toujours pas le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, ni bien évidemment le droit au retour des quelque 4 millions de réfugiés, et ce, malgré les nombreuses résolutions de l’ONU. Bien au contraire, les massacres continuent, des murs s’érigent, et des pseudo-retraits purement tactiques tentent de berner les observateurs extérieurs…

Outre sa nature coloniale, Israël est également un État raciste et théocratique, puisqu’il se fonde sur une appartenance ethno-religieuse : l’État juif établit une hiérarchie entre juifs et Palestiniens, en ne reconnaissant pas à ces derniers les mêmes droits sociaux et politiques. Dans cet esprit, renforcer le caractère juif d’Israël consiste à faire appel à l’immigration juive tout en continuant à exproprier et chasser les Palestiniens. Le sionisme n’est pas autre chose qu’une politique d’épuration ethnique.

Être antisioniste, c’est déjà dénoncer ce triple caractère, raciste, ethnocratique et colonial de l’État d’Israël. Ni plus ni moins.

Voler la terre palestinienne comme c’est encore le cas en Cisjordanie et dans le Naqab, tuer, emprisonner et torturer les résistants, faire semblant de négocier pour gagner du temps et poursuivre l’épuration ethnique avec la bénédiction et le soutien des Etats-Unis, de l’Europe, de la France et des régimes arabes, bâillonner tout soutien au peuple palestinien par un chantage permanent à l’antisémitisme, telle est la réalité de la politique sioniste.

Cette politique a atteint aujourd’hui un stade ultime depuis la victoire des candidats du Hamas aux élections législatives du 25 janvier : il s’agit d’obtenir la reddition du peuple palestinien en le soumettant à un blocus économique qui le prive de ses ressources financières et des biens de première nécessité. Mais d’ores et déjà la nouvelle Autorité palestinienne dirigée par le Hamas et l’ensemble de la résistance ont annoncé qu’ils ne se plieraient pas à l’odieux chantage de la dictature coloniale israélienne et des puissances occidentales qui exigent la cessation de la résistance armée et la reconnaissance de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire l’occupant qui, lui, n’a jamais reconnu la Palestine. Bien au contraire, et en dépit des massacres quotidiens perpétrés par l’armée coloniale et des conditions de vie de plus en plus difficiles, le peuple palestinien soutient toujours les nouveaux dirigeants palestiniens qui comptent poursuivre la résistance jusqu’à la libération de leur pays.

Dans cette voie nous faisons confiance au peuple palestinien et à sa capacité de résistance. L’Histoire est de son côté comme elle est du côté de tous les peuples qui résistent.

La défaite américaine au Vietnam n’a pas été obtenue par une résolution de l’ONU mais grâce à la résistance héroïque du peuple vietnamien. Cuba résiste toujours malgré près de 40 ans d’embargo ; Le peuple vénézuélien et le peuple bolivien sont entrés en résistance face à la domination américaine. C’est toute l’Amérique latine, celle des classes populaires, qui peu à peu tient tête aux visées impérialistes des Etats-Unis.

resistanceAu Moyen-Orient, l’Etat colonial israélien a été forcé de retirer ses troupes de Gaza en 2005 et en août 2006 la résistance populaire libanaise lui infligea une cuisante défaite. En Irak comme en Afghanistan la résistance ne faiblit pas, bien au contraire, elle a fait subir des pertes toujours plus grandes à l’ennemi américain et à ses alliés. Une nouvelle déconvenue attend les armées sionistes et impérialistes : c’est la guerre qui se prépare contre le peuple iranien au nom de la lutte contre la prolifération nucléaire alors que l’Etat colonial d’Israël possède plus de 200 têtes nucléaires. Mais cette justification (utilisée pour envahir l’Irak) de la nouvelle guerre qui s’annonce ne doit tromper personne, car s’il devait y avoir désarmement nucléaire il devrait commencer d’abord par les Etats-Unis, Israël et leurs alliés occidentaux.

Aujourd’hui il y a deux voies possibles : il y a celle de la résignation et de la soumission à un ordre mondial injuste et meurtrier et il y a celle de la résistance et de la solidarité entre les peuples. En Palestine occupée, le peuple Palestinien est toujours debout, uni depuis près de soixante ans contre l’infernale machine de guerre coloniale israélienne. Il nous indique la voie à suivre.

Nous, membres du CAP, nous sommes à ses côtés sur ce chemin.

 




Israël : cinq décades de pillage et de nettoyage ethnique

Article de Cecilia Toledo paru dans la revue « Le Marxisme Vivant » n°3, Mai 2001.

L’auteur est une journaliste brésilienne, membre du PSTU (Partido Socialista dos Trabalhadores Unificado).

Cet article est une véritable oeuvre de salubrité publique : C. Toledo nous présente ici une histoire du sionisme en s’attachant à remettre en cause tous les mythes fondateurs dont nous abreuve le propagande officielle.

Elle reprend le problème à la base et cherche à comprendre le sionisme et la « question juive » sans partir du point de vue religieux, mais en replaçant  « le juif dans son rôle économique et social », suivant en cela K.Marx et A. Leon.


SOMMAIRE

1. Les juifs : un peuple-classe dans les sociétés précapitalistes 
2. Le bundisme 
3. La naissance du sionisme
4. Une région « vide »
5. La déclaration de Balfour (02/11/1917)
6. Le mandat Britannique (1918-1948)
7. Israël: la tragédie palestinienne
8. Vol, sans autre cérémonie, de la terre et des commerces des arabes
9. Racisme contre le travailleur arabe
10. Le sionisme, le fascisme et les juifs
11. Trahissant la Résistance

 


« C’était vers une terre sans peuple que lentement, vers la fin du siècle dernier, un peuple sans terre a commencé à se déplacer. » (1) Cette histoire, qui a été propagée tambour battant dans les têtes des peuples du monde entier depuis la fondation d’Israël en 1948, commence à s’émietter maintenant, et cela non seulement par l’activité des marxistes révolutionnaires mais aussi grâce aux israéliens eux-mêmes.

Tom Segev, un des historiens contemporains les plus remarquables d’Israël, a démontré récemment à quel point c’est faux, dans un interview à la Folha de S. Paulo. (2) Auteur du livre « 1949 – Les premiers israéliens », Segev se base sur le journal du père fondateur d’Israël, David Ben Gurion, qui y décrit sa politique pour forcer la sortie des arabes hors du pays nouvellement créé. Le livre, qui avant était répudié parce qu’il montrait que la version officielle à la mode était une fantaisie et que les arabes n’ont pas quitté Israël de bon gré mais ont été expulsé sans pitié, est maintenant adopté même dans les programmes scolaires.

