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« 17 octobre 1961 : massacre d’État et zèle des harkis » par Lina Kennouche et Tayeb El Mestari

pour l’Orient le Jour – 17 octobre 2016. Photo Ina

Au delà de la commémoration et de la demande légitime de reconnaissance de cet événement, il s’agit aussi de mettre en exergue un fait peu connu : le rôle des harkis dans ce massacre d’Etat. Celui qui ne connait pas son histoire est condamné à la revivre. En Algérie hier, comme en Palestine aujourd’hui, le phénomène « harki » ou « collaborateur » est un danger redoutable pour l’émancipation des peuples.

Comité Action Palestine


Le chemin d’une reconnaissance du chapitre colonial comme partie intégrante de l’histoire française est encore long.

Chaque année, la journée de commémoration des massacres du 17 octobre 1961 organisée par des militants associatifs réactive le souvenir d’une « nuit noire » qui marque de façon indélébile la mémoire collective de la communauté algérienne en France.

Si la timide reconnaissance de l’événement, longtemps étouffée par la censure du pouvoir, existe aujourd’hui, la signification profonde de ces massacres n’est pas interrogée par la classe politique et la société françaises. En 2012, le président français François Hollande évoquant cet épisode refoulé de la guerre d’Algérie déclare : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » C’est précisément contre cette mémoire morale des massacres que luttent aujourd’hui collectifs et historiens pour rétablir le sens politique de ces événements et les inscrire dans le fonctionnement structurel d’un système colonial qui a exercé une violence systématique sur un « corps d’exception » constitué des Algériens.
« L’humanité ne peut vivre éternellement avec dans sa cave le cadavre d’un peuple assassiné », déclarait Jean Jaurès à propos du génocide arménien, et pourtant le chemin d’une reconnaissance du chapitre colonial comme partie intégrante de l’histoire française est encore long. Les événements longtemps occultés du 17 octobre 1961 n’incarnent qu’un épisode supplémentaire de la guerre d’Algérie et de son cortège de massacres et d’atrocités. Que s’est-il donc produit le soir du 17 octobre 1961 pour les Algériens de Paris et quelle a été l’étendue du rôle des auxiliaires des autorités françaises ?

(Lire aussi : Le « refoulement » des massacres du 17 octobre et la responsabilité collective)

« Faux frères »

Pour protester contre un couvre-feu raciste qui limitait leur droit de circulation, des dizaines de milliers d’Algériens, venus des bidonvilles et des quartiers populaires, manifestent pacifiquement ce 17 octobre 1961 à Paris. Un acte de protestation que nombre d’entre eux, ouvriers pour la plupart, paieront de leur vie. Tués par balles ou jetés dans la Seine, 200 à 300 manifestants périssent sous le coup d’une répression brutale de l’État confronté à la lutte sans merci que livre le Front de libération nationale pour l’indépendance de l’Algérie.

Au cours de cet épisode sanglant, des Algériens des Forces auxiliaires de police (FAP) massacrent et torturent avec zèle les manifestants. Ces harkis des FAP sont qualifiés de « faux frères » selon la journaliste Paulette Péju, qui, indignée par ces crimes, s’est employée, dans deux ouvrages, Harkis à Paris et Ratonnade à Paris, censurés par les autorités de l’époque, à consigner les plaintes des victimes et à reproduire des articles de presse pour rendre compte de l’ampleur de la répression. Constitué essentiellement de témoignages et de documents fournis par un collectif d’avocats, Harkis à Paris explique le mode opératoire de ces forces de police auxiliaires qui ont eu méthodiquement recours aux assassinats, à la torture et aux enlèvements.

Dans l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne, ces harkis (terminologie qui vient de l’arabe haraka signifiant mouvement) forment les forces supplétives engagées auprès de l’armée française pour contrer le mouvement indépendantiste algérien. Parmi ces 400 000 « français musulmans », ayant opté pour l’Algérie française, ces forces auxiliaires de police se distinguent par leur brutalité et leur acharnement contre les Algériens indépendantistes installés en France. Composées d’Algériens volontaires (Français musulmans, selon la terminologie de l’époque), les forces auxiliaires de police sont mises en place le 30 novembre 1959 par le Premier ministre Michel Debré, sous le commandement direct du pied-noir Raymond Montaner, alors capitaine dans l’armée française. Le contexte de création de ces unités sous les ordres de Maurice Papon (préfet de Paris en 1961 et ancien collaborateur du régime nazi) explique le zèle particulier par lequel étaient mues ces forces supplétives dans leur fonction répressive. Selon Paulette Péju, ces « harkis, eux, n’ont rien à ménager, rien à perdre que leur uniforme de mercenaire et le salaire de la trahison. Ils ont même tout à redouter d’une solution pacifique de la guerre d’Algérie ».

(Lire aussi : Hollande reconnaît la « responsabilité » de la France dans « l’abandon des harkis »)

Le piège se referme

Cette perspective éclaire la compréhension des motivations pour lesquelles les autorités françaises ont procédé à l’institutionnalisation de 400 harkis dans les FAP. Engagés dans la voie de l’Algérie française, dans un contexte où l’évolution vers l’indépendance était devenue inéluctable, il n’existait plus de retour en arrière possible. Leur sort semblait scellé et à mesure que s’amenuisait l’espoir d’une victoire contre les indépendantistes, leur acharnement redoublait contre tous ceux qu’ils soupçonnaient d’être des militants de l’Algérie indépendante. Les autorités françaises, qui avaient très tôt saisi les effets de cette dynamique, les assignent au rôle d’exécutants de la sale besogne.

À chaque anniversaire des massacres du 17 octobre 1961, le débat sur la responsabilité des harkis ressurgit, opposant les tenants de la victimologie, engagés pour la reconnaissance des droits des harkis, aux pourfendeurs des traîtres à la nation algérienne. Si une partie des harkis a choisi la voie de la collaboration pour échapper à ses conditions misérables d’existence, d’autres ont porté l’engagement de l’Algérie française par conviction idéologique. Mais, en abandonnant les considérations émotionnelles qui brouillent la compréhension des causes de la guerre fratricide, une lecture rationnelle s’impose : le 17 octobre 1961 les FAP, « faux frères », étaient pris au piège de leur engagement volontaire. Paulette Péju rappelle le tragique de leur condition : « Sans la guerre et la répression ils ne sont plus rien : ni Algériens ni Français. » L’histoire lui donnera raison. Après avoir trahi la cause indépendantiste algérienne, ils seront à leur tour trahi par la France.

http://www.lorientlejour.com/article/1012977/17-octobre-1961-massacre-detat-et-zele-des-harkis.html

Et également : le 17 octobre 1961 en quelques données

http://www.lorientlejour.com/article/1012975/le-17-octobre-1961-en-quelques-donnees.html