Cette « reconnaissance » de la part de l’histoire officielle vient un peu tard, si on prend en considération que d’autres auteurs, surtout marxistes, avaient déjà raconté amplement la vraie histoire du sionisme et avaient dénoncé une des falsifications les plus spectaculaires de l’histoire jusqu’à ce jour. Une figure remarquable parmi ces historiens marxistes était Abraham Léon, tué dans les chambres à gaz d’Auschwitz quand il avait 26 ans et auteur d’un livre important, « La conception matérialiste de la question juive « . Un autre auteur remarquable est Ralph Shoenman qui a écrit « L’histoire cachée du sionisme « , un compte rendu minutieux et qui ne laisse pas d’espace pour le doute sur l’occupation juive de la Palestine.

Entre-temps, cette reconnaissance est une évidence supplémentaire qui prouve que la situation est tellement sérieuse et la poussée de l’Intifada tellement forte que même des historiens israéliens importants ont dû admettre que l’idéologie de « la terre sans peuple » était une pure invention et démentent le torrent de mensonges que les sionistes ont diffusé pendant des décades et qui ont créé des illusions parmi beaucoup de gens.

1. Les juifs : un peuple-classe dans les sociétés précapitalistes

Abraham Léon part de la proposition de Marx pour prouver que l’origine supposée du peuple juif a des causes matérielles et historiques, qui n’ont rien a voir avec Jéhovah ou une soi-disant « essence » raciale immuable, comme cela a été supposé, aussi bien par les anti-semites que par les sionistes. D’après Marx, pour comprendre la question juive, « il ne faut pas chercher le secret du juif dans sa religion, mais le secret de la religion dans le vrai juif. » (3) En partant du point de vue religieux, comme on fait habituellement, on n’explique pas la question juive. Pour la comprendre, il faut comprendre le juif dans son rôle économique et social.

Léon cherche les origines du peuple juif et arrive à la notion importante et riche de peuple-classe . Dans les sociétés précapitalistes , les juifs formaient une classe sociale, un peuple-classe (4), comme sont, par exemple, les Tsiganes. Les juifs représentaient les formes « pre-historiques » du capital, aussi bien dans le monde ancien que dans le monde féodal.

Dans le féodalisme , les transactions en argent ont eu lieu en marge du mode de production, étant donné que ces sociétés étaient productrices de valeurs d’usage et non d’échange. Comme c’était une activité marginale, elle a été exercée par des « étrangers », par des peuples-commerçants tels que les phéniciens, les juifs et les lombards. Ils étaient des peuples-classe qui, comme disait Marx, existaient dans les pores d’une société qui produisait des valeurs d’usage. Donc, les juifs sont la prorogation dans le temps d’une vielle classe mercantile et financière précapitaliste.

Sur ces relations matérielles des juifs c’est développée une superstructure institutionnelle et idéologique : des autorités communautaires, une religion « spéciale » et le mythe de se considérer comme les descendants des peuples hébreux originaux qui ont habité la Palestine au commencement de notre ère. Cette superstructure a aidé pour maintenir la cohésion du peuple-classe, mais en même temps elle a falsifié la vraie nature de leur existence . C’est le phénomène de la fausse conscience qui est commun dans toutes les idéologies. Et elle explique pourquoi il n’y a aucune unité raciale parmi les juifs.

Caché sous ce manteau idéologique-religieux, a eu lieu le phénomène de l’incorporation d’individus ou de groupes entiers dans ce peuple-classe. C’est ce qui explique qu’il y a eu des juifs de « race » mongole dans le Dagestan, des juifs noirs (les falasha) en Ethiopie, des juifs arabes dans l’Islan et des juifs d’origine slave en Europe de l’Est. Cela prouve que l’origine commune comme descendance d’Abraham ou des habitants de la Palestine au commencement de notre ère n’est qu’un mythe.

Avec le développement du capitalisme , la vieille classe commerciale juive pre-capitaliste a commencé à perdre les bases matérielles de son existence comme peuple-classe. En Europe occidentale, et surtout en Angleterre, les juifs ont commencé à s’assimiler naturellement. Mais avant que ce processus pût atteindre l’Europe orientale, avec un capitalisme moins évolué, a commencé l’époque impérialiste du capitalisme, de décadence générale dans le monde entier.

Les juifs de l’Europe de l’est comme de l’ouest ont dû affronter une situation dramatique. Quand la solution au problème juif a été vue dans les termes de la lutte pour le socialisme, le marxisme a commencé à exercer une attraction considérable sur les masses juives. Leur chemin était celui de la fusion avec la classe ouvrière dans la lutte contre le capitalisme, car pour les masses appauvries des juifs de Varsovie ou de Kiev, la trajectoire suivie par leur coreligionnaires plus fortunés de l’Angleterre ou de la France, d’une existence assimilée comme bourgeois dans le cadre du capitalisme, était déjà fermée.

En Russie , pendant que l’empire du Tsar encourageait les confrontations entre russes et polonais ou ukrainiens, ou entre ceux-ci et les juifs, et pendant que l’empire austro-hongrois faisait le même avec la mosaïque des nations qu’il gouvernait, les marxistes révolutionnaires appelaient à l’union de tous les travailleurs, quel que soit leur langue, nationalité ou « race », pour lutter contre ces régimes et contre toute la bourgeoisie impérialiste européenne. C’est pourquoi tant d’ouvriers, étudiants et intellectuels d’origine juive ont rejoint les rangs des socialistes et se sont assimilés avec les travailleurs de leurs pays.

Mais le vieux peuple-classe , sous les conditions du capitalisme moderne, est devenu de moins en moins homogène . Et ainsi, de la même façon, les familles riches telles que les Rothchild et autres millionnaires se sont liées aux bourgeoisies impérialistes des différents pays européens. Et, parmi les solutions bourgeoises pour la question juive posée par ces secteurs, la plus importante a été le sionisme . Une autre solution reformiste a été proposée par ceux qui son entrés dans l’histoire comme les bundistes .

2. Le bundisme

Les bundistes étaient membres du Bund, l’Union générale des travailleurs juifs de la Lituanie, de Pologne et de Russie, fondé en 1897. Ils ont leur origine en Russie comme un secteur de la social-démocratie, au point qu’au début, le Bund faisait partie du Parti Ouvrier Social-Democrate Russe, mais lors de la scission, le Bund s’est aligné contre les Bolsheviks. (5)

La base sociale du Bund était constituée par des secteurs d’artisans, de semi-prolétaires ou d’ouvriers de petits ateliers, surtout dans l’industrie textile. C’était un ample secteur, avec un pied dans le vieux ghetto et l’autre dans le prolétariat industriel moderne.

Cela a eu sa répercussion dans l’idéologie du Bund qui, d’un côté, se revendiquait du marxisme révolutionnaire et, de l’autre côté, niait l’internationalisme en élevant des barrières entre les travailleurs de nationalité différente. Avec l’excuse de défendre la culture nationale, il a propagé que les travailleurs juifs devaient s’organiser séparément des travailleurs polonais, russes et autres. De cette façon, il a fait le jeu à la bourgeoisie , car il a divisé les travailleurs de chaque usine, de chaque ville, d’après leur origine nationale ou « raciale ».

Ce caractère contradictoire, reflet d’une contradiction réelle dans la base sociale, a fait que – malgré la capitulation au nationalisme bourgeois – le Bund n’a jamais proposé aux travailleurs juifs d’abandonner la lutte de la classe, ni de se joindre aux bourgeoisies juives pour aller coloniser la Palestine ou tout autre territoire. Ce sont les sionistes qui ont fait cela.

3. La naissance du sionisme (6)

C’est aussi en 1897, l’année pendant laquelle le Bund est apparu, que le Congrès de Fondation de l’Organisation Sioniste a eu lieu à Bâle (Suisse). La toile de fond sur laquelle a surgit le sionisme a été la capitalisation rapide de l’économie russe après la réforme de 1863, ce qui a rendu la situation des masses juive des petites villes insupportable. Dans l’occident, les classes moyennes, reléguées par la concentration capitaliste, commencent à se tourner contre l’élément juif dont la compétition a empiré leur situation. (7)

Dans ces circonstances est née en Russie l’association des Amants de Sion et apparaît un livre de Léon Pinsker, « L’auto-émancipation « , qui préconise le retour en Palestine comme la seule solution possible pour les juifs. Ensuite, un journaliste juif de Budapest, Theodor Herzl , écrit le livre « L’État Juif  » qui – d’après Abraham Leon (8) – est considéré jusqu’à nos jours comme l’évangile sioniste.

En France, le Baron Rothchild, avec d’autres magnats juifs, s’oppose à l’immigration massive de juifs en Europe occidentale et commence à soutenir l’œuvre de la colonisation juive de la Palestine. « Encourager leur ‘frères moins fortunés’ à retourner à la terre de leurs ‘ancêtres’, c’est à dire, s’éloigner le plus possible, n’était en rien désagréable aux bourgeoisies juives occidentales qui craignaient à juste titre l’augmentation de l’antisémitisme  » dit Léon. Ainsi, même si l’Organisation Sioniste se disputait la même clientèle sociale que le Bund et même le Socialisme Révolutionnaire, son caractère de classe était clairement différent: elle apparaissait comme le programme d’un secteur de la grande bourgeoisie juive qui finalement allait la dominer.

Au début, le sionisme apparaît comme une réaction de la petite bourgeoisie juive, fortement frappée par la vague d’antisémitisme, forcée d’abandonner un pays après l’autre, et qui essaye d’atteindre la Terre Promise coûte que coûte, pour se sauver de cette situation.

Entre-temps, le sionisme essaie de s’appuyer sur une explication religieuse pour justifier son existence. Dans l’année 70 de notre ère, les juifs auraient été expulsés de Jérusalem, occupée par les envahisseurs romains. Déjà dans la bible, Jérusalem était considéré la patrie des juifs, dont ils ont été expatriés : c’était la fameuse Diaspora qui aurait dispersé les juifs aux quatre coins du monde.

Revenons à Marx. Pour comprendre la question juive il faut partir des conditions matérielles de la vie du juif et pas de la religion, des rêves et des idéologies qui ont été créés au long de l’histoire. Selon A. Léon : « Alors que le sionisme est un produit de la dernière phase de capitalisme, c’est à dire, d’un capitalisme qui commence à tomber en décadence, il se vante d’une origine qui recule plus de deux mille ans dans le passé. Alors que le sionisme est une réaction contre la crise du judaïsme, produite par la combinaison de l’écroulement de la féodalité et de la décadence du capitalisme, il déclare être une réaction contre une situation qui existait depuis la chute de Jérusalem, en l’année 70 de l’ère chrétienne . »

Mais l’apparition même du mouvement sioniste est contraire à de telles prétentions. Comment peut-on croire que le remède pour un mal qui existe depuis deux mille ans est apparu à la fin du XIXième siècle ? Le sionisme trouve dans la chute de Jérusalem la racine de la dispersion, et par conséquent de tout le mal qui est arrivé aux juifs dans le passé, le présent et le futur. « La source des tribulations du peuple juif se trouve dans la perte de leur patrie historique et leur dispersion dans tous les pays , » déclare la délégation « marxiste » de Poalé-Sion au Comité hollandais-scandinave. (9)

Cette histoire des juifs, telle qu’elle est racontée par les sionistes, essaye de construire une origine pour justifier l’occupation de la Palestine. Ainsi, les juifs auraient refusé d’être assimilés après leur dispersion violente par les romains. Imprégnés de leur « cohésion nationale », d’un « sentiment éthique supérieur » et d’une « croyance indestructible en Dieu », ils auraient résisté à toutes les tentatives d’assimilation. C’est faux car, comme nous l’avons signalé plus haut, il y a eu d’innombrables cas d’assimilation (10). Mais d’après l’histoire racontée par les sionistes, cela ne s’est jamais passé : la seule espérance des juifs pendant ces années sombres – deux mille ans – était de revenir à l’ancienne patrie.

D’après A. Léon, le sionisme ne s’est jamais posé la question sérieusement. Pourquoi, demande-t-il, n’ont ils jamais essayé sérieusement de revenir pendant ces deux mille années ? Pourquoi fallait-il attendre jusqu’à la fin du XIXième siècle, que Herzl les convainque de ce besoin ? Pourquoi tous ses prédécesseurs ont été traités de faux Messies ? Pour répondre à ces questions incommodes, le sionisme a recours aux mythes. « Aussi longtemps que les masses croyaient qu’ils devaient attendre dans la Diaspora jusqu’à l’arrivée du Messie, il fallait souffrir en silence , » dit Zitlovsky. (11)

Mais, d’après Léon, cette explication n’explique rien du tout. « Il s’agit précisément de savoir pourquoi les masses juives croyaient qu’ils devaient attendre le Messie pour être capable de revenir à leur patrie . » Comme la religion est le réflexe idéologique des intérêts sociaux, depuis la fin du XIXième siècle elle a cessé d’être un obstacle à l’avance du sionisme et est devenu un écran de la fumée pour son expansion, utile pour masquer et justifier toutes ses misères.

Ces conceptions idéalistes du sionisme sont inséparables du dogme de l’antisémitisme éternel, c’est à dire, que de toute façon les juifs seront toujours persécutés. De cette manière, le sionisme transpose l’antisémitisme moderne à l’histoire entière, sans qu’il soit nécessaire de faire des recherches sur les diverses formes d’antisémitisme et de ses causes, et omettant le fait que dans différents périodes historiques, les juifs n’ont pas été les opprimés mais les oppresseurs, comme membres de la classe dominante.

« En réalité, cette idéologie sioniste, comme toute idéologie, n’est rien d’autre que le réflexe déformé des intérêts d’une classe. C’est l’idéologie de la petite bourgeoisie juive, opprimée par le féodalisme en ruines et le capitalisme en décadence, » synthétise A. Léon. Il met en valeur un fait correct, auquel la réfutation des rêves idéologiques du sionisme ne s’oppose évidemment pas : les vrais besoins de ceux qui l’ont fait naître. C’est l’antisémitisme moderne, et non le mythique antisémitisme « éternel », qui a le mieux agité en faveur du sionisme. La question fondamentale est donc de savoir dans quelle mesure le sionisme est capable de résoudre, non le « problème juif éternel », mais la question juive à l’époque de la décadence capitaliste.

Les défenseurs du sionisme le comparent aux autres mouvements nationaux . Mais le mouvement national de la bourgeoisie européenne est la conséquence du développement capitaliste. Il représente la volonté de la bourgeoisie de créer des bases nationales de production, d’abolir les restes de féodalité. Au XIXième siècle, dans les années où prospéraient les nationalismes, la bourgeoisie juive, loin d’être sioniste, était profondément en faveur de l’assimilation. Le processus économique qui a fait naître les nations modernes, a lancé les bases pour l’intégration de la bourgeoisie juive dans la nation bourgeoise. Ce n’est que quand le processus de formation des nations a atteint sa fin, quand les forces productives – enfermées dans les frontières nationales – cessent de se développer, que le processus d’expulser les juifs de la société capitaliste et l’antisémitisme moderne ont commencé.

L’élimination du judaïsme va de pair avec la décadence du capitalisme. Loin d’être le résultat du développement des forces productives, le sionisme est précisément la conséquence de leur paralysie totale, de la pétrification du capitalisme, dit A. Léon. Ainsi, alors que le mouvement nationaliste est le produit de la période montante du capitalisme, le sionisme est le fruit de l’époque impérialiste . La tragédie juive du XXième siècle est la conséquence directe de la décadence du capitalisme. (12)

A. Léon rappelle à juste titre que c’est là où se trouve l’obstacle principal pour la réalisation du sionisme, la clef pour comprendre la crise qui se vit en Palestine depuis la fondation de l’état d’Israël. « La décadence de capitalisme, base de la croissance du sionisme, est en même temps la cause de l’impossibilité de la réalisation de ce sionisme . » La bourgeoisie juive est forcée de créer un état national et d’assurer les conditions pour le développement de ses forces productives, précisément au moment où les conditions pour un tel exploit ont disparu depuis longtemps. La décadence du capitalisme, si d’un côté elle a posé la question juive de façon si pointue, a simultanément rendu impossible la solution du problème par la voie sioniste. « Et il n’y a rien d’étonnant à ce sujet, » dit Léon. « On ne peut pas supprimer un mal sans détruire ses causes. Le sionisme prétend résoudre la question juive sans détruire le capitalisme, la principale cause de la souffrance des juifs . » (13)

Cela marque, comme une marque de feu, le caractère de classe du mouvement sioniste. Il est vrai que les pionniers de la colonisation de la Palestine étaient des artisans, des commerçants pauvres, des gens sans grandes possessions. De cette façon on a essayé de créer une image « plébéienne » et même « de travailleur », voir « socialiste » du sionisme. Ses avocats, surtout ceux qui se considèrent de gauche, acceptent l’idée que le mouvement sioniste n’était pas un facteur progressiste dans la politique européenne, mais ils avancent l’argument que cela était secondaire par rapport à un fait essentiel : le sionisme aurait été le mouvement de libération nationale du peuple juif, du « plus pauvre des peuples. » Ce serait donc une « juste cause ».

Evidemment, il n’était pas dans les plans de Rothschild ou de la grande bourgeoisie juive d’aller cultiver la terre en Palestine. Ce qu’ils ont fait était, d’un côté, encourager un mouvement qui emprisonnerait les juifs les plus pauvres dans la Terre Sainte et les conduirait ainsi loin de la lutte de classe et des partis de gauche en Europe, et de l’autre côté, se débarrasser – eux d’abord – de la fureur antisémite qui grandissait à toute allure.

Un autre but de ce mouvement encouragé par la bourgeoisie juive était de transférer ces masses hors d’Europe pour construire un état juif en un point stratégique , situé au milieu des plus grandes réserves de pétrole dans le monde, menacées par la poussée des luttes des masses arabes. C’est pourquoi l’état d’Israël est devenu une enclave d’impérialisme dans la région, le gendarme du monde arabe.

4. Une région « vide »

D’après les sionistes, la Palestine était une région pratiquement vide. « De vastes régions du pays sont restées inexplorées et ont appartenu à des seigneurs féodaux absents. Elles étaient infectées par la malaria et, à l’exception de quelques baraques dispersées de bédouins, elles étaient inhabitées et par conséquent disponibles.  » « Dans le voisinage de la Terre Sainte, il y avait à peine quelques noyaux hétérogènes, musulmans, chéquis, chrétiens syriens et grecs orthodoxes. C’est vers une terre sans peuple que graduellement, un peuple sans terre a commencé à se déplacer vers la fin du siècle dernier . » (15)

On est à l’époque de l’expansion coloniale de l’Europe en Asie et en Afrique. C’est dans ce cadre historique que le sionisme commence. Et la Palestine, loin d’être une terre vide et sans propriétaire, était occupée par un peuple : le peuple arabe. C’était un problème pour la bourgeoisie européenne juive, au point que Herzl, dans son livre, ne mentionne jamais le mot « arabe », quoique, évidemment, il était au courant de l’existence des arabes. Cette falsification, dissimulée pendant tant d’années, ne résiste pas à l’évidences des faits, et principalement à la reprise de la lutte palestinienne qui a contraint mêmes les historiens israéliens officiels à admettre qu’il n’y avait là aucune « terre sans peuple. »

Voilà le rôle réservé aux juifs désespérés de l’Europe orientale : servir de pointe de lance des plans de colonisation de la bourgeoisie impérialiste, surtout l’américaine, intéressée à installer un gendarme au Moyen Orient. Sous l’abri d’une approche philanthropique, l’expansion coloniale a utilisé ces masses de juifs pauvres pour des buts qui étaient loin d’être louables. Qui oserait s’opposer à ce que les pauvres juifs abandonnent l’obscurité des ghettos à la recherche de la lumière du soleil palestinien ? Malheureusement, ce changement, pour salutaire qu’il aurait pu être pour eux, a été réalisé au frais des arabes, qui ont été massacrés et expulsés d’une terre qui avait été la leur, de fait et non grâce à un récit biblique.

5. La déclaration de Balfour (02/11/1917)

La politique de Theodor Herzl, le père de sionisme, et de ses successeurs, a été de profiter du processus d’expansion impérialiste pour occuper la Palestine. A cet effet, il fallait qu’une puissance impérialiste embrasse la cause sioniste. Leur activité principale a donc été de négocier avec les différentes puissances européennes et d’essayer de trouver pour le sionisme une place dans leur politique coloniale. Le soutien est venu, en premier lieu, de l’Angleterre , un empire qui, depuis la moitié du siècle, connaissait une expansion à toute allure.

Les négociations de Herzl ont bien été bien reçues à Londres, mais il y avait un problème objectif : à ce moment là, la Palestine était dans des mains turques. L’Angleterre offrait alors à Herzl de coloniser l’Ouganda ou le Sinaï égyptien, mais cette possibilité ne s’est pas cristallisée. Il y avait un autre problème objectif : le sionisme n’était pas très développé parmi les masses juives. Ceux qui souhaitaient émigrer l’ont fait massivement vers l’Amérique, à tel point qu’une des options discutées était de constituer un état sioniste en Argentine . Très peu de juifs allaient en Palestine, et une partie importante de ceux qui y sont restés étaient anti-sionistes ou sous l’influence des partis de gauche.

Avec la première guerre mondiale est arrivée le moment de partager les territoires sous contrôle turc. Pour y avoir accès, l’Angleterre a eu recours au mouvement national arabe qui avait commencé à se réveiller. D’autre part, elle signe un traité avec la France pour se partager la région, et elle signe la Déclaration de Balfour qui est entrée dans l’histoire comme « l’alliance nuptiale » entre le sionisme et l’impérialisme britannique.

Ainsi a commencé la deuxième étape du sionisme , qui a atteint sa culmination avec la création de l’état d’Israël. En plus de donner une aide précieuse aux anglais pour établir un futur protectorat en Palestine, la Déclaration de Balfour a placé une arme puissante dans les mains des anglais pour liquider le mouvement national arabe et fortifier la politique de guerre de l’empire Britannique et sa lutte contre la Révolution Russe.

Le chemin vers Israël prenait forme avec les caractéristiques suivantes: 1) il s’agit d’une déclaration unilatérale d’un grand pouvoir impérialiste; 2) cette déclaration fixe le destin d’une région de l’Asie qui n’avait jamais appartenu à l’Angleterre, qui a donné en cadeau à Lord Rothschild le territoire d’une autre nation; 3) on ne prend nullement en considération les désirs du peuple palestinien, qui étaient pour 93% arabe en 1917. Ce 93% a été réduit à la condition de non-juifs, emprisonnés dans un « foyer national juif », c’est dire, traités comme des étrangers dans leur propre pays.

6. Le mandat Britannique (1918-1948)

Vers la fin de la première guerre mondiale, les Alliés ont créé la Société des Nations, prédécesseur de l’ONU d’aujourd’hui, qui « a concédé » un mandat sur la Palestine à la Grande-Bretagne. Mais ce n’étaient pas des jours paisibles pour impérialisme. Pour la première fois dans histoire, il y avait un État Ouvrier, l’URSS, qui s’opposait à l’expansion coloniale, et le monde colonial entier a été touché par une vague de luttes anti-impérialistes.

Dans le monde arabe, le Moyen Orient était le centre des luttes les plus importantes contre les impérialismes anglais et français. La Palestine était le noyau principal de cette lutte, surtout pendant l’insurrection de 1936-1939 qui a commencé avec une grève générale de six mois, et qui a exigé la moitié de tous les effectifs de l’armée britannique – un des plus puissants de l’époque – pour la suffoquer. Des centaines et des centaines de palestiniens ont été tués, emprisonnés, condamnés aux travaux forcés ou à de longues peines de prison. En 1939, le peuple palestinien a été vaincu. C’est la clef pour comprendre la facilité relative avec laquelle l’état d’Israël a été établi. (16)

L’occupation, explique Jon Rothchild, s’appuyait sur trois piliers du mouvement sioniste: kibush hakarka (conquête de la terre), kibush haavoda (conquête du travail) et t’ozteret haaretz (produit de la terre). (17) « Derrière ces mots sonores il y avait une réalité sévère.Conquête de la terre voulait dire que le plus de terre possible devrait être acquise (légalement ou non) des arabes, et qu’aucune terre juive ne pouvait être vendue aux arabes ou revenir à eux de l’une ou l’autre façon.

Conquête du travail voulait dire que dans les usines et les terres des juif, la main d’œuvre juive devait être préférée. L’ouvrier arabe était boycotté. En réalité, le Histadrut, qui maintenant se présente comme le Syndicat Général Israélien, a été créé pour imposer le boycott contre les ouvriers arabes.

Produit de la terre voulait dire pratiquer le boycott de la production arabe de la part des colonisateurs juifs et ne retenir que l’achat de produits provenant de terres juives ou de magasins juifs ». (18)

Cette politique d’occupation – que les sionistes ont présenté comme étant « socialiste », comme visant à aider les ouvriers et les juifs pauvres – a signifié la misère pour le peuple palestinien, car elle a été imposée sur la terre qu’ils occupaient. Même s’ils étaient une minorité au début (plus tard ils se sont développé beaucoup), les sionistes avaient un pouvoir économique beaucoup plus important que les arabes, car ils pouvaient compter sur l’aide de l’impérialisme.

Cela leur a permis de ruiner le peuple arabe de Palestine, les réduisant en travailleurs sans travail et paysans sans terre. Un type bien curieux de socialisme, qui attaque les travailleurs. Les arabes ont été boycottés ou expulsés des entreprises sionistes ou de capital étranger (concessions, habituellement administrées par des directeurs sionistes). Environ 53% des entreprises étaient des concessions et 40% étaient de propriété sioniste, tandis que seulement 6% étaient de propriété arabe (données de 1939). De cette façon, il ne restait qu’un marché de travail très limité pour les arabes.

Quelque chose de semblable s’est passé avec le t’ozteret haaretz (produit de la terre), une politique qui revenait à un boycott forcé de tout produit arabe, pratiqué par les bandes armées du Histadrut, une répression qui ne ménageait même pas les juifs qui osaient acheter quelque chose produit par des mains arabes.

Aliénés de leur terre, du travail et de la possibilité de vendre leurs produits, les palestiniens sont devenus une masse marginale, prêts à être bannis de leur terre. La résistance palestinienne, sous forme de guérilla, a été écrasé pratiquement en 1939 par l’armée britannique et le Hagana, l’armée non-officielle formée par le sionisme, dans une attaque conjointe qui voulait démontrer « qui était maître en Palestine ».

A cette époque, la deuxième guerre mondiale allait commencer et les sionistes se souciaient davantage de ce qui allait se passer en Angleterre, leur impérialisme protecteur, face à une nouvelle répartition du monde en zones d’influence. Ils voulaient garantir pour la Palestine la protection impérialiste, étant donné qu’il y avait de fortes indications qu’à partir de ce là, ce seraient les USA et pas l’Angleterre qui seraient les seigneurs du monde. La soi-disant lutte anti-impérialiste proclamée par les sionistes n’était en fait que le besoin de passer d’un associé plus faible à un plus fort.
Ben Gurion l’a exprimé très clairement: « Notre plus grande inquiétude était le destin qui serait réservé à la Palestine après la guerre. Il était clair à cette époque que les Anglais ne garderaient pas leur mandat. S’il y avait toutes les raisons pour croire qu’Hitler serait battu, il était évident que la Grande-Bretagne, même victorieuse, serait affaibli comme résultat du conflit. C’est pourquoi, je n’avais pas de doutes de que le centre de gravité de notre force devait être transféré du Royaume-Uni à l’Amérique, qui était en train d’occuper la première place dans le monde « . (19)

Sous l’orbite américaine, le sionisme a commencé à faire de grands pas vers la création de l’état d’Israël. Vers la fin de la guerre, les grands pouvoirs, à travers l’ONU, non seulement fermaient les yeux sur l’occupation et le massacre du peuple palestinien, mais ils légalisaient aussi la situation coloniale créée pendant la domination britannique. Sur la base d’une proposition de division de la Palestine, faite pendant le mandat anglais (20), et qui a mis le feu à la révolte partout dans le monde arabe, on a voté le 29 novembre 1947 la division du pays en deux états : un état sioniste et un état arabe. Une fois encore, personne n’a consulté le peuple palestinien. Et la décision a eu l’aval de la bureaucratie soviétique, qui a même envoyé des armes et des avions pour aider l’impérialisme dans le massacre des arabes. Une fois la résistance Palestine noyée dans le sang, l’état d’Israël est proclamé en mai 1948.

7. Israël: la tragédie palestinienne

En 1947, il y avait 630 000 juifs et 1 300 000 arabes palestiniens (21). Donc, lors de la division de la Palestine par les Nations Unies, les juifs étaient une minorité (31% de la population). Cette division, encouragée par les principaux pouvoirs impérialistes – avec le soutien de Staline – a donné 54% de la terre fertile au mouvement sioniste. Mais déjà avant la formation de l’état d’Israël, l’Irgun et le Haganah (des organisations paramilitaires israéliennes) avaient pris plus des trois quarts de la terre et expulsé les habitants locaux. Ainsi, des 475 villages palestiniennes qui existaient en 1948, 385 ont été totalement anéantis, réduits en cendres, et les 90 restants ont eu leur terre confisquée. Ce processus est entré dans l’histoire comme la « judaïfication  » de la Palestine.

Raphael Eitan , alors chef de l’état major des Forces Armées Israéliennes n’aurait pas pu être plus clair quand il a dit, « Nous déclarons ouvertement que les arabes n’ont droit à aucun centimètre d’Eretz Israël. Ceux de bon cœur, les modérés, devrait savoir que les chambres à gaz d’Adolf Hitler seront un jeu d’enfants. La seule chose qu’ils comprennent et comprendront est la force. Nous utiliserons la force la plus décisive jusqu’à ce que les palestiniens s’approchent de nous sur leurs genoux . » (22)

David Ben Gurion , dans un discours prononcé le 13 octobre 1936, formulait la stratégie sioniste comme suit: « Quand nous devenons un pouvoir de poids après la création de l’état, nous abolirons la partition et nous nous étendrons sur toute la Palestine. L’état sera seulement une étape dans la réalisation du sionisme, et sa tâche est de préparer le terrain pour notre expansion. L’état doit maintenir l’ordre, non par des mots mais au moyen de mitrailleuses . » (23)

Et c’est ce qui effectivement a été fait. Entre le 29 novembre 1947, date à laquelle la Palestine a été divisée par l’ONU, et le 15 mai 1948, quand l’état d’Israël a été formellement proclamé, l’armée sioniste et les milices paramilitaires ont pris plus de 75% de la Palestine et banni 780 000 arabes. Ceux qui sont restés ont été victimes de persécutions violentes et d’une boucherie comparable seulement à l’holocauste nazi .

C’est ainsi qu’a commencé la tragédie palestinienne, qui dure jusqu’à nos jours.

8. Vol, sans autre cérémonie, de la terre et des commerces des arabes

Il est nécessaire de comprendre l’envergure et les conséquences de cette politique meurtrière du sionisme. Dans le territoire occupé par Israël après la partition, il y avait 950 000 arabes palestiniens qui vivaient dans environ 500 villages et dans toutes les grandes villes telles que Tiberiades, Safed. Nasare, Shafa Amr, Acre, Haifa, Yaffa, Lidda, Ramle, Jérusalem, Majdal (Ashquelon), Isdud (Ashdod) et Beersheba. En moins de six mois, il ne restait que 138 000 personnes. La grande majorité des palestiniens avait été assassinés, expulsés par force ou mis en fuite devant la terreur des bandes assassines des unités de l’armée israélienne.

Dans un discours dirigé aux étudiants de l’Institut Technologique d’Israël, Moshe Dayan , héros de la « guerre des six jours » ne se souciait guère de dissimuler le fait qu’Israël a été fondé sur une falsification ténébreuse de l’histoire: « Nous voyons ici un pays qui a été habité par les arabes et nous y construisons un état hébreu, juif. Où il y avait des villages arabes, nous avons construit des villages juifs. Vous ne savez même pas les noms de ces villages et nous ne vous en voulons pas pour cela, car ces livres de géographie n’existe déjà plus. Il n’existe plus ni les livres ni les villages. Nahalal a émergé à la place autre fois occupée par Mahalul, Gevat à la place de Jibya, Sarid à la place de Hanifas et Kafr Yehoushu’a à la place de Tel Shamam. Il n’y a pas une seule implantation qui n’a pas été construite à la place d’un ancien village arabe . » (24)

De cette façon, de grandes extensions de terre ont été confisquées sous la protection de la Loi de Propriété des Absents, passée en 1950 en Israël. Jusqu’à 1947, les juifs étaient les propriétaires de 6% de la terre Palestinienne. Quand l’état d’Israël naît formellement, le Fonds National Juif estime qu’il avait pris plus de 90% de la terre. La valeur des propriétés volées des arabes était de plus de 300 millions de dollars, selon les calculs de l’époque. Si nous multiplions ce chiffre par l’actualisation de la valeur du dollar, les masques tombent : Israël a peu à voir avec Jéhovah ou la Terre Sainte et beaucoup avec la piraterie et le pillage.

L’occupation des propriétés palestiniennes était absolument nécessaire pour que l’état d’Israël puisse devenir viable. 370 communes et implantations juives ont été créées entre 1948 et 1953; 350 d’entre eux étaient propriété des « absents ». Il a été estimé qu’en 1954, 35% des juifs en Israël vivaient dans des propriétés confisquées « d’absents » et que 250 000 nouveaux immigrés se sont installés dans les régions urbaines dont les palestiniens avaient été expulsés.

Dix mille entreprises et commerces ont été distribués aux colons juifs. Si dans les zones urbaines le pillage a été généralisé, dans la campagne l’usurpation de la terre a eu libre cours. Toutes les plantations de citrons des palestiniens – plus de 240 000 dunams (21 200 ha) – ont été confisquées. Jusqu’à 1951 un million de caisses de citrons récoltés dans les propriétés enlevées aux arabes – l’équivalent de 10% de toute la monnaie étrangère des exportations – était dans les mains israéliennes. En cette même année, 95% des plantations d’oliviers d’Israël ont été faites dans le territoire palestinien occupé. Les olives qu’elles produisaient constituaient le troisième produit d’exportation d’Israël, après les citrons et les diamants. Un tiers de la production de marbre est venu des 52 carrières usurpées. Les terres confisquées des arabes sont allées aux Fonds National Juif créé en 1954 par le gouvernement israélien.

Comme rappelle Shoenman, la mythologie sioniste prétend vendre l’idée que c’était l’esprit de sacrifice, d’abnégation, de travail dur et d’habileté des juifs qui a transformé une région déserte, négligé par ses occupants antérieurs, des arabes nomades et primitifs, en une terre florissante. Les plantations palestiniennes, l’industrie, le bois de construction, les usines, les maisons et les fermes ont été pillées et mises à sac après une conquête sanguinaire, « le bateau de l’état est un bateau de pirate, le drapeau qu’elle porte est un crâne avec deux os traversés . » (25)

9. Racisme contre le travailleur arabe

Mais Israël n’est pas que cela. Son histoire a commencé avec un grand pillage, ce qui a forcé le pays à le continuer, de plus en plus. Le bateau des pillards n’a jamais trouvé un refuge solide. Ce voyage macabre est allé en avant, exploitant aussi le marché du travail des arabes, dans la campagne comme dans les villes. Ce processus de judaisation du travail est basé sur une idéologie raciste envers le travailleur arabe.

Dans la campagne, toute relation entre l’homme et la terre est soumise à la loi raciste : « le locataire doit être un juif, qui doit accepter que toutes les activités en rapport avec la culture de la terre soient réalisées par des mains juives « . (26) La terre ne peut donc pas être louée à un non-juif, ni sous-louée, vendue, hypothéquée ou donnée à un non-juif. Les non-juifs ne peuvent pas être employés comme mains d’œuvre de la ferme ni pour n’importe quel travail en rapport avec les cultures.

En Israël, la terre de l’état, qui est dans les mains du Fonds National Juif, est considérée comme « terre nationale », ce qui veut dire, terre juive. Employer des travailleurs non-juifs est illégal . Dû au manque de travailleurs agricoles juifs, et parce que les palestiniens travaillent pour des salaires plus petits que les juifs, quelques fermiers juifs (tel qu’Ariel Sharon) embauchent une main d’œuvre arabe, en dépit d’une prohibition explicite.

Shoenman fait remarquer qu’Israël utilise toutes les expressions normales dans un sens raciste. « Le ‘peuple’ signifie seulement le juif. Un ‘immigré’ ou un ‘colon’ ne peut être qu’un juif. Une implantation veut dire une implantation seulement pour les juifs. La terre nationale veut dire la terre juive et pas la terre israélienne. » (27)

De cette façon, la loi et les droits, les garanties et le droit au travail ou à la propriété ne sont que pour les juifs. La nationalité ou la citoyenneté israéliennes correspondent strictement aux juifs, dans toutes les applications spécifiques de leur signification et juridiction. Comme la définition de juif est basé entièrement sur le précepte religieux orthodoxe, être d’origine juive du côté de la mère est une condition préalable pour pouvoir prétendre à n’importe quel droit de propriété, de travail ou de protection légale. A présent, 93% de la terre de ce qui est appelé l’état Israël est administré par le Fonds National Juif et pour avoir un droit pour vivre sur cette terre, la travailler ou la louer, on doit prouver au moins trois générations d’ancêtres juifs du côté de la mère.

10. Le sionisme, le fascisme et les juifs

S’il est important que l’histoire officielle commence à admettre que la Palestine n’était pas une terre sans peuple, il est nécessaire aussi de clarifier une autre question, aussi sordide que celle qui concerne la création de l’état d’Israël. Il s’agit de la relation du sionisme avec les juifs eux-mêmes et avec le nazi-fascisme.

Le caractère raciste du mouvement sioniste se révèle de la façon la plus abominable dans la relation qu’il a maintenu avec les juifs eux-mêmes. Ralph Shoenman rappelle que « les fondateurs du sionisme étaient désespérés pour combattre l’antisémitisme et, paradoxalement, considéraient les anti-semites mêmes comme des alliés, parce qu’ils partagaient le désir d’arracher les juifs hors des pays où ils avaient vécu. Petit à petit, ils ont assimilé les valeurs de l’haine pour les juifs et l’antisémitisme, au point que le mouvement sioniste a considéré les anti-semites mêmes comme leurs meilleurs parrains et protecteurs . »

Il cite une lettre que Theodor Herzl a envoyé au Compte Von Plehve, auteur des pires pogroms en Russie – les pogroms de Kishinev – avec la proposition suivante: « Aidez-moi à obtenir la terre [palestinienne] aussitôt que possible, et la révolte [contre le régime du Tzar] terminera . » Von Plehve a consenti et il a commencé à financer le mouvement sioniste.

Il s’agit, en réalité, d’une demande de coopération entre les bourgeoisies sionistes et les classes dominantes des autres pays pour lutter contre les juifs de gauche qui rejoignaient les partis révolutionnaires. De ce point de vue, le sionisme , dans sa collaboration avec le fascisme, a joué un rôle sordide, car il a joué avec les sentiments religieux des juifs pour massacrer les juifs de gauche .

Le mouvement de la jeunesse sioniste, Betar, servait de chair à canon pour Mussolini, en formant les escadrons des chemises noires. Quand Menahem Begin est devenu le chef du Betar, il a changé les chemises noires pour les marronnes, comme celles utilisées par les bandes d’Hitler. C’était l’uniforme que Beguin et les membres du Betar utilisaient dans toutes les assemblées et rassemblements.

La stratégie sioniste était de recruter les européens qui détestaient les juif et de s’aligner avec les mouvements et les régimes les plus pervers afin qu’ils soutiennent la création d’une colonie sioniste en Palestine. Cette stratégie a inclus le nazisme. Le 21 juin 1933, la Fédération Sioniste d’Allemagne a envoyé une note de soutien au parti nazi, qui disait :  » … une renaissance à la vie nationale, comme celle qui a lieu dans la vie allemande… doit avoir lieu aussi dans le groupe national juif. Sur la base d’un nouveau état [nazi] qui a établi le principes de la race, nous souhaitons encadrer notre communauté dans la structure d’ensemble, de façon à ce que pour nous aussi, dans la sphère qui nous est assignée, elle puisse développer une activité fructueuse pour la Patrie … « . (29)

Le Congrès de l’Organisation Sioniste Mondiale de 1933 n’a pas répudié ce comportement, au contraire : une résolution qui appelait à agir contre Hitler a été battu par 240 votes contre 43. Pendant ce même congrès, Hitler a annoncé un accord commercial avec laBanque Anglo-palestinienne de l’Organisation Sioniste Mondiale (WZO), qui signifiait la rupture du boycott juif contre le régime nazi, précisément quand l’économie allemande était extrêmement faible. La WZO a rompu le boycott juif et est devenu le distributeur principal des produits nazis dans le Moyen Orient et le nord de l’Europe. En Palestine, ils ont fondé le Ha’avara, une banque destinée à recevoir de l’argent des bourgeoisies germano-juives, avec laquelle un grand nombre de produits du nazisme ont été achetés.

11. Trahissant la Résistance

Un des réflexes les plus sordides de cette politique a été l’action du sionisme par rapport à la résistance juive contre les massacres des juifs en Europe. En juillet 1944, le rabbin Slovaque, Dov Michael Weissmandel, a écrit aux fonctionnaires sionistes chargés des « opérations de récupération », proposant une série de mesures pour sauver les juifs d’Auschwitz . Il offrait des cartes détaillées des voies ferrées et planifiait le bombardement des lignes qui menaient aux crématoriums. Il demandait que les fours d’Auschwitz soient bombardés, que soient lancées par parachutes des munitions pour les 80 000 prisonniers et des bombes pour faire exploser le camp et mettre fin à l’incinération de 13 000 juifs par jour.

Dans le cas où les alliés refuseraient de coopérer, Weissmandel proposait que les sionistes, qui avaient suffisamment d’argent pour cela, achètent des avions, recrutent des volontaires et exécutent l’opération.Weissmandel n’était pas le seul à demander une telle chose. Dans les années 40, les porte-parole européens juifs ont appelé au secours, demandé des campagnes publiques, une résistance organisée, des manifestations pour forcer les gouvernements alliés à coopérer.

Chaque fois, cependant, ils ont reçu le silence ou même le sabotage actif du sionisme .

En juillet 1944, une année avant la fin de la guerre, le rabbin Weissmandel a envoyé une lettre de protestation aux sionistes, qui a été publiée en partie dans l’Histoire cachée du sionisme de Schoenman :

« Pourquoi n’avez vous rien fait jusqu’à maintenant ? Qui est le coupable de cette négligence terrible ? Est-ce que vous n’êtes pas les coupables, juifs frères qui avez la meilleure chance du monde, la liberté ? Nous vous envoyons ce message spécial : nous vous informons qu’hier les allemands ont commencé à déporter les juifs de la Hongrie. Ces déportés vers Auschwitz seront tués avec le gaz cyanure. C’est l’ordre du jour pour Auschwitz depuis hier : douze mille juifs seront asphyxiés – hommes, femmes, enfants, vieux gens, bébés, sains et malades.
Et vous, nos frères là en Palestine, vous de tous les pays libres, et vous, ministres de tous les royaumes, pourquoi restez vous silencieux face à une telle massacre ? Vous vous taisez pendant qu’ils assassinent des milliers, cela fait déjà six millions de juifs ? Vous vous taisez maintenant, pendant que des dizaines de milliers sont assassinés ou se trouvent dans la file d’attente pour être assassinés ? Leurs cœurs fracassés demandent votre aide, et pleurent pour votre cruauté.
Vous êtes brutal, vous aussi vous êtes des assassins, par le sang froid du silence avec lequel vous regardez, parce que vous restez assis les bras croisés sans rien faire, même en sachant qu’à ce moment même vous pourriez arrêter ou au moins différer l’assassinat des juifs.
Vous, mes frères, enfants d’Israël, est-ce que vous êtes fous ? Ne savez vous pas quel enfer nous entoure ? Pour qui gardez vous votre argent ? Vous êtes des assassins ! des fous ! Qui pratique la charité ici ? Vous, qui dans vos solides maisons laissez tomber quelques centimes, ou nous, qui donnons notre sang au plus profond des enfers ?
 « 

Pas un seul dirigeant sioniste n’a soutenu cette pétition; et aucun des gouvernements de l’ouest n’a bombardé un seul camp de la concentration.

La coopération entre le sionisme et le fascisme a fait que le premier trahisse la résistance et tourne le dos à une entreprise qui a mené à la mort au moins six millions de juifs. Aujourd’hui, quand un autre anniversaire de l’holocauste est commémoré, il faut dire avec toute la clarté que le sionisme n’a pas lutté pour le prévenir . Pourtant, il l’utilise comme un alibi pour assassiner des palestiniens .

C’est un fait tellement choquant que la journaliste israélienne, Amira Hass, du journal Haaretz, a appelé les survivants de l’holocauste et leurs descendants à ne pas interpréter l’assassinat de leur peuple et de leurs familles en Europe comme un aval éternel pour la suppression et l’expropriation du peuple palestinien et pour présenter ce peuple comme l’ennemi qui remplace les allemands.

En réalité, il est grand temps qu’Israël arrête d’utiliser l’holocauste comme une justification pour opprimer et persécuter les palestiniens, faisant avec eux ce que les allemands avaient fait aux juifs.

Cécilia Toledo

Notes :

1 Frase du livre de Dov Burnir, Les juifs, le sionisme et le progrès, p. 486, citée dans Revista de America, n° 12.
2 Folha de S. Paulo, 4 février 2001.
3 La Question Juive.
4 Abraham Léon était un des dirigeants les plus importants du sionisme de gauche en Europe, juste avant la deuxième guerre mondiale. Il a écrit Conception matérialiste de la question juive, une des études marxistes les plus importantes sur le thème. Léon, qui a finalement rompu totalement avec le sionisme et a rejoint les rangs de la Quatrième Internationale, a été assassiné par les troupes nazis au camp de concentration d’Auschwitz.
5 En 1917, le Bund a soutenu Kerensky contre Lenin et Trotsky et – jusqu’à la deuxième guerre mondiale – était très fort en Pologne.
6 Le mot sionisme vient de Sion (ou Tzion en hébreu), le nom d’une colline en Jérusalem. Dans la bible, ce nom est utilisé aussi bien pour faire référence à la Terre d’Israël que pour indiquer « sa capitale nationale et spirituelle », Jérusalem. Partout dans l’histoire d’Israël, Sion était un synonyme pour Israël et l’expression « retour à Sion » était le drapeau du mouvement sioniste.
7 La question juive, p. 150.
8 Ibidem, p. 151.
9 Ibidem, p. 151.
10 Ibidem, p. 152.
11 Dans Matérialisme et la question nationale, cité par A. Léon dans le travail précité, p. 152.
12 La question juive, page 154.
13 Ibidem, p. 154
14 Dov, Barmir, « Les juifs, le sionisme et le progrès », Inova, Portugal, 1968,
15 Ephraim Tari, El de significado de Israël.
16 Revista de America, p. 16.
17 Jon Rothchild, « Comme les arabes ont été expulsés de Palestine, cité par Revista de America, n° 12.
18 Ibidem.
19 Michael Barre-Zohar, dans The Armed Profet: A Biography of Ben Gurion, cité par Revista de America, p. 24.
20 Proposition de la Commission Peel, de 1937, acceptée par Ben Gurion
21 En 1917 il y avait en Palestine 56 000 juifs et 644 000 arabes. En 1922 il y avait 83 794 juifs et 663 000 arabes. En 1931 il y avait 17 4616 juifs et 750 000 arabes (Schoenman, p. 40).
22 Cité par Schoenman, p. 40.
23 Cité par Schoenman, p. 41.
24 Cité par Schoenman, p. 50.
25 Historia oculta del sionismo, p. 50.
26 Cité par Schoenman, p. 50.
27 Historia oculta del sionismo, page 50.
28 Ibidem.
29 Cité dans Historia oculta del sionismo, page 54.